Vous en parlez beaucoup, dans ce livre, de l’impossibilité du dialogue…
C’est le combustible du livre, c’est vraiment l’étincelle. J’ai gardé en moi cette sensibilité paysanne. Et puis j’ai cette sensibilité urbaine qui est là en contraste. Et puis, à l’extérieur de moi, en Suisse, il y a eu ces fameuses votations sur les pesticides en 2021. On aurait pu devenir le premier pays du monde à abolir complètement les pesticides. Et ça a créé un immense débat qui a duré six mois, qui aurait pu être un débat fertile où on aurait pu apprendre à se connaître. Et ça a été en fait un défilé d’agressivité, de malentendus, d’incompréhension. Moi, je l’ai vécu assez mal. On est beaucoup à l’avoir vécu, assez mal, mais c’est de cette ambiance, de ce manque de débat suisse qu’est né ce livre.
"Faire paysan, c’est travailler plus que tout le monde et gagner moins que tout le monde pour nourrir des gens qui croient qu’on les empoisonne". Ça, c’est ce que vous dit, à un moment, un tout jeune agriculteur...
Là, les mots suffisent… Que ce soit les médias, que ce soit les consommateurs -en Suisse, c’est 98% de la population, en Belgique, je crois que c’est à peu près pareil, on est même à 99% de la population-, les agriculteurs, il y a toujours un pollueur qui n’est pas loin, quelqu’un qui maltraite son bétail… Dans les médias, on aime bien aussi parler de ça.
La plupart des journalistes vivent en ville et il y a une approche très simpliste de cette agriculture.
Vous critiquez pas mal les médias dans votre texte, d'ailleurs ...
Dans les médias, il y a un idéal vert que je partage, je veux que cette agriculture soit verte. La plupart des journalistes vivent en ville et il y a une approche très simpliste de cette agriculture. On a envie de mettre en évidence une agriculture à alternatives. On fait des portraits assez simples de personnes qui sont sorties du modèle industriel, du modèle vraiment chimique. Et ça, c’est super. Mais on oublie les sujets de fond, se dire : mais pourquoi on en est là ? C’est-à-dire d’aller un petit peu frapper aux portes de l’agrochimie et de l’agro alimentaire, de la grande distribution, de l’Etat, les écoles d’agriculture aussi, et de comprendre comment on est arrivé là-dedans. Et je pense qu’on tape toujours en bas, on tape le petit producteur, on culpabilise le consommateur et puis on oublie de regarder en haut.
Je rappelle aussi les paysans à leurs responsabilités. Ils ont fait n’importe quoi à la fin du XXᵉ siècle, ça c’est clair.
Le paysan, vous le soutenez, vous vous le défendez. Et puis, à un moment, il y a un coup de gueule !
Le portrait idéal de l’homme en harmonie avec la nature, avec les éléments, ça ne tient pas la route. […] Je rappelle aussi les paysans à leurs responsabilités. Ils ont fait n’importe quoi à la fin du XXᵉ siècle, ça c’est clair. Maintenant, ce que l’on peut comprendre, c’est que le virage s’est amorcé depuis les années nonante. Depuis 30 ans, il y a énormément de choses qui se font pour révolutionner cette agriculture.
J’ai l’impression qu’il y a chez les agriculteurs une trop grande susceptibilité. C’est-à-dire que les questions de la ville, elles sont légitimes, elles se reposent sur quelque chose de solide et c’est la responsabilité des paysans aujourd’hui d’y répondre, de ne pas répondre par le silence ou la colère, mais d’avoir un dialogue, de permettre ce dialogue.