Au Darfour, le conflit soudanais aggrave les violences communautaires imputées aux Janjawids
Des hôpitaux bombardés, des quartiers incendiés et des pillages sous la menace : des villes du Darfour subissent des attaques répétées des Janjawids depuis le début du conflit armé qui a éclaté le 15 avril au Soudan. Cette région, qui connaît de longue date des tensions tribales et accueille des milliers de déplacés internes, est particulièrement vulnérable aux raids menés par ces milices, intégrées aux Forces de soutien rapide, qui profitent du chaos qui règne dans le pays.
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Depuis la mi-avril et le début du conflit qui oppose l’armée régulière et les Forces de soutien rapide (FSR), les habitants d’El-Geneina, capitale du Darfour occidental, vivent au rythme d’attaques et de pillages menés par des combattants Janjawids - affiliés aux FSR - qui mettent à sac et incendient des établissements publics mais aussi des maisons et des commerces de la ville. Deux vagues d’attaques ont été signalées à notre rédaction du 24 au 27 avril à El-Geneina, faisant à ce jour une cinquantaine de morts et une centaine de blessés selon le Syndicat des médecins du Darfour occidental.
La région du Darfour est le théâtre d’un conflit meurtrier qui a éclaté en 2003, après que des tribus non-arabes, dont les Massalit, se sont rebellées contre le pouvoir central à Khartoum. Le régime de l’époque avait envoyé des milices paramilitaires réprimer violemment les populations rebelles. Aujourd’hui, une partie de ces milices œuvre sous le nom des Forces de soutien rapide (FRS), plus connues au Darfour sous le nom des Janjawids. Le nouveau conflit a accentué ces tensions, et provoqué des violences entre Janjawids et différentes milices armées qui leur sont opposées.
Malgré de sévères coupures d’internet à travers le pays, quelques images, parfois crues et violentes, capturées par des habitants ou des combattants témoignent des violences à El-Geneina.
“Des gens sont tombés morts sous mes yeux”
Saïd (pseudonyme), un habitant du quartier Al-Jabal où ont eu lieu des attaques sanglantes, a raconté à la rédaction des Observateurs ce qui s’est passé. Pour sa sécurité, il préfère garder l'anonymat.
Le 24 avril, vers 7h30 du matin, les forces armées soudanaises se sont déplacées de leurs bases qui sont à l’ouest de la ville, pas loin de la frontière tchadienne, aux alentours d’El-Geneina.
Ce matin-là, des véhicules des groupes armés opposés aux Janjawids, ayant signé le traité de paix de Juba [signé en 2020 par le gouvernement soudanais, alors composé d’une coalition militaire et civile, avec cinq groupes rebelles armés, notamment du Darfour, NDLR] se sont mobilisés en ville pour protéger les civils contre les Janjawids.
Lorsque ces véhicules se sont approchés du siège de l’armée à l’ouest d’El-Geneina, ils sont tombés sur un guet-apens des Janjawids, et des combats ont commencé près de l’université d’El-Geneina.
Les combats se sont ensuite déplacés dans le sud de la ville, dans le quartier Al-Jabal, l’un des quartiers les plus denses en habitants, et qui connaît des différends ethniques entre les tribus arabes et les tribus africaines. La plupart des habitants de ce quartier sont eux-mêmes des déplacés internes depuis les massacres de 2003.
Dans ma famille, nous avons évacué les femmes et les enfants du quartier d’Al-Jabal vers le nord de la ville, et les hommes sont restés garder la maison familiale contre les pillages.
La journée a été sanglante, j’ai vu des gens tomber morts sous mes yeux.
En fin de journée, toujours le 24 avril, les groupes armés se sont retirés, laissant des civils affronter les Janjawids dans le quartier d’Al-Jabal, au sud de la ville.
Les combats se sont un peu calmés durant les deux jours suivants avant de reprendre le matin du 27 avril. Vers 6h30, des civils ont pris les armes et ont décidé de combattre les Janjawids eux-mêmes, après plusieurs attaques répétées depuis le 15 avril. Les combats ont duré jusqu’au début de soirée.
Toutes les structures médicales d’El-Geneina ont été mises hors service : les équipements ont été détruits, les services mis à sac, et un médecin de l’unique hôpital a été tué durant les échanges de tirs le 27 avril.
