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Mickaëlle Paty : "Les menaces de subir 'une Samuel Paty' sont devenues omniprésentes"
Le but de la lettre de Mickaëlle Paty : inciter les maires de France à nommer des rues au nom de Samuel Paty.
Philippe Lopez / AFP

Mickaëlle Paty : "Les menaces de subir 'une Samuel Paty' sont devenues omniprésentes"

Laïcité

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« Marianne » publie, en exclusivité et dans son intégralité, la lettre que Mickaëlle Paty, qui porte le combat pour la vérité sur la mort de son frère Samuel, a rédigée à l'occasion d'une conférence de l'association Unité Laïque au Sénat ce lundi. Le but de cette initiative : inciter les maires de France à nommer des rues au nom de Samuel Paty.

Samuel Paty : un nom, une mémoire, et bientôt une rue dans chaque ville de France ? C'est le projet que défendaient l'association Unité Laïque et son président Jean-Pierre Sakoun ce lundi 12 juin, lors d'une conférence de presse au Sénat, avec le soutien de la sénatrice (LR) Jacqueline Eustache-Brinio.

« Nommer une rue d'après un héros de la République est un geste signifiant, aussi bien mémoriel que pédagogique. On perpétue ainsi le souvenir de la personne et de son action héroïque. On l'inscrit pour toujours dans l'esprit des générations futures », y a affirmé Jean-Pierre Sakoun, avec le soutien de Mickaëlle Paty, la sœur du professeur d'histoire-géographie assassiné. Cette dernière a rédigé une lettre, lue pour l'occasion, dans laquelle elle met en garde contre notre passivité collective. Elle y appelle à « honorer Samuel Paty, honorer la République », aussi bien qu'elle y déroule un propos puissant et engagé, contre « les adeptes du 'pas de vague' » et d' « un dispositif d'inversion totale des valeurs », lequel est une « menace pour notre démocratie et pour notre humanité ». Marianne publie cette lettre en intégralité et en exclusivité.

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Les attaques que subissent nos valeurs républicaines s'accumulent pour devenir la règle.

Face à notre incapacité à enrayer ce fléau et au mécanisme d'accoutumance déployé par les adeptes du « pas de vague », on a l'impression que nous nous habituons au pire. Dans ce monde totalement déréglé, tout converge pour exiger de trouver normal ce qui est anormal. Ceux qui osent encore dire le contraire se retrouvent affublés du titre d'infréquentable par l'usage des procédés violents d'habiles censeurs. Ce qui clôt tout débat d'idées. Là où, pourtant, le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté. L'absurde est devenu réalité lorsque mon frère a été décapité en octobre 2020. Depuis, les menaces de subir « une Samuel Paty » sont devenues omniprésentes.

La réalité n'est-elle pas en train de devenir absurde lorsque l'anormal devient la norme ?

Prôner la tolérance et invoquer l'extrême bienveillance, ces armes du désespoir, voilà surtout ce qui est désespérant, quand on sait déjà que la calomnie viendra ravaler au rang de malveillant, le bienveillant. Cela ne fait également qu'encourager la posture victimaire des agresseurs et le muselage des agressés. Chacun finira par se rassurer, se convainquant qu’il ne sera pas la prochaine cible en convenant « que celui qui a été assassiné n'avait sans doute pas été assez bienveillant ». Déplacer sans cesse le curseur vers plus de bienveillance n'a pourtant produit, depuis quarante ans, qu’un seul et même effet. Ce n'est pas le résultat qui est faux ; face à l'inefficacité il faut enfin reconnaître que c'est la méthode qui est mauvaise.

Défendre et honorer notre République, ce n'est pas un combat d'arrière-garde. L'enjeu est bien devant nous et il est de notre devoir de ne plus laisser seuls nos professeurs prendre « un risque », comme on dit, en défendant nos valeurs républicaines. Il est temps de faire preuve d'unité, de fraternité et de courage pour montrer autre chose que notre peur réclamant protection, pour s'opposer vraiment aux offensives islamiques qui imposent un différentialisme source de toutes les divisions. La terreur est l'arme de ceux qui n'ont pas les mots pour défendre une idée, parce qu'elle est indéfendable. L'idée de tolérance n'a pas été conçue pour tolérer l'intolérable.

La fraternité, qui se trouve présente dans l'ensemble des religions et, dans une version sécularisée, dans nos valeurs républicaines, est un devoir sacré. La Fraternité présuppose l'altérité et reconnaît donc la grande diversité des membres appelés à faire société. La Fraternité n'impose aucun attachement, ni ne reconnaît en l'autre d'être traité différemment en fonction de ses différences. La Fraternité est fondée sur une idée morale de solidarité et de réciprocité, associée à l’idéal d’impartialité de la justice, à l’égalité. La Fraternité rétablit la force de la loi et non la loi de la force.

Le mardi 6 octobre 2020, Samuel a expliqué à ses élèves que la loi de 1881 encadre la presse, lui interdisant de diffamer, il expliquera aussi ce jour-là que la vie est le droit de l'homme le plus sacré. La calomnie partira d’une élève qui n'a pas assisté à ce cours et qui imposera ensuite, grâce au pouvoir incantatoire de l'imagination, ce qu'il convient de penser, le faux se substituant au vrai. L'absurde et le sordide viendront encore de dire que c'est le cours qui posait problème, alors que, justement, si elle avait assisté à ce cours, les évènements auraient été tout autres.

Un tel dispositif d'inversion totale des valeurs est une vraie menace pour notre démocratie et pour notre humanité. Il est impératif de rétablir l'ordre logique des choses. Ce qui est normal, doit être normal et doit rester la norme.

Rendre son honneur à mon frère, c'est rendre honneur à la Fraternité.
Rendre son honneur à Samuel Paty, c'est rendre honneur à la République.

Créer des lieux de mémoire appelle à se souvenir en sacralisant la victime avec une émotion immatérielle et partagée qui encourage à l'unité. Ces rues, ces établissements et tous autres lieux qui porteront prochainement le nom de Samuel Paty seront les vecteurs matériels pour annihiler l'acte barbare qu'il a subi. Rétablir l'ordre des choses à un endroit, s'oppose à ce qui n'est plus que désordre.

« Les temps difficiles créent des hommes forts, les hommes forts créent des périodes de paix, les périodes de paix créent des hommes faibles, les hommes faibles créent des temps difficiles. » écrivait Ibn Khaldoun. Il est temps de savoir où nous en sommes.

Mickaëlle Paty

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Sur l'illustration du manifeste d'Unité laïque : une Marianne, avec un casque audio. Pas n'importe lequel. Il s'agit du casque que Samuel Paty portait sur les oreilles quand il arrivait et repartait du collège du Bois-d'Aulne. Emblématique de sa personne, comme sa légendaire écharpe violette. Il a été remis le 20 octobre 2020 par la SDAT (Sous-direction antiterroriste) à Mickaëlle Paty. Quelques jours avant le drame, Samuel Paty, méfiant et conscient de la menace, ne le portait plus. Au moment des faits, le casque audio était dans son sac à dos...

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne