Témoignage d'une survivante du massacre de Tulsa : "Notre pays oubliera peut-être cette histoire, mais je ne peux pas"

Viola Fletcher, avait 7 ans lors du massacre de Tulsa, elle témoigne à 107 ans de ce qu'elle a vécut
Viola Fletcher, avait 7 ans lors du massacre de Tulsa, elle témoigne à 107 ans de ce qu'elle a vécut
Massacre de Tulsa : Viola Fletcher, survivante, témoigne à 107 ans
Publicité

Témoignage d'une survivante du massacre de Tulsa : "Notre pays oubliera peut-être cette histoire, mais je ne peux pas"

Par

Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1921 a eu lieu ce qui est considéré comme l'un des pires massacres de Noirs aux États-Unis, occulté pendant 75 ans. Voici le précieux témoignage de Viola Fletcher, survivante de cette nuit terrible.

"Je suis une survivante du massacre de Tulsa. Il y a deux semaines, j'ai fêté mon 107e anniversaire." C'est par ces mots que Viola Fletcher commençait son témoignage lors de la commission sur les droits de l'homme à Washington, le 19 mai 2021. Viola témoigne pour ne pas oublier un massacre qui a été occulté pendant 75 ans des livres d’histoire.

Un pied écrasé à l'origine d'un massacre

En 1921, à Tulsa dans une Amérique toujours ségrégationniste malgré la loi, Dick Rowland, cireur de chaussure de 19 ans est soupçonné d’avoir marché sur le pied d’une jeune fille blanche de 17 ans Sarah Page. 

Publicité

Accusé à tort d’agression, le jeune afro-américain est emprisonné. Alors que des Blancs et le Ku klux Klan réclament un lynchage et se regroupent devant le palais de justice, la communauté noire organise des patrouilles pour les en empêcher.

Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1921, le quartier noir surnommé le "Black Wall Street" est incendié
Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1921, le quartier noir surnommé le "Black Wall Street" est incendié
© Getty

Une fusillade éclate, des hommes tombent des deux côtés. Dans la nuit la revanche des Blancs se transforme en massacre dans le quartier noir surnommé "Black Wall street",  si prospère qu’il fait des envieux du côté des vétérans blancs appauvris. Des rues entières sont brûlées.

Je n'oublierai jamais la violence de la foule hargneuse de Blancs lorsque nous avons quitté la maison. Je vois encore des hommes noirs se faire tirer dessus et les corps noirs gisant au sol dans la rue. Je sens encore la fumée et je vois le feu. Je vois encore les commerces noirs être incendiés. J'entends encore les avions nous survoler. J'entends les cris. Je revis le massacre tous les jours. Notre pays oubliera peut-être cette histoire, mais je ne peux pas.                  
Viola Fletcher, survivante du massacre de Tulsa

Viola Fletcher, survivante du massacre de Tulsa, lors de son audition devant le comité des droits de l'homme, 19 mai 2021
Viola Fletcher, survivante du massacre de Tulsa, lors de son audition devant le comité des droits de l'homme, 19 mai 2021
© AFP

1 256 maisons, 131 entreprises, plusieurs églises et le seul hôpital qui accueillait des Noirs sont détruits. En une nuit, 10 000 personnes se retrouvent à la rue et 24 heures plus tard,  la Garde nationale met fin au massacre en internant 6 000 rescapés noirs dans des camps.

Combien de morts ?

Jusqu’en 2001, on ne dénombre officiellement que 45 morts. Depuis les années 1990, les recherches évoquent plutôt 100 à 300 décès mais en 2019, une équipe d’archéologue découvre à l’aide de radars des anomalies qui ressemblent à des fosses communes. 

Et des témoignages évoquent des Noirs enterrés à la va-vite un peu partout dans la ville.

Je demande que mon pays reconnaisse ce qui m'est arrivé, les traumatismes et la douleur, les pertes, et je demande que les survivants et les descendants aient la possibilité de demander justice.                  
Viola Fletcher, survivante du massacre de Tulsa 

En 2021, ceux qui ont tout perdu en une nuit n’ont encore perçu aucun dédommagement et il n’y a eu aucune condamnation pour les meurtres et les incendies. Aux côtés de Viola, un autre survivant, Hughes Van Ellis, témoigne : "À cause du massacre, ma famille a été chassée de notre maison. On nous a laissé sans rien. Nous sommes devenus des réfugiés dans notre propre pays."