Quel est le sens de votre visite en France?

La France est notre premier partenaire économique. Nous venons pour consolider cette position et voir comment aller de l'avant. Nous venons aussi pour essayer de donner une image un peu plus claire sur la situation de la Tunisie. Il y a une nouvelle donne aujourd'hui. Il faut le faire savoir et le promouvoir, aussi bien sur le plan politique qu'économique.

Vous avez alerté à plusieurs reprises sur l'état des finances publiques. Qu'en est-il?

Effectivement, ce n'est pas tant l'économie qui pose problème, elle a continué à tourner. Nous avons maintenu 2 à 3% de croissance, c'est déjà un signe positif de résistance, même si cela reste insuffisant et qu'il faut relancer l'investissement. Mais le véritable problème aujourd'hui, ce sont les finances publiques. La Tunisie a connu trois années de tiraillements politiques, de tensions sociales, de pressions sur des gouvernements transitoires. Afin de maintenir l'équilibre du pays, il y a eu une dérive dans les dépenses de l'Etat, notamment sa masse salariale et les caisses de compensation [l'Etat subventionne les prix de plusieurs produits alimentaires de base, ainsi que ceux des carburants, du gaz, de l'électricité, par l'intermédiaire de caisses de compensation]. Les recettes n'ont pas suivi, on se retrouve donc avec un déficit. Il est temps de le traiter.

Quelles sont les pistes pour enrayer le déficit?

Nous voulons relancer l'économie, il ne s'agit donc pas de multiplier les taxes, mais plutôt de trouver des niches, à travers une réforme fiscale. Il faudrait comprimer un peu les dépenses de l'Etat et développer l'initiative privée, les partenariats public-privé. Nous voulons toutefois maintenir le rôle régulateur de l'Etat et garder le cap sur le social, qui est une condition sine qua non de la stabilité.

Préparez-vous des mesures d'austérité?

Non, il s'agit plutôt de rationnalisation. Nous ne réduisons pas l'effort, nous allons le redéployer. Par exemple, pour la caisse de compensation, nous n'allons pas couper les subventions, mais cibler ceux qui en ont réellement besoin.

Les caisses de compensation seront-elles réformées?

Nous souhaitons commencer la réforme, pour ne pas dire qu'elle est bien engagée. C'est indispensable. L'idée, à terme, c'est d'arriver à un ciblage direct des subventions. Prenez l'essence, par exemple. Elle serait achetée à son vrai prix, à la pompe. Mais celui qui a une petite voiture et appartient à la petite classe moyenne, recevrait une subvention directe de l'Etat. Dans l'immédiat, nous allons commencer là où nous avons les moyens techniques de faire la différence entre les catégories sociales. Pour les denrées de base, nous ne prendrons pas le risque de pénaliser les couches moyennes et les pauvres. Dans un premier temps, cela concernera plutôt l'énergie, qui constitue la plus grosse part de la caisse de compensation. Pour l'électricité et le gaz, on peut pratiquer des prix différenciés. Cela a déjà commencé pour l'électricité. On sait par exemple qu'une consommation de 200 kWh correspond à celle de la classe moyenne. Au-delà, plus la consommation augmente, plus la subvention se réduit.

En Tunisie, beaucoup perçoivent ces réformes comme imposées par les institutions financières internationales...

Elles nous demandent simplement de tenir nos engagements. Ceux-ci n'ont pas été imposés, c'est nous qui les avons précédemment mis sur la table. Ce n'est pas trop demander que de les respecter et nous souhaitons le faire, car c'est ainsi que se construit la confiance.

Dans quel état se trouve aujourd'hui la mouvance jihadiste Ansar al-charia ?

Elle est mise à mal, surtout sa partie militaire. Des opérations sont en cours à Chaambi [massif montagneux proche de la frontière avec l'Algérie]. Pour la première fois, nous sommes montés au camp, à la source. La détermination est là, mais cela ne veut pas dire que nous allons éradiquer le terrorisme. La difficulté que nous avons, avec Ansar al-charia, c'est leur pied-à-terre en Libye. Il faut essayer de maîtriser la menace qui vient de là.

La popularité qu'a pu rencontrer Ansar al-charia parmi la jeunesse est-elle endiguée?

Ils ont profité d'un contexte particulier de faiblesse de l'Etat, après la révolution. C'est une idéologie d'importation, qui a pris au début, mais elle est maintenant confinée. Il y a un rejet global de ce modèle qui n'est pas très tunisien. Il n'y a plus de manifestations de groupes comme avant. Quand on fait des opérations dans des endroits supposés être leurs fiefs, nous ne constatons plus les memes réactions qu'il y a deux ans. D'abord, parce que l'Etat est déterminé et ils savent désormais qu'ils ne peuvent plus rester dans l'impunité. Ensuite, le soutien populaire commence à s'effriter. Vous pouvez promettre le paradis aux jeunes pendant un an ou deux, mais après ils ont besoin d'avoir des perspectives. Vous pouvez les avoir en intérim, mais vous aurez du mal à les recruter.

Comment anticipez-vous le retour des jeunes combattants partis en Syrie?

Le ministère de l'Intérieur a évoqué une "loi de miséricorde"... Les fous de cette expérience, il faut les avoir sous contrôle. Mais il y a aussi des déçus. Ces gens-là, nous essaierons de les récupérer et de les reconvertir dans le système, mais avec attention et vigilance. Le projet est en cours d'élaboration.

Avez pris goût à la chose politique? On vous prête des ambitions électorales...

J'ai clarifié mes ambitions. Je ne suis pas attaché à ce genre de position. J'exerce mon mandat avec beaucoup de volonté, de détermination, de foi. Mon objectif est de mener le pays dans sa dernière phase transitoire, vers des élections transparentes et irréprochables. Je n'étais pas attendu sur ce terrain -entamer les réformes économiques- mais je suis convaincu qu'il est indispensable de le faire aujourd'hui.