Comment la pollution de l’air accentue le risque d’Alzheimer

Comment la pollution de l’air accentue le risque d’Alzheimer
Image d'illustration © aappp / Shutterstock

Pionnière dans son domaine, la chercheuse mexicaine Lilian Calderón-Garcidueñas travaille depuis plus de trois décennies sur les effets de la pollution de l’air sur le cerveau humain. Dans cet entretien, elle nous présente les conclusions de ses dernières recherches, qui établissent notamment un lien direct entre particules fines et maladie d’Alzheimer. À lire en complément de notre enquête sur le sujet.

La Fondation Vaincre Alzheimer l’a elle-même reconnu sur son site officiel au début de l’année : l’inhalation de particules fines liées à la pollution de l’air peut induire un « changement inflammatoire » voire un « stress oxydatif » dans le cerveau, deux facteurs connus pour jouer un rôle dans le développement de la maladie d’Alzheimer. En se basant sur plusieurs études récentes, la fondation entérine ainsi un constat établi depuis plusieurs années déjà par les équipes de la chercheuse mexicaine Lilian Calderón-Garcidueñas (voir ces trois articles ici, ici et ). Actuellement en poste à l’université du Montana, située dans l’État du Missoula aux États-Unis, cette pionnière du domaine a pris le temps de nous présenter ses derniers résultats dans un long entretien en visioconférence. Nous vous en présentons ici une version synthétisée.

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Lilian Calderón-Garcidueñas

D’abord, la pollution n’est pas la même partout. On ne trouve pas les mêmes nanoparticules dans l’air de Paris et dans celui de Mexico. Pour comprendre ces différences, il faut mener des études spécifiques à chaque territoire. En l’occurrence, je tiens à insister sur le fait que la plupart de mes études se sont concentrées sur la ville de Mexico, qui est certes très polluée mais moins polluée que d’autres villes comme Beijing. Les conclusions que je m’apprête à exposer s’appliquent donc uniquement à cette dernière, et je ne saurais me prononcer pour les autres pays.

Ce qui apparaît très nettement à travers mes recherches, c’est que quelqu’un qui vit à Mexico sera exposé aux particules PM2,5 depuis sa conception jusqu’à sa mort. De par leur petite taille, ces particules peuvent en effet traverser le placenta qui protège l’embryon et entrer dans le fœtus dès les premières semaines de grossesse d’une femme enceinte. Or le développement des maladies neurodégénératives est directement accéléré par l’intrusion de ces particules, et ce dès le plus jeune âge.

Pour comprendre les effets de cette exposition précoce, nous avons, avec mes collègues, passé en revue 203 autopsies médico-légales de personnes de moins de 40 ans décédées dans des circonstances soudaines – homicides, suicides, accidents de voiture, etc. Il est apparu que sur ces 203 cas, 202 présentaient des caractéristiques neuropathologiques de la maladie d’Alzheimer : l’existence anormale de plaques correspondant à l’accumulation extracellulaire d’un peptide dit « β-amyloïde » et d’amas de dégénérescences neurofibrillaires dus à la protéine Tau hyperphosphorylée.

55 % d’entre eux présentaient également l’alpha-synucléine, marqueur de la maladie de Parkinson, et 18 % des altérations de la protéine TDP-43, marqueur des dégénérescences fronto-temporales et de la maladie de Charcot. À l’inverse, quand nous nous sommes intéressés à la population d’une autre ville nettement moins affectée par la pollution de l’air, ces troubles cognitifs n’étaient pas aussi présents.

« À Mexico, le processus de développement de maladies neurodégénératives commence dès la période pédiatrique »
Lilian Calderón-Garcidueñas, chercheuse à l'université de Montana

Comment se fait-il, selon vous, que vos résultats soient si peu médiatisés et pris en compte ?

Lilian Calderón-Garcidueñas

Aujourd’hui, quand un enfant ne présente pas les résultats attendus à l’école, ou qu’il a un comportement perturbateur, on a plutôt tendance à dire qu’il présente des troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité. Le problème est qu’aucun diagnostic du cerveau n’est opéré. Or n’importe quel neurologue serait capable de dire que la plupart de ces enfants présentent également des caractéristiques de la maladie d’Alzheimer.

Laissez-moi prendre l’exemple d’une expérience récente que nous avons menée avec mes collègues. Nous avons confronté plusieurs enfants à des sons, puis mesuré le temps que ces sons mettaient à atteindre la zone concernée du cerveau grâce à des électrodes. Il est apparu que le son ne voyageait pas aussi vite qu’il aurait dû, ce qui est un signe très net d’un retard au niveau du tronc cérébral, probablement produit par l’accumulation de protéines anormales (Tau hyperphosphorylée, alpha-synucléine…).

