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L'Inde achète, raffine et revend le pétrole russe en Europe, l'UE dans l'embarras

Paradoxalement, la Russie n’a jamais autant exporté de pétrole depuis l’invasion de l’Ukraine, grâce à l’Inde qui le transforme et en revend toujours plus à l’UE. Bruxelles cherche une parade.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, tout va bien pour le pétrole russe. L’Agence internationale de l’énergie comptabilise dans son rapport pour le mois d’avril 8,3 millions de barils de pétrole par jour exportés par les Russes, 600 000 de plus que la moyenne de l’an dernier. Les rédacteurs du document manient l’euphémisme: "La Russie semble avoir peu de difficultés à trouver des acheteurs".

En la matière, il n’y a aucune trace de la distinction que le bloc occidental opère entre son concurrent systémique chinois et son partenaire stratégique indien. Pour ce qui concerne le brut, pratiquement 40% de ces ventes russes record sont destinées à l’Inde et a différence avec ce qui est acheminé vers la Chine ne s’éleve plus qu’à 100.000 barils par jour.

L'Inde achète, raffine et revend le pétrole russe

Et même si cela s’est réalisé d’abord à coup de rabais massifs, ils ne seraient plus aussi importants qu’auparavant. Alexander Potavin, analyste financier chez FG Finam à Moscou, insiste sur la hausse des prix de vente et considère aussi que les compagnies pétrolières de son pays "se sont adaptées" aux sanctions occidentales, en établissant des "canaux" efficaces auprès des Asiatiques.

Les Indiens qui, avant la guerre en Ukraine, n’importaient pratiquement pas de pétrole russe, en raffinent à présent toujours davantage, avec des reventes, en tant que produit fini fabriqué en Inde, vers l’Europe, mais également les États-Unis.

Mardi, Indian Oil Corporation (IOC), qui détient 40% des capacités nationales de raffinage, a publié un bénéfice trimestriel net en hausse de plus de moitié, avec une marge opérationnelle qui continue de progresser. Trois semaines après l’invasion de l’Ukraine, IOC avait conclu un premier contrat avec une compagnie russe. Bien d’autres ont suivi depuis.

L'Union européenne s'agace

Jusqu’ici, l’Union européenne veillait à ne pas trop s’appesantir sur le sujet. Mais mardi, dans un entretien au quotidien britannique Financial Times, le chef de la diplomatie de l’exécutif européen, Josep Borrell, s’est livré à une rare critique explicite. Il a exhorté les États membres de l’Union européenne à "agir" face à cette revente indienne de pétrole russe en tant que carburant raffiné, aux deux tiers du diesel, le reste étant du kérosène.

Tout en jugeant compréhensible que l’Inde veuille profiter d’un brut moins cher, son propos en fait "un centre" de réexportation de "sous-produits" d’origine russe. En conséquence, l’Europe est censée aller vers des restrictions.

Le ministre indien des Affaires étrangères, invité mardi à Bruxelles, pour une réunion inédite sur les échanges commerciaux et technologiques avec l’UE n’a pas vraiment apprécié la forme de l'accueil. Subrahmanyam Jaishankar a déclaré "ne pas voir de fondement" à de telles allégations. Si le brut de Russie est "transformé substantiellement", pour lui, il n'y a plus lieu ensuite de le considérer comme russe.

Déjà en début d’année, interrogé par la chaîne autrichienne ORF, il avait suggéré que si l’Europe voulait en faire une affaire de "principe", qu’elle "coupe" donc tout lien énergétique avec la Russie, y compris indirect.

L'inflation au défi de la géopolitique

Chacun peut en déduire que New Delhi met maintenant au défi Bruxelles de poser le dossier devant les gouvernements des 27, sachant que plusieurs d’entre eux, confrontés au risque inflationniste, expriment de sérieuses réserves à l’idée de se passer de ces produits indiens, quand bien même issus de la matière première russe.

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, l’a tout à fait saisi. Prenant ses distances avec le ton de son collègue chargé de la politique extérieure, elle s’est exprimée aux côtés du chef de la diplomatie indienne, en assurant que s’il exsite des "inquiétudes à soulever, ce sera avec une main tendue et non un doigt pointé". Dans ces conditions, il ne fait pas grand doute que le diesel indo-russe restera toujours disponible à la pompe.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international