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La fermeture de magasins Comptoir des Cotonniers et Tam Tam, signe d'un changement d'ère

«Camaïeu, Kookaï, Burton sont vouées à disparaître à force de ne pas comprendre l'évolution de la structure du marché de l'habillement et surtout de ne pas prendre suffisamment soin de leur marque.»
«Camaïeu, Kookaï, Burton sont vouées à disparaître à force de ne pas comprendre l'évolution de la structure du marché de l'habillement et surtout de ne pas prendre suffisamment soin de leur marque.» AUFORT Jérome / stock.adobe.com

ENTRETIEN - Après Pimkie, Camaïeu, Kookaï ou Burton, les marques Princesse Tam Tam et Comptoir des Cotonniers sont elles aussi en grande difficulté. Pour le philosophe et spécialiste du marketing Benoît Heilbrunn, le milieu de gamme souffre de la vente en ligne et de la concurrence du low cost, davantage en phase avec l'idéologie consumériste dominante.

Benoît Heilbrunn est philosophe et professeur de marketing à l'ESCP Business School. Auteur de plusieurs ouvrages sur le marketing, son dernier livre, Peut-on consommer mieux ? (First) a été publié en 2020.


LE FIGARO. - Après Pimkie, Camaïeu, Kookaï ou Burton, le groupe Fast Retailing France (Comptoir des Cotonniers, Tam Tam...) a annoncé ce lundi envisager la fermeture de 55 magasins sur 136 en France de ces deux enseignes d'habillement, ainsi que la suppression de 304 postes. Pourquoi ces enseignes d'habillement sont-elles en difficulté ?

Benoit HEILBRUNN. - Elles sont vouées à disparaître à force de ne pas comprendre l'évolution de la structure du marché de l'habillement et surtout de ne pas prendre suffisamment soin de leur marque. Beaucoup d'enseignes de produits textiles fonctionnent encore selon une logique de marchands qui consiste à aligner des produits peu singuliers et de recourir massivement à la promotion. Le marché du textile n'est plus vraiment un marché de mode, on ne parle pratiquement plus de style, de création, de rupture, d'innovation technologique à un moment où les injonctions à moins acheter structurent le discours social. Ces enseignes passent le plus clair de leur temps à essayer de renifler des tendances qui n'existent plus guère et surtout à se copier les unes des autres. Or, si une marque n'a pas une vraie posture, une vraie vision et surtout des points de différence saillants, elle n'a aucune chance de survivre dans un univers qui est devenu celui de la promotion car le produit ne compte plus guère.

Que l'on pense à des marques aussi différentes d'Uniqlo avec ses produits iconiques made in Japan, Desigual avec ses motifs bariolés permettant à quiconque de ne pas passer inaperçu ou encore Jacquemus avec la force du storytelling personnel du créateur ; autant d'exemples qui montrent comment faire exister une marque dite de mode sur un marché encombré. Qu'est-ce qu'une marque, si ce n'est une proposition de valeur. Or que trouve-t-on dans ces magasins que l'on ne puisse trouver ailleurs ? Ce qu'il manque à ces enseignes, c'est la force d'une marque capable de raconter une histoire pour scénariser des produits qui sont finalement standards. Ce que faisait d'ailleurs très bien en son temps Comptoir des Cotonniers avec un récit de transmission intergénérationnel qui faisait sens. Comment voulez-vous qu'une enseigne qui ne propose aucun élément stylistique saillant, n'est incarnée par aucune personne charismatique, ne porte aucun discours sur la société autre que le bullshit ambiant, et ne scénarise pas son offre, puisse survivre sur ce marché hyperconcurrentiel soumis à une baisse tendancielle du prix ? Et ce n'est que le début d'une hécatombe qui va engloutir la plupart de ces marques enseignes qui sont finalement vides de sens dans une société soumise à de très forte contrainte d'accès aux ressources et de recyclabilité. Et pour recycler, il faut une fibre de qualité, ce qui n'est souvent pas le cas du moyen de gamme.

La concurrence de la vente en ligne est-elle la seule responsable de ce déclin ?

Je pense que c'est un alibi mis en avant par les entreprises qui ont négligé leur stratégie de marque, se laissant engloutir par le recours systématique au benchmark qui tue dans l'œuf toute idée de créativité. L'autre facteur est évidemment la généralisation d'une logique de guerre des prix qui ravage le marché du textile autant que la planète. Or le prix, c'est justement ce qu'on brandit quand on n’a plus rien à dire sur sa marque. Et une marque qui n'a rien à dire, rien à proposer n'a aucune raison d'exister.

