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Vladimir Poutine a admis la perte de 54 chars russes, après le lancement de la contre-offensive ukrainienne.
Vladimir Poutine a admis la perte de 54 chars russes, après le lancement de la contre-offensive ukrainienne.
AFP

Contre-offensive ukrainienne : "Les chiffres annoncés par Poutine sont complètement fantaisistes"

Entretien

Propos recueillis par

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Dans un entretien télévisé, diffusé ce mardi 13 juin, Vladimir Poutine a chiffré les « lourdes pertes » essuyées selon lui par les troupes ukrainiennes lors de leur contre-offensive, enclenchée dans la nuit du 7 au 8 juin. Il a ainsi assuré que 160 chars et 360 blindés étaient déjà hors d’usage. Un bilan douteux d'après le colonel Michel Goya qui a livré son analyse à « Marianne ».

Des pertes « lourdes », « catastrophiques », « irréversibles » … Au cours d’un entretien télévisé avec des correspondants de guerre russes, diffusé ce mardi 13 juin, Vladimir Poutine a multiplié les qualificatifs dans le but de discréditer la contre-offensive ukrainienne , initiée dans la nuit du 7 au 8 juin derniers. Selon le chef du Kremlin, l’Ukraine a lancé cette « contre-offensive à grande échelle, avec l’utilisation de réserves préparées à cette fin » sur « plusieurs » secteurs du front. « L’ennemi n’a réussi dans aucune de ces zones », a-t-il assuré.

Si Vladimir Poutine a admis – à la surprise de nombreux experts – que l’armée russe aurait pu être « mieux préparée » à la riposte ukrainienne, cela ne l’a pas empêché d’afficher sa pleine confiance quant à la capacité de ses troupes à venir à bout de la contre-offensive. Il a d’ailleurs précisé que Kiev avait perdu « environ 25 % ou peut-être 30 % de l’équipement » fourni par les Occidentaux, affirmant que 160 chars et plus de 360 blindés étaient désormais hors d’usage. Côté russe, il a avancé une perte de 54 chars, « dont certains doivent être restaurés et réparés ». Faut-il y voir un énième coup de bluff de Vladimir Poutine ou le signe d’un nouveau souffle de l’armée russe ? Marianne fait donc le point sur bilan de la contre-offensive ukrainienne avec le colonel et historien Michel Goya.

Marianne : A-t-on les moyens de confirmer, ou au contraire d’infirmer, les chiffres avancés par Vladimir Poutine ?

Michel Goya : Si l’on se fie au site Oryx (N.D.L.R. : un site néerlandais d'analyse et de suivi du conflit), qui comptabilise les pertes documentées de part et d’autre, 35 véhicules de combat ukrainiens ont été détruits depuis une semaine. Parmi eux, quatre chars Leopard 2 et 16 véhicules blindés américains Bradley. Même si ce site, d’une part, présente un décalage de quelques jours avec les événements, et d’autre part, demeure limité à ce que l’on constate sur le terrain, nous sommes très loin des chiffres fantaisistes annoncés par Vladimir Poutine. Ces derniers ne se basent sur aucun fondement.

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La presse internationale est restée discrète sur le bilan avancé par le Kremlin concernant la contre-offensive ukrainienne . Le signe d’un mauvais présage ? Ou au contraire que personne n’est dupe ?

Je pense qu’en effet, personne n’y croit. Moi-même, je n’avais pas fait attention à ce bilan. À ce stade de la guerre, c’est quasiment impossible de donner des bilans chiffrés des combats. En réalité, Poutine ne sait strictement rien de ce qui se passe réellement sur le terrain. On peut éventuellement lui communiquer une approximation du taux des pertes, mais rien n'est précis. Et surtout, tout change très vite.

Malgré tout, ce bilan peut-il donner un nouvel élan à l’armée russe ?

C’est beaucoup trop tôt pour avoir des éléments concrets. Pour l’instant, l’offensive se passe de manière « normale » : il n’y a aucune surprise sur ce qu’il se passe sur le terrain. Les Ukrainiens avancent lentement, méthodiquement et les Russes résistent en profondeur. Il serait prématuré de conclure dès à présent sur l’échec ou le succès des uns ou des autres. Toutefois, Poutine a avoué lors de son discours qu’il y avait un certain nombre de faiblesses dans le dispositif russe, ce qui était assez étonnant.

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Justement, le fait d’avouer ses faiblesses fait-il partie de la nouvelle stratégie du chef du Kremlin ?

Honnêtement, je ne sais pas. Si un pays se bat, c’est d’abord parce qu’il a une bonne raison, mais aussi parce qu’il a espoir d’obtenir une victoire. Le discours d’un chef d’État sert généralement à nourrir cette confiance en partageant les avancées, la conquête de tel ou tel village… Mais ce n’est pas du tout le moment d’avouer ses faiblesses. Ce type de discours intervient plutôt pour justifier un échec. Alors en l’occurrence, c’est étonnant de la part de Poutine.

Le bilan chiffré de Vladimir Poutine risque-t-il de calmer les ardeurs occidentales en matière d’aides militaires ?

Personne ne se fonde sur les estimations données par Vladimir Poutine. Les pays occidentaux ont accès à leurs propres sources d’information, notamment sur la manière dont sont utilisés leurs véhicules de combat. C’est d’ailleurs le travail des services de renseignement militaires qui donnent une évaluation de ce qui se passe sur le terrain. Au sein du renseignement, les sources sont toujours qualifiées en fonction de la fiabilité et de la vraisemblance de l’information, à l’aide d’une note allant de A à E. Et les sources du Kremlin vont généralement de D à E. Jusqu’à présent, ils ont tellement raconté de choses grossièrement fausses, notamment sur les chiffres, qu’en réalité personne n’accorde la moindre valeur aux chiffres officiels donnés par les Russes.

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Par contre, il est vrai que chaque pays regarde comment ses propres véhicules de combat sont utilisés et, si c’est le cas, pourquoi ils sont détruits. D’un point de vue technique, c’est utile pour cerner le type de menaces auxquelles on doit faire face. Ensuite, il est intéressant de vérifier la qualité des unités ukrainiennes. Or, quand on constate, par exemple, que la colonne de chars Leopard s’est fait bêtement attaquer par l’artillerie parce qu’elle n’avait pas pris les bonnes distances de sécurité, on peut se dire qu’il y a un manque de formation. Mais ce ne sont pas ces éléments qui vont conditionner l’ampleur de l’aide.

Et si la contre-offensive venait à échouer ?

Dans le cas où les Ukrainiens ne parviennent plus à avancer ou que cette contre-offensive échoue complètement, les objectifs stratégiques ukrainiens seront peut-être remis en question. Il faudra alors réfléchir à un nouveau modèle, soit en optant pour une plus grande mobilisation et davantage de matériels soit, au contraire, choisir un objectif plus modeste.

Vladimir Poutine a également annoncé avoir capturé des chars allemands Leopard et des véhicules blindés américains Bradley. Est-ce à dire que le matériel militaire fourni par les Occidentaux n’est plus adapté aux enjeux du terrain ?

C’est un peu le destin des chars et des véhicules blindés que de se faire détruire. Ça n’a rien de surprenant. En revanche, c’est à la manière dont ils ont été détruits qu’on va s’intéresser. Si ces engins sont interceptés au cours d’une opération bien organisée par les Ukrainiens, aboutissant à la reconquête de certains points d’appui, on peut en déduire que c’est normal. En revanche, si on s’aperçoit qu’ils sont très mal utilisés, on va se poser davantage de questions.

Actuellement, quel type de matériels serait nécessaire ?

Nous avons envoyé quasiment toute la panoplie des armes dont nous disposons. Il manque peut-être encore des missiles à longue portée, même si les Britanniques en déjà ont fourni. En réalité, il faut un ensemble. La guerre moderne nécessite de coordonner des moyens très différents. L’idée d’un système d’armes décisif qui va faire basculer le cours de la guerre est illusoire.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne