Récit

La déchirante histoire des enfants raflés de la Maison d’Izieu exposée

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Publié le , mis à jour le
La Maison d’Izieu porte en elle la mémoire d’un terrible drame : la rafle, le 6 avril 1944, et l’assassinat par les nazis, à Reval et Auschwitz, des 44 enfants juifs qui y avaient trouvé refuge, et de 6 de leurs protecteurs. Chant, dessin, théâtre… Fondée par une artiste peintre, cette colonie permettait à ses petits pensionnaires de s’adonner à des activités créatives. Poignante, la visite du lieu (devenu Mémorial des enfants juifs exterminés), assortie de deux expositions, l’une temporaire, l’autre permanente, retrace leur histoire…
Panorama de la Maison d’Izieu, aujourd’hui appelé “Mémorial des enfants juifs exterminés”
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Panorama de la Maison d’Izieu, aujourd’hui appelé “Mémorial des enfants juifs exterminés”

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© La Maison D'Izieu

Perchée au sommet d’une colline, cette jolie maison blanche à volets bleus veille sur un paysage époustouflant : l’extrémité du massif du Jura, le Rhône au cœur d’une vallée verdoyante, et, au loin, les sommets enneigés des Alpes. Avec ses vieilles maisons en pierre, ses vignes et ses puits garnis de fleurs, le village pentu, tout aussi hors du temps, évoque un repaire de peintres. D’emblée, le visiteur est saisi par le contraste entre la beauté paisible des lieux, et la tragédie qui s’y est déroulée il y a 79 ans. Car ce sont précisément cette paix et cet isolement – à mi-chemin entre Annecy et Lyon, situé à plus d’une heure de route – qui devaient garantir la protection des bambins qui s’y étaient réfugiés…

Portrait de Miron et Sabine Zlatin
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Portrait de Miron et Sabine Zlatin

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Coll. Succession Sabine Zlatin • © Maison d’Izieu

L’histoire commence par une rencontre amoureuse entre deux étudiants : Sabine Zlatin, qui suit une formation artistique, et son mari Miron, futur ingénieur agronome, tous deux juifs non pratiquants. En 1940, l’invasion allemande les pousse à quitter le nord de la France pour se réfugier en zone libre. Le couple s’engage alors dans le réseau de l’OSE, l’Œuvre de secours aux enfants. Infirmière de la Croix-Rouge, Sabine rend visite aux enfants dans les camps d’internement de Vichy pour tenter d’améliorer leurs conditions de vie puis, à partir de 1942, les en faire sortir grâce à ses contacts à la préfecture. Son projet : trouver un lieu sûr pour les accueillir…

« Ici, vous serez tranquilles »

En novembre 1942, les Allemands envahissent la zone sud. Mais à l’est du Rhône, une partie du territoire français devient « zone italienne ». Les juifs y étant peu inquiétés, beaucoup d’organisations de secours s’y transfèrent, aidées par la préfecture de l’Hérault. En avril 1943, Sabine y choisit cette maison (qui accueillait des colonies de vacances organisées par l’évêché de Belley) pour sa Colonie des enfants réfugiés de l’Hérault. « Ici, vous serez tranquilles », lui assure le jeune sous-préfet de Belley, Pierre-Marcel Wiltzer. Futur combattant de la Résistance, cet allié précieux lui met à disposition une institutrice, permettant l’ouverture d’une salle de classe dans la maison, et lui fournit des cartes d’alimentation. La mairie d’Izieu et l’évêché, eux, donnent du mobilier.

Fête près de la fontaine de la Maison d’Izieu
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Fête près de la fontaine de la Maison d’Izieu, été 1943

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Coll. Succession Sabine Zlatin • © Maison d’Izieu

« Il ne s’agissait pas d’une cachette. Tout le monde connaissait l’existence de cette colonie, insiste Dominique Vidaud, directeur de la Maison d’Izieu. La maison accueillait une cinquantaine d’enfants en même temps, avec des arrivées et des départs fréquents. Certains retournaient dans leur famille quand ils avaient trouvé un lieu sûr, d’autres passaient en Suisse ou allaient se cacher chez des amis. Il est important de rappeler qu’il y a eu plus d’enfants sauvés à Izieu que pris au piège par la rafle. La plupart des 105 enfants juifs qui y ont été reçus ont survécu à la guerre ». À l’image de Samuel Pintel (âgé de six ans à l’époque), aujourd’hui octogénaire et membre actif du conseil d’administration du lieu.

