Shaïna : ces filles que l'on abandonne à la « mauvaise réputation »

Proches de Shaïna devant le tribunal, 2019. ©AFP - François NASCIMBENI
Proches de Shaïna devant le tribunal, 2019. ©AFP - François NASCIMBENI
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Proches de Shaïna devant le tribunal, 2019. ©AFP - François NASCIMBENI
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C'est une affaire terrifiante dont le procès s’est tenu la semaine dernière, et qui concerne le meurtre d’une adolescente. Par Anne Rosencher, de L'Express.

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Elle est devenue un prénom, le prénom d’un effroi : Shaïna. Le 25 octobre 2019, cette jeune fille de 15 ans a été poignardée de 15 coups de couteaux, puis brulée vive dans une cité de Creil, dans l’Oise, où elle née, où elle a vécu et où elle est morte. La semaine dernière se tenait le procès de son ex petit-ami, Omar. Ce dernier, 17 ans au moment des faits, l’aurait assassinée car elle était tombée enceinte, et que la publicité de cette relation menaçait d’entacher son honneur à lui.

Rembobinons. À 13 ans, c’est-à-dire deux ans plus tôt, Shaïna avait été victime d’une agression sexuelle, qui lui avait cruellement valu la réputation de « fille impure ». Ajoutez à cela qu’elle n’avait par la suite pas abdiqué de sa coquetterie, ni des élans de son cœur d’adolescente, et vous obtiendrez que cette brune enjouée aux longs cheveux, était traitée par la rumeur de la cité comme une « fille facile ». C’est-à-dire l’objet à la fois de convoitise et de mépris. Y compris par son ex petit-ami – qui nie les faits –, mais qui a écopé, samedi dernier, de 18 ans de prison pour meurtre.

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Ce qui m’a particulièrement frappée, en lisant les comptes rendus du procès, ceux notamment écrits par la journaliste Laure Daussy pour Charlie Hebdo, c’est l’omniprésence de « la mauvaise réputation » qui ne cessait de désigner Shaïna à la vindicte, et de l’exposer au danger.

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Un phénomène plus général que cette affaire de « réputation »

C’est assez documenté, désormais, par les faits divers, hélas, par les enquêtes de presse, et par les témoignages en tous genres. Trop d’adolescentes sont terrifiées par ce contrôle social. Trop sont victimes de cette bouillie misogyne, mélange de désir, de code de l’honneur et de bigoterie hypocrite. Il ne devrait pourtant pas y avoir un quartier, ni une rue de France, où les filles ne puissent vivre leur coquetterie si cela leur chante, et avoir des amoureux si le cœur leur en dit.

Trop souvent, par relativisme culturel, par indifférence géographique, par impuissance politique, on en vient à laisser faire ; à accepter que des persécuteurs du quotidien dictent leur norme sexiste à des jeunes filles que l’on abandonne. « La France est une République indivisible ». Ainsi débute le premier article de notre Constitution. Ce n’est pas une « formule concept » pour cours d’instruction civique. La République française, ce sont des droits, des principes façonnés au fil des siècles, qui valent pour tous, pour toutes, et partout sur le territoire. C’est pourquoi Shaïna est le prénom de notre faute. Et de notre mauvaise conscience.

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