Pour l'Arabie saoudite, les droits de l'homme ne sont pas un sujet

Drapeau sur le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul. C'est là, le 2 octobre 2018, que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, collaborateur du Washington Post et critique du régime de Riyad, a été assassiné, son corps découpé en morceaux.
Drapeau sur le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul. C'est là, le 2 octobre 2018, que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, collaborateur du Washington Post et critique du régime de Riyad, a été assassiné, son corps découpé en morceaux.
Pour l'Arabie saoudite, les droits de l'homme ne sont pas un sujet
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Pour l'Arabie saoudite, les droits de l'homme ne sont pas un sujet

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Le regard de l'autre | Pas de liberté d’expression ou d’opinion, pas de liberté d’association, pas de parti politique, pas d’élection au niveau national ni de liberté religieuse. Au moment où Riyad accueille le G20 dans un sommet virtuel, beaucoup de voix s’élèvent pour dénoncer une situation des droits catastrophique.

Pour la première fois, un pays arabe accueille un sommet des représentants des principaux pays riches et émergents. Et c'est l'Arabie saoudite, pour un G20 virtuel marqué par la pandémie de Covid-19, qui a infecté plus de 55 millions de personnes et en a tué plus de 1,3 million à travers le monde. De nombreuses organisations en profitent pour dénoncer une nouvelle fois la situation catastrophique des droits de l’homme dans le pays. Mais cette situation n’est pas près de changer, compte tenu des spécificités du régime saoudien : une monarchie absolue, familiale, islamique, et richissime. L’Arabie saoudite est sûre de sa force, certaine d’avoir raison.

Analyse en six points clés pour " Le regard de l'autre" : géographie, Histoire, droit, économie, psychologie et sociologie.

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Affaires étrangères
58 min

La géographie

L’Arabie saoudite se voit puissante, à juste titre. C’est le plus grand pays du Moyen-Orient, avec une superficie de 2 millions de km2, et le plus grand pays du monde arabo-musulman avec l’Algérie. Avec ses 33 millions d’habitants, elle occupe 80% de la péninsule arabique.

Tous ses voisins par les frontières terrestres sont des pays musulmans : au Sud, Oman et le Yémen, à l’Est, les Émirats, le Qatar, Bahreïn, au Nord, le Koweït, l’Irak, la Jordanie.

Géographiquement, l’Arabie saoudite se regarde comme au centre d’un univers musulman sunnite qu’elle préside, même si les relations sont tendues avec certains voisins, notamment le Qatar.

Berceau de l’Islam, le pays abrite les deux principaux lieux saints de cette religion, à la Mecque et à Médine.

L’Arabie saoudite se voit aussi comme le chef de file de cet ensemble face au grand rival de la région, l’Iran chiite, seule puissance politique et religieuse à même de rivaliser avec elle.

L'Arabie saoudite et les pays voisins.
L'Arabie saoudite et les pays voisins.
© Radio France - Chadi Romanos

L'Histoire

L’Histoire explique pourquoi en Arabie saoudite deux institutions ont le monopole de la définition des droits : la famille régnante et le clergé.

En 1744, le premier État saoudien est constitué, sur le principe d’un partage du pouvoir : à la tribu des Saoud le pouvoir politique, à un prédicateur religieux, Mohammed ben Abdelwahhab, le pouvoir religieux. C’est le pacte de Dariya, la naissance du wahhabisme, une variante rigoriste de l’Islam sunnite. Et l’apparition d’une monarchie absolue familiale et islamique.

Rien n’a fondamentalement changé depuis, malgré les aléas de l’Histoire, les confrontations avec l’Égypte, les Ottomans, etc. