Addiction, abrutissement, souffrance : TikTok et les risques de troubles psychologiques

Les réseaux sociaux peuvent permettre de « repérer une souffrance ». Cependant, s'il existe une souffrance, elle doit être remise en perspective avec les contextes familiaux, amicaux, amoureux et de la santé mentale de l'adolescent en question. [Ground Picture/Shutterstock]

La commission d’enquête du Sénat sur l’influence du réseau social TikTok a traité jeudi (11 mai) des effets psychologiques de l’application et des enjeux de l’éducation numérique. Des experts ont notamment alerté quant aux réels effets de l’application sur les mineurs, tout en nuançant certaines idées reçues.

Les chiffres énumérés par le président de la commission, Mickaël Vallet, sénateur du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) posent question sur les conséquences de l’application sur les jeunes : 70 % des utilisateurs de TikTok en France ont moins de 24 ans, 40 % des 16-25 ans passent du temps sur l’application quotidiennement, et enfin, les 4-18 ans passent en moyenne 2 heures par jour dessus.

Face à ces chiffres, Angélique Gozlan, docteure en psychopathologie et psychologue clinicienne, rappelle que la seule certitude scientifique actuelle est que si « on donne des téléphones portables dès 18 mois ou un an, [on constate] des troubles à caractères autistiques ».

Pourtant, si les réseaux sociaux rencontrent un tel succès, c’est qu’ils sont, de manière générale, des espaces numériques qui permettent « aux adolescents de se construire en dehors du regard parental » explique-t-elle.

Cette « quête identitaire » est un « besoin à l’adolescence » pour laquelle les réseaux sociaux apportent une réponse « par la mise en image de soi, l’appel du regard de l’autre, les identifications [d]es uns aux autres ». Ils sont un espace de liberté qui permet de trouver des réponses à des questions existentielles, souligne la chercheuse.

« Tout est affaire de dosage [et] fonction […] de l’environnement de l’adolescent, de son usage singulier des réseaux sociaux et de la qualité de sa communauté numérique », concluant que les réseaux sociaux peuvent être à la fois « un remède et un poison ».

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Addiction ou abrutissement ?

Claude Malhuret, sénateur (groupe Les Indépendants – République & Territoire, LIRT, centre droit) et rapporteur de la commission, a ensuite soulevé le problème de l’ « hyperaddictivité » des jeunes utilisateurs de TikTok.

Une analyse que Mme Gozlan nuance, préférant parler d’« abrutissement aux images dû au flux vidéo » incessant.

Laurence Rossignol, sénatrice SER, s’est aussi inquiétée des conséquences négatives de l’usage des réseaux sociaux chez les jeunes, notamment les adolescentes, suggérant une corrélation entre l’utilisation des filtres sur les réseaux sociaux, l’augmentation du taux de suicide et le recours à la chirurgie esthétique.

Santé Publique France recense, en effet, une augmentation des tentatives de suicides des adolescentes et pensées suicidaires depuis 2011. Par ailleurs, le recours à la chirurgie esthétique a augmenté de 73 % entre 2020 et 2021 sur la tranche des moins de 18 ans, selon les rapports 2020 et 2021 de la Société Internationable de la chirurgie esthétique et plastique (ISAPS).

Pour Milan Hung, également auditionnée en tant que psychologue clinicienne spécialisée dans les problématiques du numérique, la corrélation entre ces indicateurs n’est pas une démonstration scientifique.

Elle explique que les réseaux sociaux peuvent permettre de « repérer une souffrance ». Cependant, s’il existe une souffrance, elle doit être remise en perspective avec les contextes familiaux, amicaux, amoureux et de la santé mentale de l’adolescent en question.

Une analyse que partage Mme Gozlan. Il y a, en effet, « un enjeu familial sous-jacent, un enjeu interne déjà préexistant et qui va se déployer sur la sphère des réseaux sociaux ». La chercheuse met donc en garde contre le fait de « psychiatriser l’usage des réseaux sociaux ».

La Commission européenne interdit TikTok sur ses appareils

La Commission européenne a demandé à ses employés de désinstaller TikTok de leurs appareils professionnels, ainsi que des appareils personnels sur lesquels ils utilisent des applications professionnelles, invoquant des problèmes de protection des données.

Éduquer ou interdire ?

Mme Rossignol suggère une prohibition pure et simple de TikTok qui permettrait, selon elle, de mettre tous les adolescents sur un pied d’égalité. Ainsi, les « enfants des CSP+ » ne seraient pas plus avantagés par leurs parents, plus prompts à leur interdire d’utiliser des écrans, « contrairement aux enfants de milieux plus populaires ».

Mais pour Mme Gozlan, interdire n’est pas une solution, car il existe toujours des contournements.

Quant à Thomas Rohmer, directeur-fondateur de L’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), il explique qu’à partir de neuf ans, les enfants savent déjà désactiver les contrôles parentaux.

Les experts plaident donc pour un changement de paradigme, où, au lieu de choisir une stratégie d’évitement du risque, il faudrait mobiliser autrement les éducateurs.

Mme Gozlan souhaite donc « déployer l’esprit critique dès l’âge de trois ans ». Elle estime qu’il y a une nécessité à améliorer la formation au numérique des adolescents.

L’hygiène numérique doit s’apprendre avec des spécialistes compétents, et concerne autant les parents que les enfants. Selon M. Rohmer, les éducateurs possèdent trop rarement des compétences à la fois techniques et pédagogiques.

Il ajoute que, selon les données de l’OPEN, 40 % des familles « installent un logiciel espion sur le téléphone de leurs enfants », de peur de les perdre, alors que ce type de logiciels nuit gravement au développement autonome des jeunes.

Le problème vient, selon Mme Hung « d’un manque d’accès à des sources d’information d’éducation numérique qui soient fiables ». Perdus, les parents peuvent être livrés à eux-mêmes et contraints de se tourner vers les réseaux sociaux, qui propagent des avis souvent dissonants.

[Édité par Davide Basso / Théo Bourgery-Gonse]

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La France va encadrer l’activité des influenceurs. Le gouvernement français s’apprête à présenter un plan visant à mieux réglementer le travail commercial des influenceurs afin de mieux les protéger, ainsi que les consommateurs, de leur contenu, a déclaré lundi (13 mars) le ministre de l’Économie Bruno Le Maire à Franceinfo.

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