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Santé

Les femmes, premières victimes de l’exposition aux polluants

Un organisme finance trois programmes de recherche consacrés au lien éventuel entre exposition à des polluants (plastique, bisphénols, pesticides…) et pathologies féminines.

Endométriose, cancer du sein… ces maladies spécifiquement féminines pourraient être liées à une exposition aux polluants. La Fondation pour la recherche médicale tente de comprendre.

Les femmes souffrent le plus de l’exposition aux polluants, et cela est dû tant à leurs conditions de vie qu’à leur biologie. C’est ce qu’explore la Fondation pour la recherche médicale (FRM) en finançant trois programmes de recherche consacrés au lien éventuel entre exposition à des polluants (plastique, bisphénols, pesticides…) et pathologies féminines ou présentant des formes spécifiques chez les femmes (cancer du sein, endométriose et obésité).

« 23 % des décès et 25 % des maladies chroniques seraient aujourd’hui dus à des facteurs environnementaux, selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé) », a indiqué Benjamin Pruvost, président du directoire de la FRM, lors d’une conférence de presse le 31 mai. Ces facteurs environnementaux, regroupés par les scientifiques sous le terme « exposome », affectent différemment les femmes et les hommes.

Pour des raisons sociales, d’abord. « Certaines professions sont plutôt féminines, a rappelé Robert Barouki, chef du service de biochimie métabolique à l’hôpital parisien Necker. Un exemple typique est la caissière de supermarché qui manipule des tickets de caisse, lesquels ne contiennent plus de bisphénol A mais d’autres substances qui peuvent aussi poser problème. C’est le cas aussi pour les coiffeuses » qui manipulent des shampoings et colorations potentiellement dangereuses.

Plus précaires et vulnérables

Les femmes peuvent aussi être surexposées chez elles, parce qu’elles manipulent davantage de produits ménagers ou utilisent des cosmétiques. Enfin, la précarité, dont il est prouvé qu’elle augmente l’exposition aux polluants, à cause des conditions de travail et de vie associées, frappe d’abord les femmes. Elles représentent 70 % des travailleurs pauvres, occupent 82 % des emplois à temps partiel et constituent 85 % des familles monoparentales, dont une sur trois vit sous le seuil de pauvreté, selon la neurobiologiste Catherine Vidal de la FRM.

Or, la biologie des femmes présente des spécificités qui peuvent les rendre plus vulnérables. « La masse grasse, où vont se stocker certains polluants, est en moyenne plus importante en proportion chez les femmes que chez les hommes », a expliqué Robert Barouki. Des substances classées parmi les perturbateurs endocriniens peuvent interférer avec leur système hormonal.

Le centre Artemis du CHU de Bordeaux propose une consultation d’évaluation des expositions environnementales aux couples infertiles, ainsi qu’aux femmes enceintes confrontées à des problèmes lors de leur grossesse. © Mathieu Génon/Reporterre

C’est ainsi que Véronique Maguer-Satta, directrice de recherche CNRS au centre de cancérologie de Lyon, s’est intéressée aux effets des bisphénols — qui servent à fabriquer du plastique — [1] et des nanoparticules de plastique sur le développement du cancer du sein. Un enjeu de taille, car « le cancer du sein est la première cause de mortalité par cancer chez les femmes et touche une femme sur douze ».

L’endométriose serait d’origine environnementale dans 50 % des cas

Plus précisément, la chercheuse pense que les bisphénols, transportés ou non par des nanoparticules de plastique, pourraient contribuer à rendre les cellules souches (chargées de renouveler nos organes) cancéreuses. « Les cellules souches sont énormément sollicitées par la glande mammaire tout au long de la vie : puberté, cycle menstruel, ménopause. En cas de cancer du sein, elles sont soupçonnées d’être à l’origine de rechutes et de résistance aux traitements », a exposé Véronique Maguer-Satta. Pour l’heure, la directrice de recherche et son équipe essaient de comprendre comment « les polluants vont détraquer, ou non, ces cellules ».

Autre maladie féminine liée à des facteurs environnementaux : l’endométriose, une maladie gynécologique chronique [2]. « Elle touche 10 % des femmes en âge de procréer, soit 1,5 million de femmes en France, a indiqué Marina Kvaskoff, chargée de recherche Inserm au centre de recherche en épidémiologie et santé des populations de Villejuif. Mais elle est difficile à étudier : il faut sept à dix ans pour être diagnostiquée, il existe des formes asymptomatiques… Les études menées sur les facteurs environnementaux de cette pathologie restent hétérogènes, avec des méthodologies peu robustes. » Pourtant, la maladie serait d’origine environnementale dans 50 % des cas.

Lire aussi : L’endométriose, une maladie gynéco boostée par la pollution

Pour mieux comprendre les expositions favorisant l’endométriose, les chercheuses analysent les données issues de deux cohortes : Constances, 200 000 personnes représentatives de la population dont 100 000 femmes, et Nutrinet-Santé, qui vise 500 000 participants et se consacre aux habitudes alimentaires. Elles examinent plus particulièrement le lien éventuel entre la maladie et des expositions périnatales (tabagisme pendant la grossesse, prématurité, allaitement), la consommation d’aliments ultratransformés et d’additifs et l’exposition à la pollution de l’air. « L’intérêt de cette étude prospective est qu’elle regarde les expositions pendant l’enfance, avant que l’endométriose se développe », a expliqué Mme Kvaskoff. Objectif, « apporter des connaissances essentielles sur les facteurs de risque d’endométriose pour, à terme, mettre en place des moyens de la prévenir et améliorer le quotidien de millions de femmes ».

Car tel est l’intérêt de tous ces programmes : améliorer la prévention des maladies typiquement féminines, et des autres. S’il est toujours possible d’agir individuellement en privilégiant des produits bio et en essayant de limiter le plastique, la prévention passera essentiellement par des mesures gouvernementales, a insisté M. Barouki. « C’est un énorme enjeu sur les plans sanitaire, sociétal et économique, puisqu’on économiserait des centaines de milliards d’euros en faisant attention aux perturbateurs endocriniens, au tabagisme, a-t-il plaidé. La solution sera globale. Il faut que le gouvernement interdise certaines substances et prenne des décisions pour limiter la pollution de l’air. »

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