Mêmes hommes, mêmes pancartes, à Bruxelles et ailleurs: des “pseudo-manifestants” envoyés en Europe par la Russie

Une enquête réalisée par plusieurs médias européens - dont DR (la radiotélévision publique danoise), Le Monde ou encore le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung - a permis de retracer plus d’une dizaine d’actions dans différentes villes d’Europe. Le modus operandi ne varie jamais: trois hommes se rendent dans des rassemblements qui n'ont visiblement aucun lien avec la guerre en Ukraine et publient les images sur les réseaux sociaux. Les messages apparaissant sur les pancartes restent quasiment identiques: “OTAN, arrêtez de bombarder Donetsk”, “Les États-Unis, arrêtez de financer la guerre en Ukraine” et “N’envoyez plus d’armes à l’Ukraine! Zelensky bombarde Lougansk et Donetsk”. Entre décembre 2022 et mars 2023, ces pseudo-militants ont participé à plus de dix manifestations, dont une contre la réforme des retraites à Paris, une autre pour le climat à La Haye ou encore une manifestation intersyndicale à Bruxelles.

Selon DR, dans la capitale belge, ces individus sont apparus à l’occasion d’au moins quatre rassemblements: trois manifestations intersyndicales et une autre organisée par le secteur de la santé. Sur les réseaux sociaux, tout est fait pour faire croire à des rassemblements contre l’aide occidentale apportée à l’Ukraine.

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Søren Liborius, conseiller au sein du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), le service diplomatique de l’UE, a confié au média public danois que la Russie utilisait de plus en plus fréquemment des manifestations européennes pour réaliser des "opérations à court terme” visant à semer la discorde dans les pays occidentaux autour de la guerre en Ukraine.

Un document des services de renseignement russes, obtenu et authentifié par les auteurs de l’enquête, illustre ce genre de stratégie mise en place par Moscou. Dans ce rapport, nommé “Projet anti-Erdogan”, les services russes identifient certaines tensions présentes entre “la Turquie et les pays de l’Union européenne” et parlent d’un “accroissement du sentiment anti-Islam” en Europe. Le document suggère alors d’user de ce “sentiment” et de demander à des “résidents locaux ou migrants” de se filmer en train de réaliser des actions anti-Erdogan dans différentes villes européennes.

“Une partie des campagnes de désinformation russes consistent à s’appuyer sur des tensions réelles, comme celles qui existent déjà entre la Turquie et l’Allemagne ou entre la Turquie et la France (...)”, a confié au Monde un agent de renseignement européen sous couvert de l’anonymat.

“Grâce à ses pions placés stratégiquement au sein de la foule, Moscou peut “faire croire que plus de 100.000 personnes ont protesté contre l’aide occidentale en Ukraine”, explique Søren Liborius. Ces photos sont publiées en masse sur les réseaux sociaux par des hommes de paille dans l’espoir de toucher le plus de monde possible. Certaines images ont par exemple été diffusées en ligne par deux personnes âgées d'une vingtaine d'années originaires de Saint-Pétersbourg via différents profils Facebook et YouTube, a découvert DR.

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D’après un rapport des services russes, l’opération a été un réel “succès”. Une affirmation qui semble quelque peu exagérée face aux informations rapportées par Le Monde. Les publications retrouvées par le journal français n’auraient en effet généré que très peu d'interactions. Sur Facebook, seules neuf personnes ont “liké” un des évènements partagé dans le groupe “Diaspora turque en Europe”. Les chiffres augmentent légèrement sur TikTok et YouTube: des milliers de vues et quelques centaines de likes. Néanmoins, Le Monde affirme que la majorité des commentaires postés par des internautes proviendraient en réalité de “bots”, des faux comptes créés uniquement dans le but de gonfler les chiffres.

Ce genre d’opérations permet par ailleurs de répandre des informations erronées de manière très économique. On le sait, la Russie mène une “guerre de l’ombre” dans laquelle la désinformation, la propagande, la manipulation et l’espionnage sont rois. Selon Søren Liborius, la Russie n’espère pas convaincre une grande majorité. “Cela suffit si certaines parties de la société sont touchées. L'objectif de Moscou est de semer la zizanie”, conclut le diplomate.