Dessin de Max Tetelbaum, 1944 (à gauche) ; Ivan Tsarawitch, montage de dessins (détail), 1943 (à droite)
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Dessin de Max Tetelbaum, 1944 (à gauche) ; Ivan Tsarawitch, montage de dessins (détail), 1943 (à droite)

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Coll. Succession Sabine Zlatin • © Bibliothèque nationale de France, Paris

Sabine Zlatin retourne dans la maison mise à sac, pour garder à l’abri tous les dessins et documents.

La visite de la maison et celle, dans un bâtiment adjacent, de la galerie Zlatin, qui présente une petite exposition temporaire de photographies et documents originaux ressortis des réserves de la Bibliothèque nationale de France, renseignent sur le quotidien des enfants. Sans eau courante, la maison est approvisionnée par Miron Zlatin, qui fait des kilomètres à bicyclette pour rejoindre fermes et commerces. Artiste peintre, sa femme Sabine encourage les enfants à dessiner. En témoigne, exposée dans le réfectoire, une sélection touchante de leurs œuvres, assorties de lettres écrites de leur main – des fac-similés, les originaux se trouvant à la Bibliothèque nationale de France pour des raisons de conservation. Baignades, promenades, pièces de théâtre, chant, jeux de scouts, spectacles de lanternes magiques… De nombreuses autres activités sont organisées pour permettre aux enfants d’avoir une vie saine et gaie, malgré leur détresse due à l’absence de leurs parents, et de s’évader par l’imaginaire.

44 enfants assassinés

La petite Diane Popowski à la Colonie d’Izieu
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La petite Diane Popowski à la Colonie d’Izieu, été 1943

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Coll. Succession Sabine Zlatin • © Maison d’Izieu

Mais ce petit paradis est éphémère. En septembre 1943, les Allemands investissent la zone italienne. Impossible de fuir… Le 6 avril 1944, les hommes de Klaus Barbie, responsable de la Gestapo de Lyon, font irruption dans la maison. Âgés de 5 à 18 ans (mais pour la plupart d’une dizaine d’années), les 44 enfants qui s’y trouvent, ainsi que les 7 adultes présents, dont Miron Zlatin, sont arrêtés. Hormis le directeur de la colonie et deux adolescents, fusillés à Reval, tous sont déportés à Auschwitz, où ils sont exterminés dans les chambres à gaz. Seule une adulte, Léa Feldblum, reviendra.

Quelques personnes échappent à l’arrestation : la jeune institutrice, en vacances chez ses parents, l’éducateur Léon Reifman, qui parvient à se cacher dans des buissons, et Sabine Zlatin, qui se trouve ce jour-là à Montpellier. Alertée du drame par un message codé, cette dernière retourne dans la maison mise à sac, pour garder à l’abri tous les dessins et documents… Et risque elle-même la déportation en se rendant à Vichy pour tenter, sans succès, d’obtenir la libération du groupe.

Une représentation théâtrale à la Maison d’Izieu
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Une représentation théâtrale à la Maison d’Izieu, Été 1943

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Coll. Henry Alexander • © Maison d’Izieu

Aux murs des dortoirs vides (le moment le plus difficile de la visite) sont accrochés les portraits photographiques des 44 petits innocents tués.

Aujourd’hui, les pièces de la maison sont désertes. « Un parti pris pour faire sentir le vide », nous explique le directeur. Seule la lumineuse salle de classe est meublée comme à l’époque, avec ses rangées de petits pupitres en bois. Aux murs des dortoirs vides (le moment le plus difficile de la visite) sont accrochés les portraits photographiques des 44 petits innocents tués. La gorge serrée, on fait face aux bouilles adorables des petits Georgy Halpern, Max Leiner et Diane Popowski [ill. plus haut]. Au sourire ravageur de Claude Levan-Reifman. Aux grands yeux inquiets de Claudine Halaunbrenner. À la gaîté de Jacques Benguigui, déguisé pour une pièce de théâtre…

