La Zone : l’ancêtre du périphérique parisien

Photo de la Zone prise en 1940, à Paris, porte d'Ivry. © courtesy Galerie lumière des roses
Photo de la Zone prise en 1940, à Paris, porte d'Ivry. © courtesy Galerie lumière des roses
La Zone, l'ancêtre du périph
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La Zone : l’ancêtre du périphérique parisien

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L’autoroute urbaine qui permet de contourner Paris fête ses 50 ans. Mais derrière l’histoire de cet axe routier qui en a vu de toutes les couleurs se cache l’histoire oubliée de "la Zone”.

1973. Le périphérique parisien est officiellement ouvert à la circulation et inauguré par Pierre Messmer, alors Premier ministre de Georges Pompidou. "Cette œuvre est un succès [...] La raison d’être de ce boulevard périphérique est d’améliorer la circulation dans la région parisienne, en particulier aux limites de Paris”, se réjouit l’homme d’Etat devant les caméras de l'époque.

Ces limites renvoient à la zone militaire qui s’étendait aux pieds des fortifications érigées par l’ancien président de la République, Adolphe Thiers, à partir de 1850. De 250 mètres de large et 35 kilomètres de circonférence, elles avaient pour but de protéger la capitale. Devenues au fil du temps obsolètes, elles ont servi de point de chute à la partie la plus déshéritée de la population parisienne qui se retrouve peu à peu hors de la capitale "intra muros”.

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Tiers espace du conflit de classe

Car au même moment, de 1853 à 1870, le baron Haussmann entreprend les travaux de modernisation de la capitale, ce qui pousse les classes populaires à s’installer dans les banlieues. Entre les deux, se trouve "cet espace interstitiel de la Zone, où se trouve le lumpenprolétariat, les plus pauvres d’entre les ouvrières et les ouvriers”, détaille Jérôme Beauchez, auteur de " Les sauvages de la civilisation, regards sur la Zone d’hier à aujourd’hui” (Ed. Amsterdam, 2022). Se constitue alors un "tiers espace du conflit de classe” qui "physiquement s’incarne aux pieds de Paris” selon le sociologue.

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Ceux qui y vivent sont appelés "les zoniers”. Ils sont principalement chiffonniers, mais aussi récupérateurs de déchets, marchands ambulants ou encore rémouleurs, ces artisans qui aiguisaient des outils tranchants à l’aide d’une meule. Stigmatisés par les écrivains de l’époque, ils se voient même qualifiés par l’expression "sauvages de la civilisation” par le journaliste Alfred Delvau. Ainsi, "la bourgeoisie, les classes "dominantes", ont ensauvagé les marges et tous ceux qu’elles ont repoussées hors de la norme”, analyse Jérôme Beauchez.

Cette zone noire, appelée ainsi car considérée comme insalubre et dangereuse, dérange et alimente les légendes urbaines, orchestrées par les politiques et la presse de l’époque. La bande criminelle des Apaches qui sévit dans Paris, mais se retranche dans la Zone, est régulièrement la cible de la presse, notamment du "Petit Journal Illustré”.

Les grands zoniers, ceux qui exploitent l’espace, profitent de cette mauvaise réputation pour demander une réglementation de la part des autorités, notamment des droits de propriété légaux, pour être reconnus comme les légitimes occupants de cette zone, explique le sociologue.

D’un espace physique à un espace symbolique

Mais les pouvoirs publics ne vont pas aller dans ce sens. Après la Première Guerre mondiale s’engagent des discussions sur le réaménagement de la zone avec un concept "d’utopie urbaine” décrit par la sociologue Marie Charvet que Jérôme Beauchez résume par "la conversion de la zone noire en zone verte pour aérer la capitale, faire respirer Paris et d’une certaine façon aplanir les conflits. Évidemment cette zone verte ne verra jamais le jour”.

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Les anciennes fortifications sont détruites dans les années 1920 pour laisser place aux HBM, les Habitations à Bon Marché, sur la moitié de l’enceinte de Paris, que l’on reconnaît encore aujourd’hui à leurs fameuses façades de brique rouge. D’espace occupé par des abris de fortune, cette zone devient le lieu des quartiers pauvres que l’on construit en marge de la modernité, celle de la ville de Paris. "D’un espace physique désigné par le mot "zone", on est passé à un espace symbolique, progressivement détaché de son origine parisienne pour venir qualifier (ou disqualifier) un ensemble d’espaces marqués par des problèmes sociaux, de la marginalité “, analyse Jérôme Beauchez.

La “zonification de la banlieue”

C’est à la veille de la Seconde Guerre mondiale que l’idée de construire une autoroute urbaine fait son chemin : à la fois pour fluidifier la circulation et pour distinguer la capitale de ses alentours. En 1937, René Mestais, inspecteur général et chef des services techniques et de l’urbanisme de la ville de Paris, détaillait cette idée-là en affirmant que "Paris doit être défini de manière élégante et précise afin que les étrangers abordant l'Ile-de-France puissent dire "Voici Paris” sans la confondre avec Levallois, Aubervilliers, Pantin, Vitry ou Malakoff”, “ce qui est une conception très hiérarchisée de l’urbanisme et de la planification urbaine”, analyse le sociologue.

Dans les années 1960, la zone se dilue progressivement dans ce grand chantier urbain, et le terme de zoniers disparaît au profit de celui de "zonards”. L’histoire de la zone va alors inspirer de nombreux artistes de l’époque comme Georges Brassens qui rend hommage aux zoniers dans “La Princesse et le croque-notes” en 1972, ou  Daniel Balavoine qui fait référence aux "zonards” qui “descendent sur la ville” dans "Quand on arrive en ville”, un des tubes de l'opéra-rock Starmania en 1978. Jérôme Beauchez évoque un processus de "zonification de la banlieue” à partir du moment où “la banlieue fait l’objet de discours disqualifiants dans la presse qui la comparent à la zone”. C'est cet imaginaire qui a inspiré des artistes comme  Jul avec son titre "Alors la zone”, ou Dika avec "Wesh la zone”. Un héritage que Jérôme Beauchez remet en perspective : "Parler de la banlieue comme d'une zone de dépravation, et donc de danger pour la société, est un phénomène très ancien. Mais la banlieue n’est la zone que pour ceux qui la regardent comme ça et qui en général, la méprisent.”

À découvrir "La Zone aux portes de Paris", livre tiré de la belle exposition organisée en 2018, par la galerie Lumière des roses, à Montreuil.