L'inculpation de Donald Trump pourrait lui valoir jusqu'à 420 années de prison
Le milliardaire est visé par 37 actes d’inculpation, pour avoir emporté et dissimulé des documents classifiés.
- Publié le 12-06-2023 à 07h00
Donald Trump ne devrait plus jamais se voir confier les secrets de la nation", titrait le New York Times, le 9 juin, alors que l'ancien président venait d'être mis en accusation pour avoir mis en danger la sécurité des États-Unis. Le pays est entré dans une ère surréaliste depuis que le procureur spécial, Jack Smith, a présenté vendredi le détail des 37 chefs d'inculpation visant le milliardaire, qui a emporté des caisses de documents sensibles - liés par exemple aux programmes nucléaires - en quittant la Maison-Blanche en 2021. Cet acte d'accusation criminel est historique : c'est la première fois qu'un ancien chef d'État est inculpé par la justice fédérale (et risque jusqu'à… 420 ans de prison au total, selon le calcul du NYT). Surtout, cette affaire n'anéantit toujours pas les chances de Donald Trump de remporter la primaire républicaine et de briguer une réélection, à tel point que certains analystes et médias en viennent à imaginer le scénario d'un président condamné, voire prisonnier…
Pourtant, les faits qui lui sont reprochés sont gravissimes, comme la "rétention illégale d'informations portant sur la sécurité nationale" et "entrave à la justice". Selon la loi, un président qui quitte sa fonction doit transmettre ses emails, lettres et autres documents de travail aux archives nationales. Par ailleurs, l'Espionnage Act interdit de conserver des secrets d'État dans des lieux non autorisés et non sécurisés. Mais Donald Trump a, lui, ramené des milliers de documents présidentiels - dont plus de 300 classifiés - à Mar-a-Lago, sa résidence et club privé de Palm Beach. Il a ainsi illégalement conservé des documents concernant "les programmes nucléaires des États-Unis, les vulnérabilités potentielles des États-Unis et de leurs alliés face à une attaque militaire et les plans de représailles possibles en réponse à une attaque étrangère".
Pour se vanter autour d’une partie de golf…
L'acte d'inculpation détaille les efforts extraordinaires de l'ex-président pour éviter de rendre ces archives et échapper aux enquêteurs du FBI. Un exemple : en avril 2021, le personnel de Mar-a-Lago a dû déplacer des documents stockés dans une salle de réception, destinée à devenir un espace de bureaux. "Il y a encore un peu de place dans la douche", écrit un assistant à un autre. Des cartons de documents classés top secret se sont ainsi retrouvés entassés autour d'un WC, dans une salle de bain ultra-marbrée.
Mais pourquoi ? L’acte d’accusation, long de 49 pages, ne répond pas à cette question. Pas plus que les médias qui spéculent, depuis deux jours, sur les raisons de Donald Trump, comme pour espérer qu’il ne s’agit pas simplement d’un enième de ses caprices. Or l’enquête décrit à quel point le milliardaire était attaché à "ses boîtes", que ses assistants n’osaient jamais déplacer trop loin de lui. Ou encore comment le milliardaire a sorti un plan d’attaque classifié contre l’Iran pour… gagner un débat avec ses invités, dans son club de golf dans le New Jersey. "Il est beaucoup plus probable qu’il s’agisse d’un trophée qu’il brandit en disant: ‘Regardez, j’ai ceci’", avait prévenu l’année dernière Chris Christie, ancien ami de Donald Trump et ex-gouverneur du New Jersey, à l’époque où les autorités se démenaient pour récuperer les documents.
Quelles conséquences politiques ?
Le procès pourrait avoir lieu dès l'année prochaine. Soit en plein pendant la course à l'investiture républicaine, que Donald Trump domine. A la veille de cette mise en accusation, il devançait le gouverneur de Floride Ron DeSantis de 19 points de pourcentage, selon la moyenne nationale des sondages de FiveThirtyEight. Rien ne dit que cette inculpation pourrait l'affaiblir au point d'en être écarté, ni même de perdre le soutien des grandes figures du parti. "Moi, et tous les Américains qui croient en l'état de droit, nous nous tenons aux côtés du président Trump contre cette grave injustice", a tonné Kevin McCarthy, le chef des Républicains à la Chambre des représentants, accusant sans preuves le président Joe Biden d'avoir fabriqué cette affaire.
Samedi, dans un discours prononcé à un meeting républicain en Géorgie, Donald Trump a expliqué que son inculpation faisait partie d'une "bataille finale" contre des forces "corrompues". "Ils ne s'en prennent pas à moi. Ils s'en prennent à vous et je ne fais que leur barrer la route", a-t-il lancé devant une foule en délire. Le récit que le Républicain s'est bâti reste "difficile à battre", constate Jeff MacLeod, professeur de sciences politiques à l'Université de Mount Saint Vincent (Canada), sur le site The Conversation. "Présenté comme un héros, aujourd'hui injustement persécuté par le système de justice pénale", M. Trump se veut être "une légende". Et "les légendes vivantes sont à l'abri de certaines critiques et difficiles à vaincre".
Qu'en serait-il si Donald Trump est condamné ? Cela aurait l'effet d'une bombe, sans pour autant enterrer définitivement sa candidature. La Constitution n'interdit en rien à un criminel de briguer la présidence des États-Unis. La semaine dernière, le site Politico rappelait le cas d'Eugene V. Debs, qui a obtenu près d'un million de voix en 1920 alors qu'il se trouvait derrière les barreaux pour une condamnation au titre de la loi sur l'espionnage - la même que M. Trump est accusé d'avoir violé.
En cas de victoire, le New York Times explique que le milliardaire chercherait sans doute à obtenir un non-lieu ou une annulation de la condamnation, au motif qu'elle entraverait sa capacité à exercer ses fonctions de président. Difficile de savoir si cela pourrait fonctionner : la Cour suprême n'a évidemment jamais été amenée à se pencher sur un tel sujet. Et si c'est un Donald Trump emprisonné qui venait à remporter les élections présidentielles ? Il pourrait soit être démis de ses fonctions qu'il serait incapable d'exercer ou… être libéré, sur base d'un recours constitutionnel. De la science-fiction politique ? Si ces scénarios sont hautement improbables, plus personne n'ose totalement les écarter… "Je ne m'en irai jamais", a en tout cas juré Donald Trump, dans un entretien accordé samedi à Politico.