Dans la galerie Zlatin, les émouvants portraits (permanents) des adultes et des 44 enfants, réalisés au fusain par l’artiste allemand Winfried Veit (né en 1945), venu de lui-même en faire don au musée en 2017, veillent sur les vitrines de l’exposition temporaire. Travaillant d’après les photographies du dortoir, dont certaines sont très petites ou floues, leur auteur les a tous dessinés dans un même format agrandi, afin de les remettre sur un pied d’égalité. Et de continuer à les faire vivre…

Mémoire et réparation

Lors de la journée du souvenir, organisée le 7 avril 1946 sous l’impulsion de Sabine, il y a foule. Tirailleurs marocains, maires locaux et 3 000 habitants assistent à la cérémonie ainsi qu’à l’inauguration de plaques commémoratives et d’un monument à Brégnier-Cordon, dont la stèle est ornée d’un bas-relief dessiné par Sabine.

Première commémoration officielle de la rafle d’Izieu
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Première commémoration officielle de la rafle d’Izieu, 7 avril 1946

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© Fonds Marie-Antoinette Cojean, CAG

Mais quid des coupables ? « Parce qu’il était présent à Izieu ce jour-là, un Mosellan qui fricotait avec les nazis a été longtemps soupçonné par les témoins de la rafle d’avoir dénoncé la colonie. Jusqu’à ce que son procès le dédouane, faute d’éléments, en 1946. Il n’existe aucune preuve qu’il y ait eu dénonciation. On pense plutôt que les nazis ont trouvé l’existence de la maison en épluchant les archives locales, car tout le monde était fiché », précise le directeur.

Un télex de Klaus Barbie

Lettre et dessin de Jacques
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Lettre et dessin de Jacques, Janvier 1944

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Coll. Sabine Zlatin • © Bibliothèque nationale de France, Paris

En revanche, la responsabilité du tortionnaire Klaus Barbie ne fait aucun doute. Rescapée d’Auschwitz et mère de trois enfants d’Izieu, Fortunée Benguigui le traque jusqu’en Amérique du Sud au côté de la chasseuse de nazis Beate Klarsfeld. Leurs actions conduisent à son arrestation et à son procès pour crime contre l’humanité, tenu à Lyon de mai à juillet 1987. Jugé notamment pour la rafle d’Izieu, Barbie est condamné à la prison à vie. La preuve irréfutable de sa culpabilité ? Le télex (retrouvé par l’avocat Serge Klarsfeld, et qui avait été produit lors du procès de Nuremberg en 1945–46) dans lequel il rend froidement compte de la rafle à ses supérieurs…

La Maison d’Izieu fait partie des lieux de mémoires nécessaires, qui veillent à ce que ne soit jamais oubliée l’horreur de l’extermination par les nazis de 6 millions de Juifs, dont près d’1,5 million d’enfants. Et à rappeler le fait que près de 80 000 personnes, dont 11 000 enfants, ont été tuées en France (environ 4 000) ou déportées hors de France dans les camps de la mort (environ 75 000), avec la complicité de la police de Vichy. Dans la grange adjacente, rénovée en 1994, une grande exposition permanente déroulant textes, illustrations, vidéos et dispositifs tactiles retrace tout le drame d’Izieu en le replaçant dans son contexte historique, depuis le développement de l’antisémitisme, jusqu’à une salle rappelant que les génocides continuent d’exister après la Shoah – salle malheureusement incomplète : en sont absents les Yézidis (exterminés en Irak par l’État islamique), les Ouïghours (qui continuent d’être annihilés par la Chine en ce moment même), ou encore les Ukrainiens, qui ont déjà été plusieurs fois victimes de la Russie, bien avant la guerre de Poutine encore en cours. L’an prochain, la Maison d’Izieu commémorera les 80 ans de la rafle. Le bon moment pour mettre à jour cet espace essentiel, visité par de nombreux adolescents, pas toujours bien renseignés sur ces faits historiques…

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L’année 1943 à la colonie. Dans les collections de la maison d’Izieu

Du 6 avril 2023 au 6 octobre 2023

www.memorializieu.eu

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