SEXISMEPourquoi les techs sur la santé intime des femmes sont-elles encore taboues ?

Femtech : Pourquoi les techs sur la santé intime des femmes font-elles toujours flipper (les hommes) ?

SEXISMELes entrepreneuses Femtech peinent à trouver des investisseurs
Illustration d'une coupe menstruelle.
Illustration d'une coupe menstruelle. - P. MORALEDA / PIXABAY / PIXABAY
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

L'essentiel

  • Un village Femtech est installé au cœur de VivaTech, qui ouvre ses portes le 14 juin.
  • L’occasion de s’intéresser à ces technologies spécialisées dans la santé des femmes et de comprendre pourquoi le marché français peine à prendre de l’ampleur.
  • Les entrepreneuses des Femtech sont confrontées à plusieurs obstacles : les biais sexistes et le tabou qui touche ces sujets.

«La santé des femmes, c’est un tout petit marché, la santé des chevaux aussi c’est important, ne vous limitez pas ». Les entrepreneuses des Femtech -contraction de female technology- sont régulièrement confrontées à ce genre de remarques de la part d’investisseurs condescendants. « Ils ne voient pas la santé féminine comme une problématique de marché et même si on leur montre les chiffres, ils ne se rendent pas compte que les femmes ont accès à un compte bancaire et qu’elles décident de leur santé », ironise Atlal Boudir, cofondatrice de Louise, une start-up qui propose des solutions logicielles augmentées d’intelligence artificielle dans le domaine de la procréation médicalement assistée (PMA).

Mis à l’honneur à VivaTech, le marché des Femtech en France est à la traîne comparé aux Etats-Unis. Est-ce la conséquence de biais sexistes ou doit-on plutôt y voir un tabou autour de la santé intime des femmes ? Les deux, mon capitaine.

80 % des start-up Femtech fondées par des femmes

« J’ai tendance à dire que les gens n’investissent que dans ce qu’ils connaissent », analyse Juliette Mauro, fondatrice de My S Life, qui accompagne les entreprises dans la prise en compte de la santé intime des femmes et cofondatrice de l’association Femtech France. Le monde de l’investissement est très masculin. Les femmes représentent seulement 15 % des associés dans les fonds d’investissement européens. Forcément, ça a un impact sur la compréhension et la sensibilisation à ces sujets. « Comme les boards sont composés majoritairement d’hommes, l’impact que des affections féminines comme le syndrome prémenstruel ou l’endométriose, l’importance de la recherche dans ces domaines ou la prévalence de certaines pathologies leur échappe complètement », observe l’entrepreneuse.

« Quand vous expliquez que vous intervenez sur un moment de vie comme la ménopause, il faut expliquer que ce n’est pas juste une femme qui est en train de hurler parce qu’elle a des bouffées de chaleur, ça aura un impact relativement lourd sur son quotidien, ça aura même un coût économique », poursuit-elle. Selon une étude de la Mayo Clinic, une fédération hospitalo-universitaire et de recherche américaine, la ménopause a des conséquences sur la vie de millions de femmes. Elle handicape même leur vie professionnelle. L’étude évalue le coût à environ 1,8 milliard de dollars de temps de travail perdu par an et à 26,6 milliards de dollars par an si on ajoute les dépenses médicales pour les Etats-Unis uniquement.

Si les mentalités semblent s’ouvrir peu à peu aux Femtech, le terrain reste miné pour les entrepreneuses. Car, 80 % des start-up Femtech sont fondées par des équipes 100 % féminines. Des femmes qui montent des projets Femtech, ça fait un peu trop de femmes dans l’équation. Surtout quand elles ont affaire à des investisseurs quasi exclusivement masculins. « Le premier problème, ce n’est pas qu’il s’agit de Femtech, mais que le secteur est composé d’une majorité de femmes entrepreneuses », note Atlal Boudir. Je vois la différence quand les hommes se lancent dans la Femtech, ils ont beaucoup moins de difficultés pour accéder à des financements ».

