Attaque d’Annecy : « Ceux qui vont vouloir tirer un profit politique d’un tel drame se trompent moralement et politiquement »

L’heure est à l’émotion au sein de la classe politique après l’attaque à l’arme blanche à Annecy qui a fait six blessés dont plusieurs enfants jeudi 8 juin. Sur les réseaux sociaux, certains responsables politiques à droite ont néanmoins utilisé le profil du suspect pour dénoncer la politique migratoire du gouvernement. Interrogés par Public Sénat, deux sénateurs de Haute-Savoie appellent à la retenue et condamnent les tentatives d’instrumentalisation.
Romain David

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« Nous avons appris avec beaucoup d’émotion la terrible attaque contre plusieurs personnes dont des enfants, sur une aire de jeux à Annecy, par un individu armé d’un couteau ». Ce jeudi matin, les travaux du Sénat, où le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice est en cours d’examen en séance publique, se sont interrompus quelques secondes à l’annonce de ce drame, qui a fait six blessés, dont quatre enfants en bas âge en état d’urgence absolue. Le sénateur LR Roger Karoutchi, qui présidait la séance, a exprimé « au nom du Sénat tout entier son soutien aux victimes et à leurs proches, ainsi qu’aux forces de l’ordre et aux secours ». Du côté de l’Assemblée nationale, députés et ministres, qui étaient en train de débattre de la proposition d’abrogation de la réforme des retraites, ont observé une minute de silence. La Première ministre Élisabeth Borne et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin se sont aussitôt rendus en Haute-Savoie.

« De la stupeur, de l’horreur, de l’effroi et de l’incompréhension », lâche pêle-mêle auprès de Public Sénat Cyril Pellevat, sénateur LR du département, dont la permanence « est à deux pas » des lieux de l’attaque, sur les bords du lac d’Annecy. Il évoque « un petit coin de paradis, avec beaucoup d’enfants, surtout en ce moment, à l’approche de la période estivale ». « À cet instant, mes pensées inquiètes vont vers les familles, parce qu’il y a des enfants et des adultes hospitalisés. Il faut que ces personnes gagnent leur combat pour rester en vie », a également réagi à notre micro Loïc Hervé, sénateur centriste de Haute-Savoie.

L’auteur présumé, un Syrien ayant obtenu un statut de réfugié en Suède

Interpellé quelques minutes après être passé à l’acte, l’assaillant a été présenté comme un trentenaire de nationalité syrienne. « À ce stade, je peux dire qu’il s’agit a priori d’un Syrien qui a le statut de réfugié depuis dix ans en Suède, qui a demandé l’asile en France, ce qui était sans objet puisqu’il a déjà un statut de réfugié en Suède », a indiqué la Première ministre Élisabeth Borne, lors d’une conférence de presse commune avec la procureure de la République d’Annecy. « Il n’y a aucun mobile terroriste apparent, une évaluation est en cours comme c’est d’usage. L’enquête porte sur une tentative d’assassinat », a précisé cette dernière.

« Avant de s’emballer sur ce sujet, il faut que le temps de l’enquête puisse avoir lieu, Aujourd’hui cela doit être le temps de l’émotion, de la solidarité avec ces petits enfants, leurs familles et tous les habitants d’Annecy qui sont choqués par ce qu’il s’est passé », a encore ajouté Élisabeth Borne. Dans une vidéo particulièrement violente, présentée comme un enregistrement de l’agression faite par un témoin, et diffusée sur les réseaux sociaux, l’assaillant crie en Anglais : « In the name of Jesus Christ » (« Au nom de Jésus Christ » en français).

Une partie de la droite dénonce « le laxisme migratoire »

À droite de l’échiquier politique, de nombreuses voix se sont exprimées sur les réseaux dans la matinée pour relier ce fait divers au calendrier politique : le gouvernement doit présenter d’ici l’automne un nouveau projet de loi sur l’immigration, après une première mouture dont l’examen au Sénat a été interrompu au regard de la détérioration du climat politique et social après l’adoption au forceps de la réforme des retraites. Entre-temps, Les Républicains ont fait monter les enchères sur ce sujet en présentant leurs propres propositions, allant jusqu’à réclamer une révision constitutionnelle pour pouvoir s’émanciper du cadre européen sur ces questions, ainsi qu’une réforme des modalités d’examen des demandes d’asile.

