Philippe de Villiers, l’affidé de Moscou

Desk Russie continue de publier des articles dénonçant des poutinolâtres français. Constance Mercier s’attaque ici à une personnalité sulfureuse bien connue, Philippe de Villiers, un souverainiste et un complotiste, qui s’est employé à vanter les « mérites » du « charismatique » président russe, même après l’annexion de la Crimée, et qui dénonce l’Occident et l’OTAN en parlant de l’agression russe contre l’Ukraine. Un résumé accablant.

Dans son livre précurseur portant sur les affidés, voire les séides de la Russie, Cécile Vaissié s’est attardée, à juste titre, sur les élucubrations de l’éphémère ex-secrétaire d’État à la Culture (il n’a jamais été ministre à part entière) et sur son voyage à Moscou, à la belle saison 2014, peu après l’annexion de la Crimée1. L’autrice s’interroge sur les raisons pour lesquelles Poutine l’a reçu en personne et, se fondant sur l’hypothèse émise alors par Marcin Rey, se demande si ce n’est pas lié aux fonctions de son frère, alors chef d’état-major des armées. Ou des affaires de ses fils avec la Russie.

Il faut dire que Pierre de Villiers ne semble pas vraiment éloigné de son politicien de frère : le général estimait à propos de l’Ukraine, en novembre 2022, que la guerre n’était pas de l’intérêt des pays européens, encore moins de la France. Déclarant que « cette guerre n’est pas la nôtre », il déplorait un alignement sur les thèses américaines, tout en appelant à une bien illusoire négociation. On sait d’ailleurs à quel point l’armée française est pénétrée du tropisme russe.

Poutine, « le plus grand chef d’État actuel » 2

C’est ainsi que l’ex-élu de Vendée le décrit comme « un vrai chef d’État, patriote, cherchant à restaurer les valeurs politiques, culturelles et morales de la grande Russie […]. Il est l’homme qui a fait sortir la Russie de l’ère communiste et qui lui rend sa grandeur […]. Il faudrait aujourd’hui en France un gars comme Poutine à la place de Hollande. » Il persiste au micro de RTL, le 16 août 2014, préconisant d’échanger Hollande ou Sarkozy contre Poutine.

« J’ai été frappé, poursuit-il, par le charisme de l’homme d’État, sa hauteur de vue, son attention pour les échanges culturels »3. En toute logique, il continue en condamnant les sanctions adoptées envers Moscou et se déchaîne contre l’Amérique, à l’origine de tous les maux de la terre, « qui met le feu partout », composée de « pompiers pyromanes ».

Il n’hésite pas à qualifier Poutine « de ces grands hommes de l’Histoire dont on comprend souvent après leur mort à quel point ils manquent à l’humanité et ce qu’ils lui ont réellement apporté. Il est très charismatique, brillant, mais également plein d’humour et d’une véritable humilité. […] Il appartient à une catégorie d’hommes d’État qui a quasiment disparu aujourd’hui. »4

« J’ai souligné auprès de lui, insiste Villiers, que l’avenir de l’Europe ne doit pas s’écrire sur le continent américain, mais sur le continent européen. L’Europe ne peut pas se faire sans la Russie. […] L’Europe est devenue la cinquante et unième étoile du drapeau américain. J’accuse l’Amérique de chercher la guerre partout dans le monde. »

Il continue dans la même ligne et signifie à son interlocuteur que les sanctions sont « des actes de guerre ». Célébrant une amitié franco-russe « indéfectible », il déclare que les peuples européens regardent Poutine « comme un chef d’État qui a une parole pour le monde »5.

Ne convient-il pas de s’inquiéter quand Villiers pose la question de savoir si le monde libre, indépendant, n’est pas désormais à l’Est ; et le monde asservi — sous domination américaine — désormais à l’Ouest ? Bien entendu, il enjoint à la France de sortir de l’OTAN, laquelle « doit disparaître ». Poutine a-t-il jamais fait face à un tel délire de bassesse et de flagornerie, au lendemain, insistons, de l’annexion de la Crimée ?

Pour le Vendéen, « la Russie ne représente aujourd’hui non seulement plus une menace, mais elle est pour nous une opportunité fantastique tant sur le plan économique que sur le plan moral, parce qu’elle est sortie de l’idéologie que nous avons fabriquée pour elle — Marx et Engels sont européens — et elle peut nous aider à nous libérer nous-mêmes de nos dérives idéologiques »6.

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Emmanuel Macron et Philippe de Villiers au Puy du Fou en août 2016 // iTélé, capture d’écran

Comment un politicien français ose-t-il prétendre qu’il « y a plus de liberté d’expression en Russie que chez nous »7 ? À l’enfer français, il préfère assurément le paradis russe, annonçant en outre qu’après le mur de Berlin va s’effondrer le mur de Maastricht8, lui qui est l’un des eurodéputés tricolores les moins assidus, remportant la 78e et dernière place9.

