Décidément, toutes les initiatives prises pour lutter contre le séparatisme sont malmenées. Il en va ainsi du Conseil des sages de la laïcité. Mis en place par l’ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-­Michel Blanquer pour « donner les instruments intellectuels nécessaires aux cadres et aux acteurs de l’Éducation nationale », il connaît des changements préoccupants… Son successeur Pap Ndiaye n’a pas fait table rase du passé, mais tente de circonvenir son dessein premier par petites touches.

Une fragilité juridique, passée inaperçue, lui a permis d’imposer son hégémonie. Alors que les premiers statuts précisaient que le Conseil « peut être saisi par le ministre », les nouveaux indiquent qu’il « ne peut être saisi que par le ministre ». Une annihilation pure et simple de l’autonomie des « sages », désormais en incapacité de s’autosaisir pour mener leur mission au sein des établissements scolaires.

Le ministre a également nommé cinq nouveaux entrants pour tenter d’entraver le cercle des vigilants originels. Parmi eux, Alain Policar concentre l’essentiel des critiques par sa conception anglo-saxonne des rapports entre État et religion. Ce chercheur de Sciences Po s’en prend volontiers à ceux qui font « de la laïcité une arme contre la religion ». Dans La Haine de l’antiracisme, ouvrage publié en mars, il dénonce ceux qui, comme Jean-Michel Blanquer et son think tank Le Laboratoire de la République, seraient « dans un esprit proche du maccarthysme », adeptes de « la chasse aux “islamo-gauchistes” et aux “wokistes” ». Voilà pour la vigilance… Dans une tribune publiée dans Le Point, « N’assassinons pas la laïcité ! », la sœur de Samuel Paty et un militant laïque, Jean-Pierre Sakoun, s’inquiètent de son arrivée. Sa position reste pour le moment isolée. Il siégera aux côtés de quinze experts anciennement nommés, et de quatre autres nouveaux : les juristes Gwénaële Calvès et Thomas Hochmann, reconnus pour leurs travaux, Christine Darnault, professeure agrégée et inspectrice d’académie et Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah. Mais la réorientation du Conseil transparaît dans d’autres ajustements. Le secrétaire général, Alain Seksig, et son adjoint, Iannis Roder, tous deux appréciés des laïques, voient leurs fonctions rendues facultatives. Un coup dur, qui porte atteinte à l’efficacité du Conseil.

Autre nouveauté, l’instance n’est plus seulement dédiée à « préciser la position de l’institution scolaire en matière de laïcité », ce qui était déjà un immense chantier, mais s’ouvre à la lutte contre le racisme, l’anti­sémitisme et à « tout ce qui ébrèche le contrat républicain », selon Pap Ndiaye dans Le Monde. Une évolution qui n’aurait rien d’inquiétant si le ministre n’avait pas tenu des propos, lors de son déplacement aux États-Unis, en faveur d’une « culture plus inclusive », qui confond parfois multiculturalisme et relativisme culturel au détriment de l’exigence de laïcité.

Un haut fonctionnaire dénonce une mise à mal fatale de l’instance et claque la porte.

Mis bout à bout, ces changements ressemblent à des renoncements et font hurler la droite. Bruno Retailleau a dénoncé sur Twitter « les lâchetés » de Pap Ndiaye qui « baisse la garde ». La rapporteuse du projet de loi séparatisme, sénatrice LR, est allée plus loin : « Je suis scandalisée. Je n’ai aucune confiance en ce ministre. C’est un wokiste qui ne comprend rien à ce qu’il se passe dans les établissements. » L’accusation est exagérée, la prudence reste de mise. Le Conseil vient de connaître une démission retentissante, celle de Jean-Éric Schoettl. Ce haut fonctionnaire dénonce une mise à mal fatale de l’institution. Au même moment, selon le ministère de l’Éducation nationale, on dénombre au troisième trimestre 2022 plus de 1 300 atteintes au principe de laïcité en milieu scolaire.