La bibliothèque de l'Assemblée nationale à livres ouverts

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La bibliothèque de l'Assemblée nationale à livres ouverts

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Quelque 70 000 ouvrages sont visibles en salle, soit seulement 10% du fonds total. Après la restauration des fresques de Delacroix, le public devrait pouvoir davantage accéder à ce joyau. Photo le 19 mai 2023
Quelque 70 000 ouvrages sont visibles en salle, soit seulement 10% du fonds total. Après la restauration des fresques de Delacroix, le public devrait pouvoir davantage accéder à ce joyau. Photo le 19 mai 2023
© Radio France - Eric Chaverou

Le Palais Bourbon se prépare à un week-end portes ouvertes inédit, pour la première fois en dehors des journées du patrimoine, les 3 et 4 juin prochains. Avec une inscription en ligne indispensable pour pouvoir notamment découvrir une bibliothèque exceptionnelle. Visite en avant-première.

"Vous n'avez pas le vertige ? On peut monter. Cela vaut la peine, regardez !" Heureux hasard du début du chantier de restauration des fresques de la bibliothèque de l'Assemblée, nous avons eu le privilège de la découvrir du haut d'un échafaudage à dix mètres du sol. Avant de profiter de trois de ses livres précieux : un incunable, un journal pour l'égalité femmes-hommes en politique et un tapuscrit d'Aimé Césaire. Ils ne seront pas exposés début juin, mais des guides, des panneaux et une application mobile pourront vous en parler, à condition de vous inscrire dès maintenant ici.

En attendant les 3 et 4 juin, poussons les portes de ce lieu majestueux, habituellement réservé aux parlementaires et à des chercheurs. Un bijou qui devrait s'ouvrir de plus en plus au public à partir de 2025, selon la volonté et la communication très affirmées de la présidente Renaissance actuelle de l'institution, Yaël Braun-Pivet.

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Reportage dans la bibliothèque de l'Assemblée, depuis les hauteurs de son plafond. Par Éric Chaverou

3 min

La "chapelle Sixtine" de Delacroix

Dès l'entrée, et encore plus perché dans les airs, on reste saisi face au plafond de ce temple de la réflexion et du pouvoir. Fille de la Révolution avec sa création en 1796, et d'abord logée dans le palais des Tuileries puis à l'hôtel de Lassay, la bibliothèque de l'Assemblée a été conçue par l'architecte Jules de Joly et édifiée entre 1833 et 1835, avant de devenir le grand œuvre d'Eugène Delacroix. Il y travaille pendant près de dix ans à 15 m de haut, sur 42 m de long et 10 m de large.

Le célèbre peintre romantique parle lui-même de sa "chapelle Sixtine" pour ces cinq grandioses coupoles correspondant à autant de thématiques qui permettaient autrefois de classer les livres : la poésie, la théologie, la philosophie, les sciences et bien sûr, au centre, la législation. Avec, de chaque côté, dans les deux culs-de-four qui se font face, des représentations de la paix (Orphée) et de la guerre et la barbarie (Attila). "Événement absolument incroyable, en 1870, lors de la guerre franco-prussienne, un obus est venu traverser le mur, juste au-dessus de la tête d'Attila. Et il a fait un trou d'un mètre qui a été laissé pendant deux ans !" raconte Pierre Bosse, directeur de la bibliothèque et des visites.

Delacroix et sa "chapelle Sixtine", en passe d'être restaurée après de nombreuses détériorations, y compris causées par des parlementaires. Récit de Pierre Bosse

4 min

Hippocrate refuse les présents du roi de Perse. Détail d'une fresque de Delacroix, le 19 mai 2023.
Hippocrate refuse les présents du roi de Perse. Détail d'une fresque de Delacroix, le 19 mai 2023.
© Radio France - Eric Chaverou

Aujourd'hui, après avoir failli brûler en en 1961, la bibliothèque entame une restauration devenue indispensable. Les peintures des deux absides, réalisées directement sur enduit plâtre, sont même en grande partie détériorées en raison de leurs supports, constitués de maçonneries en poteries de terre. Une quinzaine de spécialistes devraient y travailler portes closes en 2024, avant une réouverture annoncée l'année suivante, avec davantage de créneaux de visites réservés au grand public.