Paradis où il ne cache pas se rendre souvent, déjeunant un jour chez un oligarque russe avec Jean-Marie Le Pen, qui le décrit comme « très gentil et très brillant »10. Ce lien particulier est peut-être la raison du soutien que l’ex-secrétaire d’État apporte à Marion Maréchal-Le Pen, autre inconditionnelle, à l’instar de sa tante Marine, de la Russie de Poutine. Lorsque cette dernière est reçue au Kremlin, il qualifie sa visite d’acte « courageux et bienvenu »11. Villiers est également proche d’Aymeric Chauprade, ce disciple d’Alain Soral, qui a prétendu que les attentats du 11 septembre 2001 étaient l’œuvre des « américano-sionistes », pour finir par soutenir Fillon à la présidentielle de 2017.

Business, business !

Cécile Vaissié a révélé que l’un de ses enfants, Guillaume de Villiers, faisait des affaires avec la Russie — pays où il réside — dans le cadre de son engagement au sein de Barnes Russie, agence de grand luxe proposant aux oligarques russes des résidences de haut standing. Il y aurait ainsi rencontré Axionov, le gouverneur de la Crimée conquise, soupçonné d’entretenir des liens avec le crime organisé.

Son autre fils, Nicolas, tente d’implanter un Puy du Fou en Crimée, de même qu’à proximité de Moscou. Il est proche de l’oligarque milliardaire ultraconservateur Konstantin Malofeïev, que Villiers père qualifie d’ami : « C’est un patriote amoureux de la Russie […]. Je réponds de son honnêteté et de sa grandeur d’âme. Si l’Union européenne, qui est le faux nez de l’OTAN, l’a placé sur sa « liste noire », ce n’est que pour des raisons idéologiques et sur ordre des États-Unis, dont le vrai but est de démolir Poutine pour installer leur modèle de société. »12

Malofeïev verse aussitôt dans l’éloge de Villiers : « Je regrette qu’en Europe les personnalités comparables à Philippe de Villiers soient si peu nombreuses. Les responsables politiques européens devraient prendre exemple sur lui. Les décisions qu’il prend sont les siennes, elles ne sont pas dictées par des fonctionnaires subalternes du département d’État américain ! »13

Nicolas rend un hommage appuyé, dans Le Courrier de Russie, à Poutine qui « voulait permettre à la Crimée de se développer notamment en matière de tourisme. Le projet correspond donc tout à fait aux intentions du président et du gouvernement russes. »14 En somme, camarades, obéissons, plions-nous aux ordres (rémunérés) de saint Poutine !

En Vendée, où Villiers annonçait la venue de ce dernier — pas moins —, les réactions hostiles à ces projets russes sont nettes. La députée Sylviane Bulteau rappelle que la Crimée fait partie de l’Ukraine et que son annexion, brutale et illégale, relève du coup de force d’un régime autoritaire, faisant grief à Villiers de jouer contre son pays. De même, l’ancien maire de La Roche-sur-Yon, Pierre Regnault, condamne le brevet de bonne conduite donné par l’ex-secrétaire d’État à Poutine, « ex-chef du KGB, qu’il exécrait il n’y a pas si longtemps quand il faisait venir Soljenitsyne aux Lucs-sur-Boulogne. […] Visiblement, il se sert à nouveau de la politique pour faire des affaires. »15

« Villiers, meilleur complotiste de France »

16

Dans J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu, paru en 2019, Villiers accuse Jean Monnet et Robert Schuman de trahison, le premier étant désigné comme un agent aux ordres de la CIA. Valeurs actuelles du 7 mars accorde une large place — douze pages — à ce livre, dont la thèse — s’inspirant largement d’un François Asselineau, ce qui en révèle le sérieux — est aussitôt dénoncée par Thomas Mahler dans Le Point du 6 mars, qui le qualifie de « complotiste (et plagiaire) ».

