Depuis l'annonce, jeudi 24 avril, du projet de rachat de la branche énergie d'Alstom par General Electric (GE), les représentants politiques sont montés au créneau pour exprimer leur préoccupation. François Hollande a réuni, dimanche soir, le premier ministre, Manuel Valls, ainsi que les ministres de l'économie et de l'environnement Arnaud Montebourg et Ségolène Royal. L'option du rachat de l'activité énergie d'Alstom par le groupe américain n'emporte clairement pas les faveurs du gouvernement.
Lundi, les rendez-vous se poursuivaient à l'Elysée : le PDG de GE dans la matinée, puis celui de Siemens et celui de Bouygues, actionnaire d'Alstom à hauteur de 29,4 %.
En parallèle, une offensive médiatique est menée pour dire « la préoccupation et la vigilance patriotiques » du gouvernement dans ce dossier impliquant un des fleurons de l'industrie française, dont l'Etat n'est cependant plus actionnaire depuis 2006.
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Activités stratégiques ?
Le groupe Alstom, spécialisé dans les équipements pour centrales et la construction ferroviaire, emploie 18 000 personnes en France. Ce qui explique l'extrême attention que lui portent les autorités.
« Alstom est le symbole de notre puissance industrielle et de l'ingéniosité française », confiait vendredi au Monde le ministre de l'économie. Dans un courrier adressé au PDG de General Electric et mis en ligne par BFMTV dimanche, M. Montebourg affirme qu'une acquisition d'actifs dans l'énergie, et en particulier dans le nucléaire, par un investisseur étranger, requiert une autorisation préalable des autorités françaises, comme c'est par exemple le cas aux Etats-Unis.
En France, une loi a bien été votée en 2004 pour protéger des investissements étrangers des secteurs jugés stratégiques. Les articles R. 151 et R. 153 du code monétaire et financier permettent au ministère de l'économie d'exiger certaines garanties des investisseurs étrangers souhaitant racheter des sociétés françaises, appartenant à des secteurs qualifiés de sensibles. Bercy peut demander, par exemple, la pérennité des activités et des capacités industrielles d'une entreprise.
L'énergie et le nucléaire ne figurent pas explicitement parmi les secteurs concernés, dont les activités sont définies à l'article R. 153 (sécurité privée, défense nationale, production ou commerce d'armes…), même si la défense nationale demeure sujette à interprétation.
Selon une source gouvernementale à l'AFP, « Alstom effectue la maintenance de certaines turbines du porte-avions Charles-de-Gaulle. Ce sont des activités stratégiques, car liées à la défense nationale ». L'économiste François Lévêque, auteur de Nucléaire on/off (éditions Dunod), estime, quant à lui, que l'argument de la protection d'un secteur stratégique (l'énergie nucléaire) pourrait être mis à mal. En effet, précise-t-il : « Alstom fournit des turbines utilisées par des centrales nucléaires mais son activité ne touche pas directement l'îlot nucléaire ».
Une nationalisation improbable
Le coprésident du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, ou le secrétaire général de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, font partie de ceux qui se sont dit favorables à la « nationalisation temporaire » d'Alstom pour éviter le dépeçage du groupe français. « Je ne dis pas que l'Etat doit intervenir systématiquement, mais sur des secteurs jugés stratégiques, il ne serait pas anormal que l'Etat intervienne, y compris en prenant une part dans le capital », a déclaré M. Mailly, sur Europe 1, dimanche.
Plusieurs personnalités de droite n'ont d'ailleurs pas manqué de rappeler qu'en 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, avait évité à Alstom la faillite en recourant à une nationalisation partielle de ses activités.
Lire le décryptage : Sarkozy a-t-il vraiment sauvé Alstom en 2004 ?
Dix ans plus tard, cette option ne provoque cependant pas l'enthousiasme du gouvernement. Interrogés à ce propos, le ministre du travail, François Rebsamen, ainsi qu'Arnaud Montebourg lui-même, l'ont jugée prématurée. Comme le relève l'économiste Patrice Geoffron, directeur du Laboratoire d'économie de l'université Paris-Dauphine, au moins deux facteurs s'y opposent aujourd'hui : les caisses vides de l'Etat et, justement, le précédent de 2004. « Il y a dix ans, l'Etat a investi et revendu ensuite ses parts à Bouygues, mais finalement cela n'a pas sauvé Alstom. Le groupe est resté fragile, comme le rappelle la situation actuelle ».
La première victoire de Montebourg : gagner du temps
En faisant clairement part de sa préférence pour une offre de Siemens, Arnaud Montebourg a déjà perturbé les agendas d'Alstom et de GE. Alors que l'offre de rachat par GE devait être officialisée dès lundi matin avant l'ouverture des marchés, Alstom a fait savoir dimanche qu'il poursuivrait sa réflexion stratégique jusqu'à mercredi.
Ce délai permet notamment à Siemens de présenter une solution qui puisse répondre à la fois aux exigences de Bouygues, actionnaire principal d'Alstom, et à celles du gouvernement, qui cherche à conserver en France les emplois, les centres de décisions et les actifs stratégiques du fabricant d'équipements électriques et de trains.
Depuis maintenant plus de sept ans, l'Etat ne dispose plus de participation directe ou indirecte qui pourrait lui permettre d'influer sur le choix des actionnaires d'Alstom, à l'exception d'une participation de 0,99 % de la Caisse des dépôts. Ce sont bien les actionnaires qui auront, en dernier ressort, le pouvoir de décision. Même si en raison du secteur d'activité d'Alstom, fortement dépendant des commandes publiques, il apparaît peu probable que le sort du groupe soit scellé en total désaccord avec les autorités françaises.
Lire la chronologie : Cinq jours chrono : la course au rachat d'Alstom
Mise à jour le 29 avril à midi
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