Casque sur la tête, à quelques centimètres d'une peinture représentant Pline l'Ancien, Pierre Bosse explique que "malheureusement, le temps a fait son effet. On a fumé dans la bibliothèque jusqu'en 1983. Le chauffage passait par des cheminées, donc évidemment les fresques ont beaucoup souffert de la poussière. Elles ont souffert aussi de restaurations anciennes d'une certaine violence. Une restauration en particulier, dans les années 30, est restée célèbre parce que c'est l'apparition de l'électricité. Pour la première fois, l'électricité a permis de voir ces œuvres de Delacroix qui sont apparues aux contemporains d'alors comme extrêmement violentes, par la palette extrêmement forte, audacieuse de Delacroix et ses couleurs très vives. Les parlementaires de l'époque ont donc demandé que l'on affadisse un peu, et des restaurateurs ont repeint sur Delacroix !"

Les échafaudages pour le chantier "test" de nettoyage des peintures de Delacroix. Le 19 mai 2023.
Les échafaudages pour le chantier "test" de nettoyage des peintures de Delacroix. Le 19 mai 2023.
© Radio France - Eric Chaverou

La 4e bibliothèque de France avec environ 700 000 livres

De par son nombre d’ouvrages, la bibliothèque de l’Assemblée est la 4e de France, détaille la guide-conférencière Frédérique Le Meur. Et "10% seulement est visible ici, soit à peu près 70 000 ouvrages, tout le reste est rangé dans 14 kilomètres de rayonnage en sous-sol, sur deux niveaux, avec une chambre-forte qui abrite ses différents trésors*"*.

Grâce au député du Tiers état Armand-Gaston Camus, seul et dès le mois d’août 1789, cette bibliothèque a gagné des livres éminemment précieux, avec pour conviction que là où est le savoir est le pouvoir. “Son ambition a vraiment été d’embrasser tous les domaines de la connaissance. Pas simplement des ouvrages de légistique, et pas seulement des ouvrages contemporains. Nous sommes dans le siècle de l’Encyclopédie et il profite de l’exil de nobles, dont les œuvres les plus spectaculaires sont intégrées dans des dépôts littéraires. Il les écume”, raconte Pierre Bosse. Le successeur de ce bibliothécaire visionnaire, l'ancien moine bénédictin Pierre-Paul Druon, voudra lui évoluer vers un cabinet de curiosités, avec une politique d'acquisitions spectaculaire, par exemple la collection complète de La Description de l'Égypte.

Une peinture de la bibliothèque de la Chambre des députés en 1885 par Victor Navlet. Et des livres du début du XIXe, en hauteur dans la salle. Le 19 mai 2023
Une peinture de la bibliothèque de la Chambre des députés en 1885 par Victor Navlet. Et des livres du début du XIXe, en hauteur dans la salle. Le 19 mai 2023
© Radio France - Eric Chaverou

À partir de 1830, tel que le décrit le site de l'institution, "les impératifs évoluent : alors que le régime parlementaire s’affermit, la bibliothèque, placée près de la salle des séances, doit devenir un outil de travail adapté aux besoins du législateur. Conformément aux instructions données par les autorités politiques, les gestionnaires devront désormais mettre à la disposition des députés l'essentiel de ce qui se publie, au moins en édition française, dans les domaines juridique, économique, social et politique. C’est la règle qui gouverne, depuis lors, les acquisitions d’ouvrages et de périodiques. La technicité y a gagné au détriment de la bibliophilie. Rien n’interdit cependant d’enrichir le fonds ancien de documents rares, lorsqu’ils se rattachent à l’histoire politique et parlementaire."

Les trésors de l'Assemblée réunissent 2 000 manuscrits, dont une bible du IXe siècle, les Décades de Tite Live avec des enluminures du XVe siècle, le Procès de condamnation de Jeanne d'Arc (de 1431, le seul sur vélin), deux exemplaires du Roman de la Rose, le codex Borbonicus, calendrier aztèque de la fin du XVe siècle, ou Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau. Les ouvrages du fonds ancien (1789-1920) ainsi que tous les documents acquis depuis 1993 sont indexés dans un catalogue informatisé, consultable aussi depuis les circonscriptions des députés.