Sous le titre « Philippe de Villiers et sa falsification de l’histoire de l’Union », Le Monde du 28 mars publie une tribune, signée par un grand nombre d’historiens (dont Eric Roussel, membre de l’Institut de France), qui dénoncent avec virulence ses innombrables erreurs et son inclination complotiste, concluant que « Villiers est tout à fait en droit de ne pas aimer la construction de l’Europe, mais pas celui d’en falsifier l’histoire au nom d’une idéologie ». Et quand l’ex-élu vendéen tente de se justifier dans l’édition du 11 avril, en reprenant ses thèses complotistes exposées dans Le Figaro du 26 mars, Eric Roussel — historien reconnu — les réduit à néant dans ce même numéro, démontrant que Jean Monnet n’était en rien le vassal de Washington, se demandant si Villiers sait seulement que Staline a existé. Roussel insiste sur « l’esprit foncièrement complotiste » de l’auteur.17

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Bertrand, Philippe et Pierre de Villiers à Nantes en 2018. Photo : Ouest-France

De même, le 31 mars, Le Journal du dimanche accorde cinq pages à ce livre, pour lequel un expert des services russes pense que « son parti pris témoigne de ce que [Villiers] a été sous influence », Cécile Vaissié soulignant pour sa part que cet ouvrage est dans la droite ligne du discours de Moscou.

L’américanophobie

Sa haine de l’Amérique — déjà relevée plus haut — aurait inspiré un Jules Renard qui en substance considérait que « si vous ne voulez pas d’ennemi, n’aidez jamais personne ».

Villiers va jusqu’à établir un incroyable parallèle entre « les impérialismes américain et islamiste [qui] grandissent en se nourrissant mutuellement ».18

Lors de l’annexion de la Crimée de 2014, il se félicitait que Poutine, dont il épouse systématiquement les vues, soutienne « les populations russophones qui commençaient à être unilatéralement massacrées ou humiliées par des extrémistes ukrainiens soutenus par l’Union européenne ». À la question de savoir si la Russie ne se révèle pas être un pays hégémonique, il répond, catégoriquement : « Absolument pas. […] Poutine ne poursuit pas une hégémonie russe mais une harmonie territoriale et diplomatique », rendant aussi hommage, au passage, à son action en Syrie19 et dénonçant les médias qui s’alignent sur l’Amérique, de façon, selon lui, « agressive et foncièrement erronée »20.

Et qu’en est-il après l’offensive déclenchée en février 2022 ? Aucune réserve, aucune critique ou condamnation de la Russie, Villiers se bornant à déclarer qu’il ne « comprend pas ce que fait Poutine ». Il s’emploie surtout à dénoncer les Occidentaux, se disant « estomaqué par l’esprit de soumission de toute la sphère bruxelloise aux commandements de l’OTAN. Au nom d’un atlantisme d’un autre âge, les dirigeants européens punissent leurs peuples pour enrichir l’Oncle Sam qui tire du conflit toutes les prospérités de ses schistes bitumeux. Il est de plus en plus clair que l’Union européenne n’est que l’annexe de l’OTAN. »21

À l’instar des extrêmes, Villiers se couche devant nos ennemis et dénonce exclusivement nos alliés. Un Zemmour a ainsi rendu un hommage appuyé à ses mémoires dans lesquels l’ex-élu de Vendée dévoile un rendez-vous secret avec Chevènement, « un homme droit, un patriote, un esprit fin », autre inconditionnel de la Russie. On se souviendra enfin que le vicomte de Villiers appelait, dès septembre 2003, à l’unité des gaullistes, des chevènementistes et des souverainistes pour défendre l’Europe des nations… Et les insoumis ?

Constance Mercier est un pseudonyme.

Notes

  1. Cécile Vaissié, Les réseaux du Kremlin en France, Les Petits matins, 2016, p. 273-281. Cf. aussi Nicolas Hénin, La France russe, Fayard, 2016, p. 99-102
  2. Valeurs actuelles, 4 septembre 2014.
  3. Le Figaro, 18 août 2014.
  4. Marine et Océans, n° 245, octobre-décembre 2014.
  5. Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel, 2015, p. 333-334.
  6. Marine et Océans, art. cit.
  7. Le Figaro, 23 février 2015.
  8. Valeurs actuelles, 7 mars 2019.
  9. L’Express, 17 juillet 2008.
  10. Causeur, été 2021, p. 50.
  11. Le Figaro, 1er avril 2017.
  12. Valeurs actuelles, 2 octobre 2014.
  13. Politique internationale, n° 145, automne 2014, p. 259.
  14. Cité par Christine Chamard, Puy du Fou, la grande trahison, Max Milo, 2019, p. 282.
  15. Ibid., citant Ouest France du 17 août 2014.
  16. Titre de l’article de L’Express, 3 juin 2021.
  17. Eric Roussel, C’était le monde d’avant, L’Observatoire, 2022, p. 212. Dans Le Puy du Faux (Les Arènes, 2022), Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère s’attardent sur l’esprit de falsification qui anime Villiers.
  18. Le Figaro, 24 mai 2003
  19. Marine et Océans, art. cit.
  20. Valeurs actuelles, 28 juillet 2016.
  21. Le Figaro magazine, 30 septembre 2022.

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