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ReportageEau et rivières

En Turquie, un des plus grands lacs alcalins du monde s’assèche peu à peu

Le lac d’Akgöl, dans la province de Van en Turquie, est sévèrement asséché depuis plusieurs années. Fayçal, un berger, y a vu plusieurs de ses moutons mourir.

Comme la majorité des lacs turcs, celui de Van, est menacé par la sécheresse. Chaque année, l’eau manque. Une préoccupation pour les Kurdes.

Anatolie orientale (Turquie), reportage

Tous les jours, Fayçal, 24 ans, vient faire paître ses moutons au bord du lac d’Akgöl, dans la province de Van. Ce lac d’altitude entouré de sommets enneigés est comme sa maison. Oasis pour de nombreuses espèces d’oiseaux, il s’est sévèrement asséché depuis ces deux dernières années. « Plusieurs de mes moutons sont morts, raconte le jeune berger. L’herbe est plus basse qu’avant, elle est devenue jaune. » Les rives du lac, d’habitude gorgées d’eau, ne sont plus que craquelures. Le paysage est lunaire. « Avant, tout était beaucoup plus beau. Tout était plus vert », se souvient Fayçal.

Le lac d’Akgöl est l’un des nombreux lacs de montagne qui surplombent le lac de Van, non loin de la frontière iranienne. Tous sont sujets à des périodes de sécheresse extrême, décuplée ces dernières années en raison du réchauffement climatique. Au cours des cinquante dernières années, 60 % des 300 lacs naturels de Turquie se sont asséchés.

© Louise Allain / Reporterre

Aux confins du Kurdistan turc, le lac de Van ne fait pas exception. Perché à 1 640 mètres d’altitude, c’est le plus grand de Turquie, et un des plus grands lacs alcalin au monde, explique Mustafa Akkus, responsable du département des ressources en eau à l’Université de Van : « Lorsqu’il s’est formé il y a environ 800 000 ans, c’était un lac d’eau douce. Ce lac, à bassin fermé, s’est transformé peu à peu en lac alcalin suite à l’activité volcanique aux alentours. Il a aujourd’hui un pH compris entre 9.7 et 9.8. » Cette étendue d’eau de plus de 3 700 km² est sacrée pour la population d’Asie de l’Ouest qui le considère comme une mer. Témoignage du passé de la civilisation Urartu, les châteaux de cet ancien royaume bordent le lac. Ils ont été recouverts d’eau au fil des siècles, mais la baisse du niveau des eaux les a fait réapparaître. « C’est un événement cyclique, cela se passe tous les 1 000 ans », assure Rafet Çavuşoğlu, professeur d’archéologie à l’université Yüzüncü Yıl de Van.

Une rivière se jette dans les abords desséchés du lac Turna, à l’est de Van. © Paul Lemaire / Collectif Hors Format / Reporterre

Le lac de Van, symptôme d’une sécheresse généralisée

Pourtant, la vision de la sécheresse est bien là, sous les yeux du jeune Ümit. Originaire de la province de Van, ce Kurde de 32 ans connaît les recoins du lac comme sa poche. En crapahutant sur les stalagmites auparavant englouties, Ümit se désole de voir le lac reculer. Alors que la période de la fonte des neiges est sur le point de se terminer, le niveau du lac est déjà deux mètres en dessous de ce qu’il devrait être. « Nous observons avec effroi le changement climatique opérer. »

Pour le vétérinaire Loğman Aslan, le lac de Van, point de passage pour beaucoup d’oiseaux migrateurs, s’est asséché en raison du réchauffement climatique. © Paul Lemaire / Collectif Hors Format / Reporterre

À quelques mètres du département d’archéologie, l’imposante université de Van qui fait face au lac abrite le centre de conservation et de réhabilitation des animaux sauvages. Loğman Aslan, vétérinaire, est le gardien des lieux. Le médecin aux cheveux longs, tirés en arrière, a constaté les effets du réchauffement climatique sur la faune locale. « Personne ne prend garde aux animaux de notre région, alors qu’ils sont les premiers affectés », certifie-t-il. « Pour ma part, j’observe avec inquiétude la disparition des abeilles », insiste à ses côtés Mehmet Ramazan Rişvanlı.

