"Un monde à +2°C pourrait encore être assurable, un monde à 4°C ne le serait certainement plus", déclarait en 2015, à la veille de la COP21 Henri de Castries, alors président d’AXA, premier assureur mondial. Aujourd’hui la planète enregistre un réchauffement de +1,2°C et déjà, les assureurs commencent à se désengager. Symbole de ce mouvement, la Californie. L’État est à l’avant-garde du changement climatique. Méga-feux, méga-sécheresse, inondations, bombe cyclonique… tout l’ouest américain est touché. Et le sort s’acharne. State Farm, le plus grand assureur de biens de l’État, vient d’annoncer qu’il ne proposerait plus de couvertures aux nouveaux propriétaires dans l’ensemble de la Californie.
Le groupe
"a pris cette décision en raison de l’augmentation historique des coûts de construction supérieure à l’inflation, d’une exposition aux catastrophes en croissance rapide et d’un marché de la réassurance difficile", peut-on lire
dans le communiqué de presse publié par l’assureur. Pour le New York Times, pas de doute :
"les compagnies d’assurances, fatiguées de perdre de l’argent, augmentent leurs tarifs, restreignent leur couverture ou se retirent tout simplement de certains endroits". D’autant que State Farm n’est pas la seule assurance à se désengager.
Des prix triplés
Allstate, le quatrième plus grand assureur de biens de l’État, a lui aussi suspendu les nouveaux contrats. "Le coût pour assurer les nouveaux clients résidentiels en Californie est bien plus élevé que le prix qu'ils paieraient pour des polices en raison d'incendies de forêt, des coûts plus élevés pour réparer les maisons et des primes de réassurance plus élevées", a expliqué l’assureur dans un mail adressé au média local San Francisco Chronicle.
Plus tôt dans l’année, en janvier, ce sont deux autres géants de l’assurance qui ont changé de politique : American International Group (AIG) et Chubb. Soit ils se désengagent complètement, préférant jeter l’éponge face aux feux à répétition, soit ils triplent voire quintuplent le prix de leur couverture. "Nous sommes très déçus qu'une entreprise diversifiée dotée d'énormes ressources mondiales comme AIG ne maintienne pas le cap pour aider à soutenir des communautés plus sûres et plus résilientes ici en Californie", déclarait alors au Wall Street Journal Michael Soller, commissaire adjoint au California department of insurance, l'autorité de supervision de l'État.
Partout dans le monde, les assureurs tirent la sonnette d’alarme. Entre l’ouragan Ian en Floride, les grêles en France, les incendies, les sécheresses, les tempêtes hivernales… l’année 2022 a représenté un coût de 275 milliards de dollars de dommages, dont 125 milliards étaient assurés. Un record selon le réassureur Swiss Re.
Un mot clé : l'adaptation
À contre-courant du désengagement des assureurs, la Banque centrale européenne et l’Eiopa, l’autorité de supervision de l’assurance, ont évoqué fin avril des pistes pour mieux indemniser les catastrophes climatiques. Car aujourd’hui, seul un quart des pertes liées à ces catastrophes sont assurés en Europe. "Nous devons accroître le recours à l'assurance contre les catastrophes climatiques pour limiter l'impact croissant des catastrophes naturelles sur l'économie et le système financier", a déclaré le vice-président de la BCE, Luis de Guindos.
En France, le gouvernement vient d’ailleurs de lancer une mission sur l’assurabilité des risques climatiques. Un des enjeux est justement d’assurer la soutenabilité du régime français.
"Les évènements climatiques extrêmes - tempêtes, inondations, cyclones, sécheresses - se multiplient et augmentent en intensité. Ces évènements posent dès aujourd’hui la question de l’assurabilité de nombreux territoires, en Outre-mer comme en métropole", a déclaré Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie. Du côté de l’Assemblée nationale, le premier pas d’un long chemin a été franchi en avril dernier. Les Parlementaires ont en effet facilité l’indemnisation des
propriétaires de maisons fissurées en raison de la sécheresse.
Reste un point clé : l’adaptation. Car ni l’État ni les assureurs ne pourront dans un monde de plus en plus impacté par la crise climatique, prendre en charge les dommages.
"Aujourd’hui, avec l'argent de l'assurance on peut faire des travaux ou racheter un bien qui permettent de se retrouver dans une situation presque identique à avant le sinistre", écrit le président du think thank Shift Project Jean-Marc Jancovici.
"Mais avec des moyens énergétiques en décrue (empêchant de reconstruire ou refabriquer facilement), et des actifs naturels non remplaçables (une forêt qui brûle ou une espèce détruite), la remise dans l'état antérieur aura de moins en moins de sens", résume-t-il.