Ingérences étrangères en France : la Chine se « russianise », selon un rapport parlementaire

Comme la Russie, la Chine recourt aux « manipulations de l’information, les cyberattaques ou encore l’espionnage ». [Shutterstock/Herr Loeffler]

Un rapport parlementaire sur les ingérences étrangères en France, publié jeudi (8 juin), pointe l’ingérence croissante de la Chine en France, dont les objectifs restent pour l’essentiel économiques et de contrôle de son image et de la diaspora. Ses méthodes se font cependant de plus en plus agressives.

Le rapport parlementaire, rédigé par la rapporteure Constance Le Grip (Renaissance), intervient après cinq mois et demi de travail et d’auditions de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères en France. La commission avait été lancée par le parti d’extrême droite Rassemblement national (RN/ID) pour couper court aux accusations d’accointance avec le régime de Vladimir Poutine.

Si, en matière d’ingérences, la Russie est bel et bien la menace la plus importante pour la France, la Chine « a recours à des manœuvres de plus en plus agressives et malveillantes », a conclu le rapport.

En effet, le directeur des renseignements extérieurs français (DGSE), Bernard Emié, considère que la Chine est passée d’un statut de « puissance contenue » à « puissance agressive », avec une « diplomatie débridée ».

Le pays s’inspire des méthodes de la Russie, selon experts et responsables politiques auditionnées, évoquant une « russianisation ou soviétisation des opérations d’influence chinoises ».

La Chine mène désormais « une stratégie qui alimente la contestation des normes », en s’appuyant sur sa diaspora et son réseau culturel, afin de remettre en question l’ordre occidental et le fragiliser. Comme la Russie, la Chine recourt aux « manipulations de l’information, les cyberattaques ou encore l’espionnage ».

Ce processus de « russianisation » est bel et bien en cours, mais la « guerre informationnelle » de la Chine « n’a pas encore atteint le degré de malveillance de celle de la Russie ».

La France « particulièrement exposée » à l’espionnage et à la désinformation, selon le chef de la DGSI

Auditionné par la commission d’enquête sur les ingérences étrangères de l’Assemblée nationale, le chef de la DGSI Nicolas Lerner est revenu sur les ingérences en politique et l’importance de la désinformation pour décrédibiliser la voix de la France.

L’ingérence chinoise cherche notamment à contrôler son image et ses ressortissants, le rapport évoquant une « guerre de l’opinion publique ».

Son « but est de dégrader le modèle des démocraties libérales afin de promouvoir indirectement le modèle politique de la RPC », ce qui passe, comme pour la Russie avec Sputnik et Russia Today, par le contrôle de certains médias comme Xinhua et Radio Chine Internationale. La Chine contrôle également une grande partie de la presse en langue chinoise diffusée dans le monde. Des méthodes semblables se développent en provenance de la Turquie.

En plus des médias traditionnels, la propagande du Parti communiste chinois est diffusée par des trolls sur les réseaux sociaux, qui « défendent, attaquent, entretiennent des polémiques, insultent, harcèlent ». Le rapport note que ces activités sont aussi menées par « de véritables internautes rémunérés pour publier des contenus, voire d’officiels chinois », à l’image des « loups guerriers » de la diplomatie chinoise.

Dans cette stratégie d’ingérence, la diaspora est « à la fois un vecteur et une cible des ingérences » de la Chine. « Tout citoyen chinois, même binational, est considéré par les Chinois comme un agent de renseignement activable », résume le chef des services de renseignements extérieurs.

Pour opérer ce contrôle, le rapport note l’existence d’une « myriade d’associations culturelles ou sportives, de lieux culturels, de réseaux d’amitié et d’entraide » qui « font partie intégrante d’une nébuleuse » suivie ou financée par les ambassades chinoises.

Ingérence économique et technologique

Le rapport juge que « l’atteinte au patrimoine scientifique et technologique par les ingérences chinoises qui constitue la menace la plus grave à l’heure actuelle. »

Avec cet objectif, la Chine « a beaucoup recours au renseignement clandestin », le chef de la DGSE évoquant une « campagne d’espionnage massive » passée notamment par les réseaux sociaux grâce à de l’hameçonnage.

Le numérique est un secteur dans lequel les menaces sur la souveraineté nationale sont importantes. En effet, le rapport attire l’attention sur les risques de cybersécurité liés à la large diffusion de TikTok, réseau social appartenant à une entreprise chinoise, et l’essor de la 5G chinoise.

À ce titre, « l’influence chinoise mise sur la construction d’une alternative aux GAFAM américains », juge la DGSE. Les activités de Huawei, géant chinois de la téléphonie et des communications, doivent également susciter « la vigilance de nos services de renseignement », estime le rapport.

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« Entrisme » dans les universités

Comme l’a rapporté EURACTIV, la Chine se livre à une forme d’entrisme dans les milieux universitaires et de recherche en Europe, moins régulés que les secteurs sensibles. De nombreuses institutions sont ciblées par des financements provenant de Chine, avec un objectif d’ingérence. Le rôle des instituts Confucius est qualifié d’« ambigu ».

Aussi, le rapport met en exergue des pratiques de chantage au visa envers les chercheurs, ou du recours à des procédures bâillon envers. Enfin, il est ressorti des auditions de la commission d’enquête que les coopérations entre des universités françaises ou européennes et chinoises sont problématiques : elles sont souvent déséquilibrées au profit de la Chine, elles mettent à mal les libertés académiques et représentent un risque de « captation du potentiel scientifique et technique » d’une nation, parfois dans des domaines sensibles.

La « prédation économique » représente l’essentiel des efforts chinois en matière d’ingérence, car « la Chine n’a pas encore déployé l’étendue de sa capacité d’ingérence », note le rapport.

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D’autres États représentent une menace d’ingérence

Enfin, le rapport évoque les ingérences — ou tentatives d’ingérence — provenant d’autres pays, bien que la Chine et la Russie soient les principales menaces pour le cas français. Certains pays, comme l’Iran et la Turquie « ont recours à des stratégies qui incluent des actions violentes ». D’autres se livrent à des pratiques relevant davantage de l’« influence », à l’image du Maroc, du Qatar et de la Turquie.

Dans le cas de l’Iran, outre l’organisation d’attentats en France et dans d’autres pays, la persécution d’opposants, son activité d’espionnage vise particulièrement le « patrimoine scientifique et technologique » français.

La Russie et le Qatar sont les deux pays recourant le plus à la corruption, explique le rapport. Dans le cas du Qatar, l’émirat développe, en France et dans d’autres États membres, « des opérations d’influence poussées », passant par la corruption ou encore le financement de think tanks, centres de recherche, associations, centres cultuels islamiques et même des lycées privés, à des fins de propagande.

L’activité d’influence et d’ingérence de ces pays aurait davantage pour objectif l’amélioration de leur image en Occident qu’une véritable déstabilisation.

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