L'entrée, à proximité de l'hémicycle, et quelques unes des reliures mises en avant pour ces portes ouvertes.
L'entrée, à proximité de l'hémicycle, et quelques unes des reliures mises en avant pour ces portes ouvertes.
© Radio France - Eric Chaverou

Trois trésors

Trois livres, de vrais trésors, ne seront pas exposés pendant le week-end portes ouvertes, car trop fragiles. Mais on pourra les voir en images et l'Assemblée les a montrés à France Culture pour les évoquer ci-dessous.

L'incunable La Chronique de Nuremberg (Liber chronicarum en latin et Die Schedelsche Weltchronik en allemand), écrit en latin par l’humaniste et grand collectionneur Hartmann Schedel, a été imprimé par Anton Koberger en 1493. Un tournant dans l'imprimerie naissante avec les 1 809 gravures produites à partir de 645 blocs de bois pour ce qui est "presque la première encyclopédie du monde", selon Pierre Bosse. "C'est manifestement un ouvrage destiné à être lu. Il est publié en latin, la langue évidemment des clercs, mais aussi en allemand avec le souci de rechercher un lectorat plus vaste. Pour la première fois aussi, les illustrations ne sont pas faites selon la spécialité de l'illustrateur mais en cohérence avec le texte. C'est le texte qui guide l'illustration et pas l'inverse. On est vraiment dans un ouvrage tout à fait particulier, absolument spectaculaire et qui fut un 'best-seller' pour l'époque, avec environ 3 500 exemplaires vendus en Europe. Ce qui était miraculeux."

Une page des Chroniques de Nuremberg qui aurait été illustrée par le jeune peintre Dürer. Le 19 mai 2023
Une page des Chroniques de Nuremberg qui aurait été illustrée par le jeune peintre Dürer. Le 19 mai 2023
© Radio France - Eric Chaverou

L'Opinion des Femmes était le journal de Jeanne Deroin, féministe et première femme candidate à une élection législative en France. Ouvrière lingère, autodidacte, elle devint institutrice puis révolutionnaire en 1848. Cet ouvrage, acquis il y a peu, recèle notamment la pétition de sa campagne électorale de 1849, au nom de l'égalité des femmes avec les hommes à représenter les citoyens. "L'un de ses plus féroces opposants ayant été l'anarchiste Proudhon, qui disait qu'une femme députée était à peu près aussi absurde qu'un homme nourrice", raconte Pierre Bosse. "Le courage de madame Deroin l'a malheureusement menée à la misère à Londres".

La pétition des femmes au peuple, en supplément au n°4 de l'Opinion des Femmes. Le 19 mai 2023
La pétition des femmes au peuple, en supplément au n°4 de l'Opinion des Femmes. Le 19 mai 2023
© Radio France - Eric Chaverou

Le tapuscrit du Cahier d’un retour au pays natal d'Aimé Césaire. En ligne, l'institution raconte qu'"on a longtemps cru qu’il ne subsistait rien de la version originelle, celle qu’Aimé Césaire avait adressée en 1939 à son premier éditeur. Or, en 1992, l’Assemblée nationale acquiert le tapuscrit, découvert chez un libraire. Ce document exceptionnel révèle la genèse de l’œuvre et s’accompagne d’une lettre inédite du jeune Césaire à l’éditeur". Pierre Bosse ajoute : "Nous n'avons pas le manuscrit original, parce qu'il a été jeté par Césaire lui-même. Ce tapuscrit est très demandé et absolument incontournable pour les spécialistes, car on a très peu d'œuvres manuscrites et on sait très peu de choses de son processus de création. Par ailleurs, il faut se rappeler qu'Aimé Césaire a été député sans discontinuer de 1945 à 1993." La bibliothèque détenant de nombreux textes de ses tribuns de légende : Lamartine, Hugo, Jaurès, Clemenceau ou Blum...

Une page du tapuscrit du Cahier d’un retour au pays natal d'Aimé Césaire. Le 19 mai 2023
Une page du tapuscrit du Cahier d’un retour au pays natal d'Aimé Césaire. Le 19 mai 2023
© Radio France - Eric Chaverou
L'entrée de la bibliothèque de l'Assemblée. Le 19 mai 2023.
L'entrée de la bibliothèque de l'Assemblée. Le 19 mai 2023.
© Radio France - Eric Chaverou
Le Reportage de la Rédaction
4 min