Mais attention, ces personnes ne se sentent pas malades ! Dans leur vie quotidienne, elles ne détectent pratiquement jamais de signe avant-coureur. Ce n’est qu’en menant ce genre d’expériences cognitives fines que nous pouvons établir ce diagnostic. Et c’est précisément ici que réside l’autre facteur qui explique que ce sujet passe inaperçu : aujourd’hui, on ne s’intéresse à Alzheimer qu’une fois atteintes les dernières phases de la maladie, les plus sévères. Or je rappelle qu’il existe sept stades très progressifs du développement de la maladie, qui vont de l’absence de déficience au déficit cognitif « très sévère » en passant par le déficit cognitif « modéré ».

Notre image mentale de la maladie – une vieille personne isolée, qui ne se souvient plus de rien et n’est même plus capable de se sortir de chez elle – est trompeuse, car elle se focalise sur la phase ultime de la maladie. Les dernières recommandations internationales suggèrent au contraire d’établir le diagnostic d’Alzheimer en tant qu’entité biologique, ce qui nécessite deux catégories de biomarqueurs : les marqueurs d’imagerie morphologique et fonctionnelle et les marqueurs biologiques mesurés dans le liquide cérébrospinal (dit LCS, liquide qui entoure le cerveau, ndlr). Dans mes études, nous avons retrouvé des traces de ces deux biomarqueurs jusque chez des enfants et des jeunes adolescents. Encore une fois, cela signifie qu’à Mexico, le processus de développement de maladies neurodégénératives commence dès la période pédiatrique…

« Il est absolument impératif de détecter les premiers signes d’altération cognitive dès les deux premières décennies de la vie »
Lilian Calderón-Garcidueñas, chercheuse à l'université de Montana

Quelles mesures faudrait-il prendre pour lutter contre ce phénomène ?

Lilian Calderón-Garcidueñas

Aux États-Unis, l’Agence de protection de l’environnement considère que l’air est de bonne qualité lorsque les concentrations de PM2,5 ne dépassent pas 12 µg/m3 (microgramme par mètre cube, ndlr). En ce moment même, la communauté scientifique met tout en œuvre pour abaisser ce seuil à 10 µg/m3. Dans ses recommandations, l’Organisation mondiale de la santé (OMS, ndlr) suggère même que ce seuil devrait être de 5 µg/m3, ce qui paraît actuellement irréaliste mais envoie au moins le bon signal quant aux conséquences concrètes de cette pollution.

Surtout, il faut faire prendre conscience aux gens que les sources de pollution sont nombreuses – métros, feux de forêt, circulation des voitures, centrales à bois… – et souvent cumulatives. Pas plus tard qu’hier, j’ai ouvert un placard dans lequel se trouvait une photocopieuse qui dégageait une très forte odeur d’encre. Dans ma tête, j’ai tout de suite pensé « Olala, je viens de me prendre une vague de nanoparticules en plein visage » mais je suis persuadé que la plupart des gens l’ignorent ! Il faut donc commencer par renforcer l’éducation à ce sujet, aussi bien chez les travailleurs hospitaliers que dans la population générale.

Enfin, le principal problème auquel nous sommes confrontés en tant que chercheuses et chercheurs aujourd’hui est celui du financement. Nous manquons de moyens financiers pour une raison simple : nous plaidons pour une médecine préventive qui n’est pas rentable dans le système actuel. Or il est absolument impératif de détecter les premiers signes d’altération cognitive dès les deux premières décennies de la vie. Cette médecine préventive ne passera pas par de nouveaux médicaments mais par de nouvelles recommandations, et des politiques publiques plus ambitieuses.

Est-ce que la pollution de l’air est pour autant le seul facteur propice au développement des maladies neurodégénératives ? Non. Mais est-ce que c’est un levier sur lequel nous pouvons agir ? Oui, et comment ! Aujourd’hui, tout le monde le sait mais personne n’agit. Une réduction rapide de la pollution permettrait sans doute d’observer des effets positifs sur notre cerveau en quelques années seulement. Et ce d’autant plus que nous vivons de plus en plus longtemps. Contrairement à il y a deux cent ans, les gens vivent aujourd’hui à un âge très avancé, où les maladies neurodégénératives se manifestent alors de manière spectaculaire. Cela devrait nous permettre de retracer avec encore plus de finesse les premiers signes avant-coureurs de chaque maladie grâce aux avancées technologiques. Et donc d’agir en ce sens.

et aussi, tout frais...