« Le degré d’audace et de machisme est très spécifique à la France »

Et les études confirment cette hypothèse. Selon le premier baromètre de Sista, BCG et CNNum publié en octobre 2019 sur les inégalités de financement, les start-up fondées par des femmes ont, en moyenne, 30 % moins de chances que celles fondées par des hommes d’être financées par les principaux fonds de capital-risque. En 2021, 88 % du montant total levé par les start-up françaises a été capté par des équipes 100 % masculines. « A pitch égal, les investisseurs hommes vont préférer des voix masculines. Les compétences scientifiques sont plus souvent remises en cause chez les femmes que chez les hommes, analyse Natacha Brami, investisseuse chez Sistafund, un fonds d’investissement pour financer des start-up fondées par des femmes entrepreneuses et des équipes paritaires. Or, il y a une forte dominante scientifique dans la plupart des Femtech. Sur un sujet qui ne rassure pas trop les investisseurs parce que le sujet leur paraît lointain, avoir des hommes doit facilement leur enlever un frein ».

Si les biais sexistes et misogynes existent, l’investisseuse avance une autre explication. « Le marché français des Femtech n’est pas aussi mature que d’autres secteurs, ne serait-ce que la santé en général. On voit beaucoup de startups dont le développement n’est pas assez avancé. Même pour un fonds early stage comme le nôtre, c’est parfois encore trop tôt pour investir », relativise-t-elle. Cela dit, les biais sexistes en France ont la peau dure. « Vous avez plein d’entrepreneuses femmes qui racontent des anecdotes plus ou moins sympathiques, plus ou moins patriarcales quand elles ne sont pas sexistes », reprend Juliette Mauro sans faire pour autant de généralités.

Une ambiance pudibonde

« Le degré d’audace et de machisme auquel on est confrontées en tant que femmes fondatrices est très spécifique à la France », observe Atlal Boudir qui s’est concentrée sur d’autres pays européens comme premier marché en raison, notamment, du coût de développement des Femtech en France. « On n’a jamais eu une si basse qualité d’échange avec un investisseur d’un autre pays. Depuis qu’on fait de la PMA et qu’on échange avec des business angels ou des ventures français, de nombreux investisseurs masculins -mais pas tous- ont besoin de préciser que leur pénis fonctionne. Il y en a un qui nous a dit : "Moi c’est comme Paic Citron, une goutte suffit." On se prend ce genre de remarques en permanence », raconte l’entrepreneuse qui, avant de prendre conscience qu’il s’agissait d’une exception française, incriminait la culture latine. « On s’est dit qu’on retrouverait ce type de comportements dans d’autres pays comme l’Espagne et ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Ailleurs, il y a au moins un respect mutuel de base. En France, on a souvent du dédain ».

Sans compter que la santé intime des femmes a tendance à faire rougir. Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, les publicités pour les serviettes hygiéniques utilisaient un liquide bleu pour représenter les règles. Ça faisait moins peur… Encore aujourd’hui, la santé sexuelle est assimilée à de la pornographie, notamment dans le domaine bancaire. « Quand vous choisissez de faire appel à un tiers payeur pour faire payer vos utilisateurs, vous devez vous soumettre à certaines règles, pointe Juliette Mauro. Par exemple, il ne faut pas que le mot” sexuel” apparaisse sur l’application. C’est difficile de parler de santé sexuelle quand vous n’avez pas le droit de mettre le mot” sexuel”. La dyspareunie, la douleur au rapport pénétrant, est un symptôme lié à certaines maladies féminines, c’est extrêmement gênant pour les femmes qui en souffrent, c’est du pathologique mais on n’a pas le droit d’utiliser les termes de” sexe” ou de” sexualité” ».

Et cette ambiance pudibonde se retrouve en ligne sur les réseaux sociaux. Meta en tête avec une censure assez sévère sur Facebook et Instagram. « On ne peut pas utiliser les mots” vulve” et” sexe”, un téton est associé à de la pornographie. Quand on vend un tire-lait, on va montrer une poitrine, mais ça n’a rien de pornographique, abonde Delphine Moulu, directrice générale de Femtech France. Des études montrent qu’à l’inverse, les publications sur la prostate, le viagra, le pénis, ne sont pas à ce point censurés ». Ces arbitrages sont l’œuvre des algorithmes, mais « on ne peut pas complètement dissocier l’environnement sociétal des gens qui financent », commente Juliette Mauro. Peut-être que le coup de projecteur à VivaTech aura le mérite de faire évoluer les mentalités. On a le droit de rêver.

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