Marina Ovsiannikova : "Les Russes sont zombifiés par la propagande, prêts à tuer des Ukrainiens"

Marina Ovsiannikova, journaliste et productrice russe, opposée à la guerre en Ukraine ©AFP - Joël Saget
Marina Ovsiannikova, journaliste et productrice russe, opposée à la guerre en Ukraine ©AFP - Joël Saget
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Marina Ovsiannikova, journaliste et productrice russe, opposée à la guerre en Ukraine ©AFP - Joël Saget
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Marina Ovsiannikova, journaliste et productrice russe, est l'invitée du 7h50. Elle s'est opposée publiquement à la guerre en Ukraine et a dû s'exiler de son pays. Elle relate son histoire dans « NO WAR. L’incroyable histoire de la femme qui a osé s’opposer à Poutine » (L'Archipel).

Marina Ovsiannikova raconte, dans son livre, son histoire, celle d'une femme qui a osé s'opposer à Vladimir Poutine : en mars 2022, en six secondes, elle apparaît derrière la présentatrice du JT russe avec une pancarte qui dit "No War", et une inscription en cyrillique : "C'était une protestation suicidaire, parce que c'était le prime time des journaux du soir : j'ai écrit "No War" pour le public occidental, et pour les Russes, j'ai écrit "C'est de la propagande, ici on vous ment"", raconte celle qui était productrice et journaliste dans la chaîne d'État russe.

"Vous ne vous rendez pas compte que Poutine a détruit tous les médias indépendants. Toutes les chaînes de télé sont sous contrôle de l'Etat, et du matin au soir, on n'a qu'un flux incessant de propagande, sur le modèle de celle de Goebbels", affirme-t-elle.

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"Je savais ce qu'allaient vivre ces réfugiés"

Selon elle, des millions de Russes "sont zombifiés par cette propagande et sont prêts à tuer des gens en Ukraine". La propagande est "la principale arme de Poutine", et c'est pour cela que Marina Ovsiannikova dit avoir voulu agir au début de la guerre en Ukraine.

Pourtant, la journaliste, depuis 2008, faisait partie de cet appareil de propagande. Que s'est-il passé en 2022 ? "Je ne pouvais plus me taire, il y avait du sang, des larmes partout, des réfugiés ukrainiens. Je savais ce qu'allaient vivre ces réfugiés, parce que moi-même, ma maison a été détruite pendant la première guerre de Tchétchénie", raconte-t-elle, disant avoir vu l'évolution de la télévision de la fin de l'ère Eltsine vers la propagande pro-Poutine.

"Si vous dites quelque chose contre Poutine, c'est votre dernier jour de travail"

"Nous avons fini par ne plus travailler que pour choisir des actualités contre l'Ukraine, contre l'Occident, on ne diffusait que cela. Depuis dix ans, je ne regardais plus la télé russe, je regardais CNN, Sky News, ou d'autres chaînes", dit-elle, ayant accès à ces informations en tant que journaliste internationale. Mais en Russie, il n'y a pas d'alternative : quitter le métier ou travailler pour la propagande.

La population, elle, n'a pas accès à l'information internationale. "On voyait très bien comment les images que nous diffusions étaient biaisées. Mais ils jouaient ce jeu du Kremlin : si vous disiez quelque chose contre Poutine, vous saviez que c'était votre dernière journée de travail", explique la journaliste.

"La Russie est une forteresse assiégée"

"Quand la guerre a commencé, nous avons eu un ordre du Kremlin affirmant qu'on ne devait pas parler de guerre mais d'opération militaire pour libérer les populations pacifiques du Donbass", se souvient Marina Ovsiannikova. "Nous étions en train de construire une réalité parallèle, nous ne parlions pas des réfugiés, des Russes qui bombardaient l'Ukraine, nous ne devions montrer que des vidéos du ministère de la Défense russe ou du FSB, dans lesquelles l'armée russe était présentée comme libératrice. Nous avons déshumanisé les Ukrainiens, nous ne parlions pas d'eux comme des personnes mais comme des nazis", détaille-t-elle.

La population sait-elle que l'information est ainsi contrôlée ? "Nous, nous sommes des journalistes, nous avons l'habitude de chercher des information. Mais la plupart des Russes n'ont pas cette habitude : ils appuient sur le bouton de la première chaîne et consomment ce que le média de l'État leur propose", dit-elle, d'autant plus que tous les réseaux sociaux et médias indépendants sont bloqués. Pour accéder aux informations alternatives, il faut installer un VPN sur son téléphone, ce que beaucoup de personnes, notamment les personnes âgées, ne savent pas faire, explique Marina Ovsiannikova. "La Russie est une forteresse assiégée", dit-elle.

"La société est en dépression"

Quand Marina Ovsiannikova a montré sa pancarte à la télévision, sa propre mère a eu des mots très durs. "En Russie, la guerre a détruit des millions de familles, je ne suis pas un cas unique. La société est en dépression, les gens ne savent pas quoi faire. Notre pays était une autocratie, c'est devenu une vraie dictature", dit-elle.

Aujourd'hui, alors que des journalistes russes ont eu des destins tragiques, Marina Ovsiannikova regarde-t-elle parfois par-dessus son épaule ? "Mes amis, quand ils m'appellent depuis la Russie, blaguent en me demandant si je préfère le polonium ou le novitchok. On ne peut pas vivre dans cette tension constante depuis un an. Alors je blague en leur répoondant qu'il n'y aura pas assez de novitchok pour tous les dissidents qui parlent aujourd'hui contre Poutine".

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