Alors que les négociations pour un Traité international sur les pollutions plastiques sont en cours, comment le lobby du plastique se positionne ? Réduction de la production, recyclage chimique, microplastiques... Réponse avec Jean-Yves Daclin, directeur général de Plastics Europe, l'association européenne des fabricants de matières plastiques.

L’une des propositions qui marque une ligne de fracture entre les pays dans les négociations pour un Traité international sur les pollutions plastiques concerne la réduction de la production de plastique vierge. Quelle est votre position ?


Jean-Yves Daclin : Il y a un amalgame qui est fait entre la pollution plastique et la production plastique. Si nous plafonnons la production plastique, il restera toujours le problème des déchets. Selon nous, le problème des pollutions plastiques porte avant tout sur les déchets mal gérés notamment dans les pays en développement. Fixer un objectif de réduction de la production plastique ne nous paraît dès lors pas être la solution, d’autant que cette proposition aura du mal à être adoptée. Comment serait calculé un tel objectif, comment on partagerait l’effort ? Va-t-on dire aux pays en développement qu’ils doivent plafonner leur consommation alors qu’ils n’ont même encore commencé à se développer ? Cela va encore accroître les inégalités. Si l’idée peut paraître séduisante sur le papier, elle semble impossible à appliquer. Malheureusement, nous assistons à des injonctions très dogmatiques contre les plastiques.

Mais si ne nous attaquons pas à la source du problème, c’est-à-dire à la production plastique, c’est une boucle sans fin…


Bien sûr. Si la production était effectivement multipliée par trois comme le prévoit l’OCDE, ce serait catastrophique pour l’environnement et les Hommes. Nous en sommes bien conscients. Ainsi, nous ne disons pas que nous sommes contre la réduction des plastiques, simplement nous pensons qu’il faut une approche par application, réfléchie, basée sur des faits scientifiques, afin d’étudier les différentes alternatives et supprimer effectivement les plastiques qui ne s’avéreraient pas utiles, ou qui seraient problématiques. Je pense bien sûr aux suremballages ou encore aux plastiques à usage unique, que la France et l’Union européenne sont en train d’éliminer ou de réduire. Cela nécessite de mettre en place une méthodologie harmonisée pour tous les pays, en prenant en compte les spécificités de chacun, afin de s’adapter au cas par cas.

Les bouteilles, par exemple, qui génèrent énormément de déchets, et dont l’usage ne semble pas indispensable, ne devraient-elles pas être interdites ?


Les injonctions d’interdire sont séduisantes, mais ce n’est pas si simple. Dans certains pays où l’eau du robinet n’est pas propre à la consommation, les bouteilles d’eau sont indispensables d’un point de vue sanitaire. Même en France, dans certains coins de Bretagne, par exemple, tout le monde boit de l’eau en bouteille à cause de la pollution aux nitrates des nappes phréatiques. Les consommateurs ne sont pas prêts à ce qu’on y interdise les eaux en bouteille. On pourrait passer aux bouteilles en verre mais, dans un pays comme la France, qui collecte la quasi-totalité de ses déchets, y compris plastique, les bouteilles en plastique PET intégrant 20% de matière recyclée sont une meilleure solution environnementale que le verre, la brique en carton ou la canette en aluminium, sur l’ensemble du cycle de vie.

Quels leviers faudrait-il alors activer selon vous ?


Le premier levier ce sont les "3R" de l’économie circulaire, c’est-à-dire la réduction, la réutilisation et le recyclage. Nous sommes d’accord pour dire qu’il faut réduire l’usage du plastique non utile partout où c’est possible, mais cela nécessite qu’au niveau international, nous nous mettions d’accord sur une définition commune. Vient ensuite la décarbonation de tout notre écosystème, avec comme second levier, le passage aux énergies renouvelables dans les process. Enfin le troisième levier, c’est le désengagement des énergies fossiles comme source de production grâce notamment au recyclage ou encore à la biomasse. Mais on voit qu’il y a là des limites. Selon un rapport indépendant publié en 2022 (ReShaping the European plastics sytems) sur la décarbonation du secteur, même dans le scénario le plus ambitieux, nous n’arrivons pas à 0% d’énergies fossiles dans la production de plastique en 2050 en Europe. On serait encore à 25% de fossiles, 50% de plastique recyclé, 20% de plastique biosourcé et de 5% de plastique issu du CO2.

Concernant les limites liées au recyclage, un rapport de la Commission européenne montre que la France est très en retard sur les emballages plastiques. Peut-on vraiment compter dessus ? 


Notre pays est dans une situation tout à fait paradoxale. Nous disposons en effet de l’une des législations les plus abouties en matière d’économie circulaire. Malheureusement, pour ce qui est des emballages plastiques, elle reste pour beaucoup à mettre en œuvre. L’extension des consignes de tri est effective dans tout l’Hexagone uniquement depuis le début de cette année. Le tri est le maillon faible du recyclage des plastiques ! Quand ils sont collectés séparément, plus de 65% des emballages plastique sont envoyés au recyclage, contre moins de 5% lorsqu’ils sont mis dans la poubelle du tout-venant. La Commission n’est pas que négative sur la France. Elle salue la création des nombreuses REP dont la loi Agec a fini de doter le pays. 

Le recyclage chimique est également un sujet de crispation, certaines ONG dénonçant "une fausse solution polluante". Que leur répondez-vous ?


Aujourd’hui, 99% du recyclage est mécanique. Le problème c’est qu’on n’élimine pas très bien les contaminants chimiques et que le plastique recyclé peut difficilement être utilisée ensuite au contact des aliments, par exemple. Le recyclage chimique au contraire permet de reconstruire une matière d’origine aussi pure que le plastique vierge mais c’est une technologie qui est généralement plus énergivore, plus chère et qui présente un bilan environnemental moins bon que le recyclage mécanique. Mais cela dépend de la fin de vie du déchet. Pour un déchet qui sinon serait incinéré, même avec valorisation énergétique, le recyclage chimique est de loin préférable. C’est pourquoi nous souhaitons qu’il y ait des obligations d’incorporation de recyclage (mécanique ou chimique) afin de pousser le marché sans tabler sur une baisse hypothétique du prix du pétrole, et donc, du vierge. Quoiqu’il en soit, la priorité doit rester à la réduction, puis au réemploi et enfin, au recyclage, d’abord mécanique et à défaut, chimique.

Un autre sujet de préoccupation concerne les microplastiques qu’on retrouve partout et qui sont de fait très difficiles à collecter. Comment y remédier ?


Nous avons publié un guide des bonnes pratiques afin d’éviter les pertes de granulés. Et dans le cadre de l’initiative "Operation Clean Sweep" lancée par les industriels, nous avons rendu la certification obligatoire pour tous les membres de Plastics Europe, qui devront se conformer d’ici fin 2024. C’est une piste qu’on pourrait étendre en l’intégrant dans le traité sur les pollutions plastiques. Nous demandons également qu’il y ait davantage de recherche et développement sur les dangers et les risques liés à ces microplastiques car nous manquons encore de données aujourd’hui. Il faut bien comprendre que la pollution plastique est terrible pour nous car elle donne une image catastrophique du secteur.
Propos recueillis par Concepcion Alvarez

Découvrir gratuitement l'univers Novethic
  • 2 newsletters hebdomadaires
  • Alertes quotidiennes
  • Etudes