Le jeune doctorant regrette ne pas pouvoir effectuer plus d’explorations scientifiques pour étudier les conséquences du réchauffement climatique en raison de l’insécurité de la région. « Le bassin du lac de Van est l’un des endroits les plus flagrants au monde pour montrer les effets de la sécheresse, dit Mustafa Akkuş, professeur à la faculté des ressources en eau de l’université. Ce phénomène est visible dans différentes parties du bassin. Tout cela est assez préoccupant. »

En Turquie, ces cinquante dernières années, 60 % des 300 lacs naturels se sont asséchés (ici, le lac Turna, à l’est de Van). © Paul Lemaire / Collectif Hors Format / Reporterre

« Lorsqu’une espèce est menacée, tout l’écosystème est en péril »

Le lac de Van est un point de chute pour des milliers d’oiseaux migrateurs qui s’envolent vers l’Inde et l’Arabie saoudite. « Lorsqu’une espèce est menacée, c’est tout l’écosystème qui est en péril », dit Loğman Aslan. Dans le petit cocon implanté au centre de l’université, le vétérinaire récupère des animaux blessés. « Mon travail est de les soigner avant de leur rendre leur liberté lorsqu’ils sont prêts à retourner dans leur habitat naturel. »

Dans la salle de conférence de son département, une vingtaine d’animaux empaillés sont exposés. Ours, renards, loutres, blaireaux et plusieurs espèces d’oiseaux sont représentées pour brosser la richesse de la faune locale. Parmi elles, une grande volaille au cou étiré et aux longues pattes. « C’est une outarde, précise le médecin. Dans notre région, il n’y en a plus qu’une centaine. C’est une espèce menacée. »

Au pied de la très touristique île d’Akdamar, les bandes blanches témoignent de la baisse du niveau de l’eau. © Paul Lemaire / Collectif Hors Format / Reporterre

Alors que la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan avait jusque-là choisi de privilégier le développement du pays au détriment de l’environnement, la ligne politique restera-t-elle la même à l’issue des élections présidentielle et législatives de dimanche 14 mai ? Le président sortant est en tout cas candidat avec un bilan politique catastrophique en matière d’écologie, comme l’a montré Reporterre dans un autre article.

« Aucun parti politique ne priorise l’écologie », assure Ali Kalçık, directeur de l’ONG écologiste Çev-Der, située à Van. Ses prises de position, Ali Kalçık les a payées le prix fort. Quatre amendes administratives lui sont tombées dessus pour avoir critiqué dans la presse l’absence de mesures de la ville de Van quant à la crise climatique. « Notre lac est sacré, il s’assèche, et aucune mesure n’est mise en place pour lutter contre cela », soupire le militant.

« C’est très inquiétant »

Néanmoins, si le gouvernorat de Van n’a pour le moment pas aménagé de loi visant à préserver l’eau du lac, elle a tout de même agencé une protection pour une partie de sa faune. Sur les rives du lac de Van au coucher du soleil, adossés à un monument urartéen ressurgit des eaux, deux soldats campent. En treillis, une arme sur l’épaule, les deux hommes sont là pour veiller à ce que personne ne pêche le mulet perlé. Cette espèce de poisson endémique vit dans le lac de Van et migre vers les eaux douces pendant la saison de reproduction. Grâce à cette protection, le mulet qui était en voie de disparition il y a vingt ans, ne croule plus sous la menace.

Des Kurdes plantent des tomates sur le bord du lac de Van. Elles irriguent au goutte à goutte. © Paul Lemaire / Collectif Hors Format / Reporterre

Quant aux agriculteurs, situés dans une région regorgeant de champs (blé, orge, maïs, noix, pastèques, pommes...), certains se sont tournés vers d’autres pratiques, moins néfastes. Le goutte à goutte permet par exemple une meilleure économie de l’eau. « Il n’a pas beaucoup plu ces dernières années. Il n’y a pas eu beaucoup de neige non plus », remarque Gülten. Cette agricultrice de 21 ans cultive des tomates au bord du lac de Van à l’aide de cette technique d’irrigation. « Je travaille la terre, car j’aime être au contact de la nature. Cela m’attriste de voir le lac diminuer », dit-elle.

Ragip est kurde, il vient souvent sur le bord du lac de Van avec son cousin. « Le niveau du lac a beaucoup baissé ces dernières années, c’est très inquiétant. » © Paul Lemaire / Collectif Hors Format / Reporterre

Une musique s’échappe d’une voiture verte rétro. Perchés sur une colline dominant le lac, Farouk et son cousin Ragip viennent ici chaque semaine pour contempler le coucher du soleil. Assis sur des petits tabourets, dégustant un thé réchauffé par le feu, la cigarette aux lèvres, les deux hommes trouvent leur tranquillité sur ce lopin de terre. « Pour moi, le lac représente la liberté, la paix, la plénitude », confie Farouk, la quarantaine. « Le niveau du lac a beaucoup baissé ces dernières années, c’est très inquiétant », soulève Ragip, de dix ans son aîné. Ce constat d’impuissance, les deux cousins le partagent dans la dernière bouffée de soleil du jour. « J’ai deux enfants, et je ne sais pas quel monde je vais leur laisser », confesse Farouk.


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