Pour décrire l’atmosphère qui entourait Genève ce mercredi 24 mai, le média en ligne Blick parle d’un “décor presque surréaliste” pour un “procès qui émeut Genève depuis deux semaines”.

Aujourd’hui, le tribunal correctionnel de la ville francophone livrait en effet son verdict sur les accusations de viol “à trois reprises” et de “contrainte sexuelle” à l’encontre de Tariq Ramadan, pour des faits qui auraient eu lieu dans un hôtel de Genève durant la nuit du 28 au 29 octobre 2008. Des accusations pour lesquelles l’islamologue a été acquitté.

“Au bout du compte, faute d’avoir pu se forger une intime conviction de culpabilité s’agissant du viol et de la contrainte sexuelle reprochés à l’islamologue, le tribunal correctionnel de Genève a prononcé un acquittement au bénéfice du doute”, explique en guise de préambule Le Temps.

Le journal suisse se livre ensuite à une analyse plus détaillée des motivations des juges. Tout d’abord les preuves : “Elles sont peu nombreuses. Aucune trace de sperme ou de sang retrouvée sur les extensions capillaires conservées par la plaignante, aucun constat de lésion traumatique, aucune image de vidéosurveillance et aucun témoin direct”, détaille le média.

Cela, bien sûr, ne suffit pas à acquitter Ramadan, car “cette femme a été considérée assez crédible par les juges”, et “ses déclarations ‘détaillées et constantes’”.

“Il en résulte un certain flou”

“Pourtant, poursuit Le Temps, les juges ont été troublés par les nombreux événements intervenus entre les faits et le dépôt de la plainte, dix ans plus tard, notamment les échanges avec des journalistes français ou la fréquentation de blogs hostiles à Tariq Ramadan. Pour se forger une conviction, le tribunal a donc préféré s’écarter du texte de la plainte, qualifiée de peu spontanée, afin d’analyser les éléments les plus proches des faits et donc les moins influencés par les médias. Mais même les témoignages des amies et des thérapeutes ont été considérés ‘avec une réserve particulière’ en raison de la possible altération des souvenirs et des contacts ayant perduré malgré l’interdiction. Dans toutes ces déclarations, qui font pourtant état d’un événement grave et violent, les juges estiment ne pas avoir trouvé d’éléments déterminants, mais plutôt des bribes de souvenirs ou alors des notes de psychiatres vagues et contradictoires.”

Voilà les éléments qui ont porté à cette conclusion de la part du tribunal.

“Il en résulte un certain flou et il est impossible de réconcilier le tout pour établir une version unique s’agissant de la plaignante.”

“Témoigner de telles violences n’est pas une formalité”

Un verdict ainsi résumé par le quotidien de Genève : “En substance, et au vu des versions antagonistes des parties, c’est surtout l’absence d’éléments concrets et la pauvreté des divers témoignages, encore altérés par l’écoulement du temps, qui amènent le tribunal à douter de la culpabilité de Tariq Ramadan.”

Légitimes ou non, ces doutes des juges ne passent pas pour La Tribune de Genève, pour qui ce verdict est ni plus ni moins qu’une “claque à la parole des femmes”.

“Pas question ici de remettre en cause les principes du droit qui font que le doute profite à l’accusé, argumente le média suisse, mais les juges ont-ils pris en compte le fait que, pour une femme, témoigner de telles violences n’est pas une formalité ? Cette épreuve ne dit-elle rien de la sincérité d’une victime présumée ? Les juges suisses n’ont par ailleurs pas voulu tenir compte du fait que, dans quatre autres plaintes en France, les récits sur les pratiques du prévenu se recoupent.”

“D’autres procédures attendent l’islamologue”

Quant à l’absence de preuves, le quotidien francophone ne considère pas cet argument recevable dans ce cas : “La preuve du viol ? Mais quelle preuve ? Sinon d’aller se faire examiner dès le lendemain par un médecin ! Pense-t-on qu’un tel traumatisme puisse faire place à une telle présence d’esprit ? La plupart du temps, non. Le témoignage de la Genevoise dit les ambiguïtés, la sidération, la nécessité de se cacher la vérité à soi-même pour survivre à l’agression.”

En conclusion, il s’agit là pour le média d’un verdict injuste (contre lequel il y aura un recours), mais Tariq Ramadan ne devrait pas se réjouir trop tôt :

“D’autres procédures attendent l’islamologue en France, où la loi est beaucoup plus sévère qu’en Suisse dans les affaires de viol.”