"Nous sommes Russes, Dieu est avec nous" : à Moscou, la propagande s’invite dans les grandes expositions

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"Nous sommes Russes, Dieu est avec nous" : à Moscou, la propagande s’invite dans les grandes expositions

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"Les défenseurs de la Novorossia", de l'artiste Vassili Nesterenko
"Les défenseurs de la Novorossia", de l'artiste Vassili Nesterenko
© Radio France - Sylvain Tronchet

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le pouvoir russe exerce sa censure et impose ses choix dans le monde artistique. En témoigne l’inauguration d’une exposition consacrée au peintre Vassili Nesterenko et ses toiles monumentales célébrant les victoires de l’armée russe.

Il fut un temps où la salle du Manège à Moscou accueillait les grandes expositions internationales, de Salvador Dalí à Frida Kahlo, qui avait eu droit à une grande rétrospective intitulée "Viva la vida" en 2019. Aujourd’hui, la plupart des grands artistes et musées étrangers boudant la capitale russe, le Manège tend à devenir le lieu où le pouvoir impose sa vision de l’art et de l’histoire. La grande salle moscovite, située au pied des murs du Kremlin, avait notamment accueilli fin 2022 une exposition consacrée au destin commun de la Russie et de l’Ukraine qui réécrivait de façon parfois étonnante l’histoire des deux pays.

Depuis le 11 mai, le Manège est donc paré d’immenses affiches sur lesquelles on peut lire : "Nous sommes Russes, dieu est avec nous". La phrase est souvent attribuée à Alexandre Souvorov, chef militaire légendaire, vainqueur des Ottomans, des Polonais et même des Français lors de la campagne d’Italie qu’il mena au service de Catherine II. Elle est aussi le nom d’une toile monumentale de Vassili Nesterenko, retraçant une autre bataille restée mythique en Russie : l’attaque des morts. En 1915, en pleine Première Guerre mondiale, une compagnie russe avait mené un assaut victorieux contre les troupes allemandes à Osovitse, en Pologne, malgré les gaz de combats envoyés par l’ennemi qui leur donnaient l’air de morts-vivants.

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"Nous sommes Russes, dieu est avec nous", de Vassili Nesterenko
"Nous sommes Russes, dieu est avec nous", de Vassili Nesterenko
© Radio France - Sylvain Tronchet

L'un des peintres favoris de Poutine

À vrai dire, Nesterenko, héritier des artistes monumentaux hyper réalistes soviétiques, n’est pas un inconnu au Manège. C’est sa quatrième exposition dans ce lieu sous la Russie de Vladimir Poutine dont il est devenu l’un des peintres favoris. Honoré du titre "d’artiste du peuple de la Fédération de Russie", une distinction héritée de l’URSS, ce peintre né à Pavlograd, en Ukraine, en 1967, a notamment réalisé les fresques de la cathédrale du Christ-Sauveur lors de sa reconstruction à la fin du XXe siècle, puis de la cathédrale des Forces armées russes inaugurée en 2020 par le patriarche Kirill et Vladimir Poutine.

Mais la période actuelle se révèle particulièrement faste pour ce défenseur du régime et de l’invasion de l’Ukraine, à qui il vient de consacrer l’une de ses œuvres monumentales. Intitulée "Les défenseurs de la Novorossia" ("nouvelle Russie", nom parfois donné à une partie de l’Ukraine russophone chez les nationalistes russes), la toile occupe tout le côté droit de l’entrée de l’exposition. On y trouve un concentré des symboles promus par le Kremlin : des soldats, portant des uniformes frappés du "Z" de l’armée russe, derrière une jeune femme portant un drapeau russe, sous le regard d’un pope orthodoxe. L’un des militaires arbore même un écusson aux couleurs de l’URSS. Cet immense tableau fait face à un triptyque consacré à la guerre menée en Syrie par l’armée russe.

"Lettre aux ennemis de la Russie", de Vassili Nesterenko
"Lettre aux ennemis de la Russie", de Vassili Nesterenko
© Radio France - Sylvain Tronchet

"Se souvenir des leçons de l'Histoire"

Plus loin dans la salle, une toile intitulée "Lettre aux ennemis de la Russie" représente des militaires contemporains écrivant une lettre à l’Etat islamique (sans que l’on connaisse le contenu du message). Ce tableau est une évocation des "Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie", oeuvre majeure du peintre du russe du XIXe siècle, Ilia Repine, auteur du célèbre "Les bateliers de la Volga". L’idée développée par Vassili Nesterenko est qu’aujourd’hui comme hier, la Russie se bat non seulement pour une cause juste, mais sortira vainqueur de tous les conflits dans lesquels elle est engagée. Quitte à le marteler un brin lourdement. À côté de la toile consacrée à la déroute de l’armée napoléonienne durant la campagne de Russie, la notice explique que "ce tableau, bien que relatant des événements survenus il y a 200 ans, s'adresse à nos contemporains, dans une sorte de rappel visuel pour ceux qui ne se souviennent pas ou ne veulent pas se souvenir des leçons de l'Histoire".

"Apparition de la Sainte vierge durant la bataille de Koursk"
"Apparition de la Sainte vierge durant la bataille de Koursk"
© Radio France - Sylvain Tronchet

Volontairement ou non, l’exposition du Manège donne l’impression que la Russie a été en guerre contre la moitié de la planète et que son destin est de l’être encore. En témoigne ce petit garçon représenté en uniforme de marin, flanqué d’un fusil automatique de la Seconde Guerre mondiale devant un paysage de ruines et de destructions. Les paysages du Kamtchatka ou du grand nord que l’artiste affectionne également viennent à peine tempérer cette atmosphère de fureur, pas plus que les apparitions de Vierge Marie au beau milieu de la bataille de Koursk. Mais le visiteur peut être assuré que "Dieu est avec la Russie", comme le rappellent de nombreux panneaux.

Dès 2018, évoquant l’hypothèse d’une guerre nucléaire, Vladimir Poutine disait : "L'agresseur doit comprendre que le châtiment est inévitable, qu'il sera détruit. Et nous, en tant que victimes d'une agression, en tant que martyrs, nous irons au Paradis. Eux, ils crèveront tout simplement, ils n'auront même pas eu le temps de se repentir".

Au Manège de Moscou
Au Manège de Moscou
© Radio France - Sylvain Tronchet
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