« L’attaquant d’Annecy était un demandeur d’asile syrien. Ce type de cas se multiplie. C’est pourquoi il est indispensable que les demandes d’asile soient effectuées en dehors du sol national, comme nous le demandons à LR. Le laxisme migratoire doit cesser ! », a écrit Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat sur Twitter. « L’horreur sur notre territoire. Alors que ces barbares, souvent étrangers, s’en prennent à nos enfants, il n’est plus l’heure de débattre mais d’envisager des actions fortes », a également twitté la sénatrice LR des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer. « L’immigration massive incontrôlée tue. Plutôt que de nous lamenter à chaque nouveau crime, mettons enfin un coup d’arrêt à l’immigration de masse ! », a posté Olivier Marleix, le patron des députés LR, également sur Twitter.

« Lancer aujourd’hui une polémique politique afin d’alimenter un débat national, je trouve cela totalement indécent »

Toujours auprès de Public Sénat, leur collègue Cyril Pellevat invite à la retenue. « On a tendance, sur ce type d’évènement, à entendre tout et son contraire », regrette-t-il. « Il faudra, sur l’immigration, un texte qui soit le plus adéquate possible, éventuellement avec une forme de recul sur les enseignements de cet événement. Mais ce qui est certain, c’est qu’il n’est jamais bon de légiférer sous le coup de l’émotion », avertit l’élu.

« Le temps est à la compassion, au soutien des familles. Il fallait absolument attendre la conférence de presse du préfet et de la procureure d’Annecy pour pouvoir faire un certain nombre de commentaires », observe également Loïc Hervé. « Le premier élément, assez important, c’est qu’il n’y a pas de qualification terroriste, même si cela n’enlève rien au drame. Le profil du personnage semble complexe et ne pas cocher les cases des premières réactions. Je trouve assez indécent que certaines communications aient été faites avant même d’attendre les informations officielles de l’autorité judiciaire et des services de l’Etat. »

« Lancer aujourd’hui une polémique politique afin d’alimenter un débat national, je trouve cela totalement indécent », poursuit Loïc Hervé. « On sait très bien dans quel sens cela va, puisque l’objectif est de faire moins de coopération européenne, de remettre en cause la hiérarchie entre le droit européen et le droit français, de rétablir des frontières au sein même de l’UE. On voit très bien les propositions qui sont mises sur la table puisque ce sont celles du RN depuis des années », s’agace encore le centriste dont la famille politique, traditionnellement alliée à la droite au Sénat, a pris ses distances avec LR sur les questions migratoires. « Tous ceux qui vont vouloir essayer de tirer une forme de profit politique d’un tel drame se trompent, moralement et politiquement », conclut l’élu.

Les députés Renaissance accusés de récupération par les oppositions

La majorité présidentielle a également été taxée de récupération politique autour de ce drame, qu’elle s’est vue accuser d’instrumentaliser pour échapper à une nouvelle séquence sur la réforme des retraites. Ce jeudi matin était en effet débattue au Palais Bourbon la proposition de loi du groupe LIOT visant à abroger le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Bien que vidé de sa substance lors de son passage en commission, ce texte a fait l’objet d’une intense bataille procédurale, le camp présidentiel ayant invoqué un motif d’irrecevabilité financière pour éviter un nouveau débat sur sa réforme.

Mais lors d’un bref point presse en salle des Quatre Colonnes, Aurore Bergé, la cheffe de file des députés macronistes, a appelé à ce que « l’humanité » prenne le pas sur les débats parlementaires. « Être en ce moment dans l’hémicycle avec une espèce de bataille de chiffonniers sur une recevabilité ou non d’amendements nous paraît en total décalage par rapport à l’effroi qui à mon avis submerge notre pays », a estimé la députée des Yvelines. « Nous voulons dire notre totale solidarité, que nos pensées aujourd’hui ne sont tournées que vers les familles et celles et ceux qui sont à leurs côtés », a-t-elle déclaré.

« Je trouve honteux qu’en plein débat sur la proposition de loi LIOT, les députés de la majorité soient sortis faire un point presse pour évacuer le texte avec ce drame », réagit auprès de Public Sénat le sénateur socialiste Rémi Cardon. « Deux faits d’actualité sans lien, des enjeux distincts qui n’ont aucun rapport entre eux ne méritent pas le traitement écœurant et la récupération politique de l’émotion que tente de faire Aurore Bergé. C’est tout bonnement indigne », a également taclé le sénateur socialiste Thierry Cozic sur les réseaux sociaux.

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