A cloud free day over El Geneina in Sudan's West Darfur region today reveals the full-scale of the recent burn damage to the town after clashes with warring militia. OHCHR have reported more than 95 people killed in the town since April 24 https://t.co/ETsdFqzbUV pic.twitter.com/5h8H7zOQIV
— Benjamin Strick (@BenDoBrown) April 30, 2023
Puis, vers 17h30, les groupes rebelles qui ont signé l’accord de Juba se sont déployés en ville.
Les images d’hommes en civil que l’on voit tirer à l’arme lourde montrent en réalité des combattants de ces groupes rebelles, car les civils n’ont que des armes légères et anciennes. Ils sont au maximum une cinquantaine d’habitants à avoir des armes car elles coûtent cher et proviennent en général des frontières avec la Libye ou le Tchad. En aucun cas ces armes ne sont comparables à celles qu’utilisent les Janjawids.
“Le pillage a duré pendant cinq jours”
Les Janjawids ont saccagé tous les commerces autour du marché, durant cinq jours, le pillage n’a pas arrêté. Des gens ont été dévalisés sous la menace par des combattants, leurs véhicules ont été volés, des maisons incendiées, surtout celles sur les grandes artères. Même le siège du Croissant Rouge qui se trouve dans le sud de la ville a été brûlé en entier, ce qui accentue la crise sanitaire.
Depuis le 27 avril, les forces rebelles de l'accord de Juba ont créé un cordon de sécurité autour des établissements publics et autour des quartiers touchés par les violences comme Ettadhamen, Thaoura et Almadaris. Ils protègent aussi le quartier de la résidence du gouverneur du Darfour [lui-même ancien membre d’un groupe rebelle signataire de l’accord de Juba, NDLR].
Au 4 mai, il n’y avait toujours aucun militaire ou policier présent au niveau du marché d‘El-Geneina, qui a pourtant souffert du plus gros des dégâts.
فيديو من صفحة واحد من الناس الدخلت حرقت ونهبت pic.twitter.com/ybaKHIgGGI
— Bastawi | بسطاوي (@albasit78) April 26, 2023
Benjamin Strick de l’ONG Centre for Information Resilience l’a localisée ici, en face du siège de la police d’El Geneina.
“Les gens dorment sur la chaussée”
Beaucoup des déplacés des quartiers sud se sont réfugiés dans le nord de la ville. Les rues sont jonchées de monde, les gens dorment sur la chaussée. Des bénévoles font des distributions d’eau et de nourriture mais la situation reste très critique et les services médicaux travaillent avec le minimum de moyens.
Nous avons dû vider quelques maisons de leurs habitants afin de les transformer en hôpitaux de terrain, ainsi que des centres d’hébergement d’urgence, car une grande partie des centres d’hébergement, des écoles et des camps de déplacés à El-Geneina est partie en fumée. Le tribunal a aussi été investi par des déplacés, faute d’avoir d’hébergement.
Depuis le 2 mai, une sorte de calme est revenu à la ville, les commerces reprennent prudemment de l’activité dans le sud de la ville. Il y a des patrouilles des forces armées soudanaises une ou deux fois par jour.
L’OMS et MSF alertent sur un “désastre sanitaire” en cours
Au moins 61 hôpitaux ont été mis hors service au Soudan depuis le début des combats, alerte le syndicat des médecins soudanais. Seize d’entre eux ont été bombardés, et 19 ont été évacués sous la menace, alors que les FSR – une des deux parties dans le conflit – ont pillé les locaux de la Pharmacie Centrale ainsi que ceux du Croissant Rouge soudanais selon la même source.
Au 2 mai, l’Organisation mondiale pour les migrations (OIM) estime que le conflit armé a poussé plus de 115 000 personnes à fuir le pays et fait plus de 334 000 déplacés internes.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et Médecins sans frontières (MSF) préviennent que des millions de Soudanais risquent la mort, faute de structures médicales disponibles, alors que le pays manquait déjà de moyens sanitaires avant le conflit.
Plusieurs accords de trêve ont été conclus mais jamais respectés depuis le 15 avril, date du début des hostilités. La sixième trêve en date, devant durer du 4 au 11 mai, a immédiatement été enfreinte le matin même, avec des tirs rapportés à Khartoum et au Darfour occidental.