Le marché du textile n'est plus régi par la mode mais par l'idée d'excitation permanente, davantage liée à des images (car tout se passe en ligne) plutôt que par des produits dont le rôle se limite à être des prétextes à satisfaire une compulsion d'achat.

Benoît Heilbrunn

Pour une jeune génération biberonnée au renouveau permanent, à des prix toujours très alléchants, ces marques sont-elles devenues ringardes ?

Il est clair que ces marques n'ont pas su s'adapter à la digitalisation des comportements d'achat sur un marché dont on pensait a priori que la visite en magasin et le fait de toucher les produits étaient des points de passage obligés du comportement d'achat. Les nouveaux entrants ont réussi à dynamiter la psychologie de l'acheteur de vêtement avec des sites qui regorgent de calls to action. À partir du moment où l'idée de mode est en train de s'absenter du marché du textile moyen et bas de gamme, il s'agit pour ces acteurs de renforcer une pulsion marchande et finalement le produit a peu de place dans cette histoire. Ce marché du textile n'est plus régi par la mode mais par l'idée d'excitation permanente, davantage liée à des images (car tout se passe en ligne) à satisfaire une compulsion d'achat. La recherche de l'effet d'aubaine y est devenue la règle car l'on ne parle plus guère de vêtement, d'innovation technique, de matière. À partir du moment où il est possible d'acheter un pantalon pour 2€, cela signifie que plus rien n'a de valeur et que dans cette perte de sens généralisé, ne demeurent plus que des simulacres, c'est-à-dire des vêtements cheap qui ont pour seule fonction de satisfaire des pulsions marchandes. Cela emblématise le paradoxe de notre société marchande, à savoir que la quête de produits inutiles est devenue une activité dominante alors qu'on nous enjoint à la durabilité, à la recyclabilité et à la sobriété. D'ailleurs ce ne sont pas seulement les individus désargentés qui achètent sur Shein car cela peut devenir un jeu, un peu comme si on allait au casino de façon licite.

Outre le textile, le milieu de gamme est-il, en France, voué à sa perte ? Qu'est-ce que cela dit selon vous de l'évolution de nos mentalités ?

Je pense effectivement que le moyen de gamme n'est pas une option viable à long terme, et ce quel que soit le secteur. Pas plus que le bas de gamme. Mais les acteurs du low cost se nourrissent d'une idéologie de l'accès de tous à tous les produits, idée qui est au fondement de notre culture consumériste. Ces marques de textile low cost revendiquent finalement une posture politique qui est de pouvoir habiller chacun au prix le plus bas possible, de la même façon que la grande distribution s'est enorgueillit depuis les années 60 de nourrir les Français à bas coût. Cette offre low cost va effectivement contribuer à faire disparaître le moyen de gamme car elle s'inscrit finalement dans l'idéologie dominante : l'inclusivité déclinée sous sa forme consumériste. Il y a donc ici un enjeu politique majeur car le déploiement d'un tel système d'offre n'est pas compatible avec les enjeux environnementaux auxquels nous sommes confrontés. C'est pourquoi, je crois en l'avenir de vêtements plus solides, plus durables et donc plus qualitatifs. Il faut repenser le vêtement en termes d'investissement, d'usage, de transmission, de circularité et non plus comme un objet de pacotille. C'est justement ce récit qu'une marque comme Comptoir des Cotonniers pourrait réactiver si elle s'en donnait les moyens.

La fermeture de magasins Comptoir des Cotonniers et Tam Tam, signe d'un changement d'ère

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3 commentaires
  • Warren Haynes

    le

    Uniqlo est une société japonaise certes… Mais les produits sont fabriqués en Chine. Pour le reste .. L’idée d’acheter plus qualitatif est bien sûr une approche de bon sens .. Reste qu’il faut en avoir les moyens ..

  • Macareux

    le

    Bonne analyse très claire.

  • Pyrene

    le

    Jargon incompréhensible ! Ma seule question : où vais je pouvoir m'habiller et me chausser ? Dans ma petite ville de province il n'y a plus d'offre, et acheter sur internet, à un certain âge, personne ne le fait autour de moi ou si peu. Quelle déclin

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