Missak Manouchian, héros apatride de la Résistance

Missak Manouchian et l'Affiche Rouge
Missak Manouchian et l'Affiche Rouge
Manouchian, apatride et héros de la Résistance
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Missak Manouchian, héros apatride de la Résistance

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A l'occasion du 83e anniversaire de l'Appel du 18-Juin, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé que Missak Manouchian, fondateur de l'un des mouvements armés les plus actifs de la Résistance, entrera au Panthéon, accompagné de son épouse Mélinée, elle aussi résistante.

Survivant du génocide arménien, apatride, militant communiste et poète, célébré par Aragon et Léo Ferré, Missak Manouchian incarne la contribution des étrangers dans la lutte contre l’occupant nazi.

Missak Manouchian naît en 1906 à Adiyaman au sein de l’empire ottoman. À 9 ans, il perd ses parents pendant le génocide des Arméniens perpétré entre 1915 et 1916. En fuite avec son frère, il rejoint la France en 1925 après être passé par un orphelinat au Liban. Menuisier à ses débuts puis ouvrier chez Citroën lorsqu’il arrive à Paris, il aide son frère malade qui meurt en 1927. Il suit des cours à la Sorbonne et exprime sa passion pour la poésie en écrivant pour Tchank, une revue en arménien dans laquelle il propose des traductions de poèmes célèbres ainsi que ses propres créations.

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Des convictions très marquées

D’après Denis Peschanski, historien au CNRS, les convictions politiques de Missak Manouchian se construisent “avec les références du pays qui l’accueille, c’est-à-dire les références à la Révolution française, aux Lumières, qui vont le marquer tout au long de son engagement, jusqu’à sa mort”.

À partir de 1934, cet engagement se développe au sein du parti communiste français et du comité de secours pour l’Arménie. “Il a été, manifestement, très rapidement sensible au danger fasciste, nazi. Son premier vrai engagement politique est de 1934-1935, au moment où se fait une mobilisation antifasciste après l’accession au pouvoir d’Hitler, sachant qu’il y avait déjà Mussolini en Italie depuis les années 20. À partir de là, il s'engage dans la cause de l’immigration arménienne”, nous précise l’historien.

Manouchian soutient aussi les républicains espagnols et dirige un journal hebdomadaire, le Zangou, rédigé en arménien. Il s’engage particulièrement dans la Main d'œuvre immigrée (MOI), un organe syndical du PCF servant de vecteur d’intégration face à la xénophobie des années 1930.

Soldat puis acteur majeur de la Résistance

Au début de la guerre, il est mobilisé jusqu’à la défaite de la France. Durant l’occupation allemande, il rentre dans la lutte clandestine avec ses camarades de la MOI. Il rejoint le groupe de lutte armée d’un autre mouvement du PCF, les francs-tireurs partisans, devenant ainsi la FTP - MOI parisienne, qui se fera appeler le groupe Manouchian. En 1943, plusieurs dizaines d’attentats sont orchestrés par le groupe.

Leur résistance entraîne une véritable traque par la police française. Une filature méticuleusement organisée se solde par l’arrestation de Missak et d’autres membres du groupe en novembre 1943. Manouchian et 21 d’entre eux sont torturés, aucun ne parle afin de protéger leurs camarades, parmi lesquels Mélinée Manouchian, l'épouse de Missak.

Ils sont fusillés le 21 février 1944 au Mont-Valérien, une colline où sont exécutés plus d’un millier de résistants et otages pendant l’occupation. S'ensuit une campagne de propagande orchestrée par les nazis, discréditant le groupe. Des tracts soulignant leur statut d’étrangers ou de juifs sont distribués. Puis une affiche rouge les qualifiant d’"armée du crime" est placardée dans les rues. Manouchian, lui, est présenté comme le chef de bande des terroristes étrangers.

Mais comme l’explique Denis Peschanski, l’affiche n’a pas l’effet escompté. “Dans les faits, tous les rapports de police, les rapports du préfet, les rapports des renseignements généraux en particulier, nous montrent que, finalement, ça s’inverse. Ils ont voulu faire de ces combattants des terroristes, ils en ont fait des héros. Ils les ont présentés comme le fer de lance de la Résistance.”

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Le groupe Manouchian dans la mémoire collective

La mémoire du groupe est ravivée par Louis Aragon qui lui consacre un poème en 1955, Strophes pour se souvenir, inspiré de la dernière lettre de Missak adressée à Mélinée le jour de sa mort. C’est ce poème que chante Léo Ferré dans L’Affiche rouge en 1961, plaçant définitivement Manouchian parmi les figures reconnues de la Résistance.

Lettre de Missak Manouchian à son épouse Mélinée. Archives de la famille.
Lettre de Missak Manouchian à son épouse Mélinée. Archives de la famille.
- Missak Manouchian

Est-il un héros qui pourrait entrer au Panthéon, dans la lignée de Jean Moulin et de Joséphine Baker ? Si certains se félicitent de voir un résistant étranger rejoindre la nécropole, d’autres y voient une récupération par l’État français d’un militant mort moins par patriotisme que pour un idéal : la liberté.

Mais au-delà des convictions politiques, certains estiment que tous les membres de la FTP-MOI devraient l’accompagner dans cet hommage. Les soutiens à cette panthéonisation le voient d’un autre œil, à l’image de Denis Peschanski pour qui ce serait  “une étape nouvelle dans la centralité de ce personnage comme symbolisant la résistance des étrangers, parce que ce n’est pas simplement lui qui rentre au Panthéon, c’est toute la résistance étrangère, tous les résistants étrangers qui entrent au Panthéon avec lui.”

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