Handicap intellectuel. Près de 8000 personnes sans solution dans le Nord : "On est invisibles"

Dans le Nord, près de 8000 familles sont dans l'attente d'une place pour une personne handicapée intellectuelle de leur foyer. Les Papillons Blancs lancent un cri d'alerte.

Le passage à la vie adulte est critique, pour les personnes déficientes intellectuelles et leur famille. Dans le Nord, la situation est alarmante.
Le passage à la vie adulte est critique, pour les personnes déficientes intellectuelles et leur famille. Dans le Nord, la situation est alarmante. ©Illustration/Pixabay
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Chaque année depuis 2016, l’association Udapei – Papillons Blancs se mobilise pour la cause. Mais pour l’heure aucune solution efficace n’a été mise en place, pour les familles en quête d’une place pour accueillir et/ou s’occuper d’une personne du foyer touchée par un handicap intellectuel. Dans le Nord, près de 8000 dossiers sont en attente*.

Faire prendre conscience de la réalité

#SansSolution : c’est logiquement le nom de la campagne choisi par l’Udapei – Papillons Blancs pour alerter sur la situation des familles qu’elle accompagne dans le Nord. Dans une série de vidéos, l’association relaie des témoignages poignants de parents désespérés, sur liste d’attente pendant parfois plusieurs années, pour avoir une place en foyer pour leur enfant.

« Le problème se pose bien souvent à l’âge adulte », relate Claude Hocquet, président de l’Union départementale des Papillons Blancs du Nord. « Les parents se retrouvent à ce moment démunis. Il est important de faire prendre conscience de la réalité ! » 

Christel Valin, mère de deux jeunes filles de déficience mentale avec des syndromes autistiques, témoigne : « Elles sont nées au temps de la mode de l’autisme ». La famille n’a pas rencontré de difficultés pour la scolarité, mais s’est posé le problème du passage à la vie adulte. « J’avais cru que si on créait un établissement avec 75 places pour les jeunes, on créerait forcément plus tard une structure pour quand ils deviendraient adultes. Et là j’ai du faire face à une réalité.

L’autisme n’est plus à la mode, la nouvelle star de la ‘fashion week’ c’est l’inclusion. (…) Nos jeunes ont le droit d’avoir une place adaptée à leur handicap.

Christel Valin, mère de deux jeunes filles handicapées

« Depuis quelques années l’inclusion est à la mode. C’est bien, mais cela n’est pas possible pour tout le monde », appuie Claude Hocquet, qui rappelle que « le handicap intellectuel, ce n’est pas que la trisomie 21 et l’autisme Asperger. » Ce sont aussi des handicaps lourds, des personnes pour lesquelles un suivi continu et poussé est nécessaire.

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« A 20 ans, c’est le trou noir »

Emmanuelle Prestat, maman d’une jeune femme de 22 ans, s’est arrêtée de travailler il y a 20 ans pour s’occuper de sa fille. Elle n’est pas autonome et ne parle pas. « Jusqu’à la majorité, on trouve des solutions. Puis après 20 ans, on réalise qu’il n’y a plus rien, c’est le trou noir. Pendant 20 ans, on bataille avec une énergie de dingue, et à l’âge adulte on se trouve face à un précipice », témoigne la mère de famille, partagée entre l’abattement, la tristesse et la colère.

Comme cette mère, Pascal Laversin, père de Clara, jeune femme de 20 ans déficiente intellectuelle avec des troubles autistiques, est perdu. « Nous n’avons pas de solution à long terme en vue », assure le père de famille. Sa fille, accueillie en Belgique pendant sa scolarité, est pour l’heure en centre d’accueil de jour à Hazebrouck. Elle rentre donc chaque soir chez elle. « Nous réussissons à nous organiser, avec mon épouse, malgré nos travails respectifs, mais on ne pourra pas continuer longtemps comme ça ». Or ils ont besoin d’un éducateur pour gérer Clara, et donc d’une place en foyer, avec un internat qui la prenne en charge la semaine.

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Des nuits blanches et une crainte pour l’avenir

« Quand on toque aux portes, on nous dit qu’il y a entre 3 et 5 ans d’attente. On constitue donc des dossiers, et on les dépose. On en est à 10. Et après, il ne suffit pas d’attendre. Parfois on n’a pas de réponse, il faut relancer, visiter les lieux aussi pour voir s’ils sont adaptés. C’est une attention de tous les jours », affirme Pascal.

Lui et sa femme, comme Emmanuelle et son époux, sont dans l’impasse. Ils craignent pour l’avenir de leurs enfants. « Nous avons une épée de Damoclès sur la tête. On ne sait même pas si notre enfant pourra avoir une vie digne, après notre départ, car nous ne sommes pas éternels », témoigne Emmanuelle. Pour Christel, on en arrive à des pensées terribles. « J’ai bien compris que pour mes filles aient une place, il faut qu’un autre meurt. (…) Je n’avais jamais pensé pouvoir me transformer en vautour un jour. »

Ne pas voir d’avenir pour nos enfants, c’est inconcevable. Ca le serait pour toute famille, mais pour nous il faut croire que c’est presque ‘normal’. On est invisibles. C’est insupportable !

Emmanuelle Prestat, mère de famille

Des gouvernants hors sol 

Claude Hocquet dénonce des « gouvernants hors sol », en France. « On a d’ailleurs été épinglé par l’Europe sur notre politique du handicap, on espère que ce sera une pression supplémentaire ». Lui, comme les parents que l’association accompagne, espère encore que les choses changent. « Que nos politiques viennent visiter ces établissements, (…) viennent voir ce que c’est que qu’un vrai handicap », appelle Christel Valin.

« Il n’y a aucune retombée concrète malgré nos alertes, malgré qu’on descende dans la rue ! On ne trouve pas les moyens de mobiliser. Les politiques sont hors sol, n’ont pas conscience de la réalité. On le voit bien lors de visites dans les centres d’accueil ».

Claude Hocquet

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Des annonces « coup de com »

Claude Hocquet dénonce des annonces « coup de com » par le gouvernement, quelques jours après la Conférence nationale du handicap (CNH) à laquelle n’a pas participé l’association :

  • 1,5 milliard d’euros pour l’accessibilité, « mais à chaque fois, c’est décalé par les lobbyings », dénonce-t-il,
  • des fauteuils roulants gratuits dès 2024, mais « encore faut-il voir quels modèles. Est-ce que, comme pour les lunettes, ça va être du bas de gamme ? Pour les familles, ce n’est pas possible, les équipements doivent être de qualité ! »,
  • la création de 50 000 places ou dispositifs sans création d’établissements.

Il pointe du doigt les « dispositifs » en question, qu’il juge souvent « inadaptés ». « Ce sont par exemple des accompagnements à domicile, avec donc une personne chez les familles. Vous imaginez, avoir un éducateur chez vous en permanence ? Ce n’est pas le souhait des familles », insiste-t-il. Sans compter l’interaction sociale, qui est un bénéfice pour de nombreuses personnes accompagnées. « Les familles ne sont pas écoutées, alors qu’elles sont au cœur des problématiques du quotidien », peste le représentant des Papillons Blancs.

L’association compte sur les élections sénatoriales pour toucher les politiques. « Nous allons interpeller les candidats. On espère qu’ils vont nous entendre. On continue, on ne désespère pas. »

*Selon une enquête réalisée par l’Union départementale des Papillons Blancs du Nord. Ce chiffre provient des listes d’attente et qui pourrait être alourdi par le nombre de personnes ayant un accompagnement partiel et/ou inadapté comme c’est le cas de jeunes scolarisés ponctuellement, ou encore les personnes orientées en Belgique, faute de place en France.

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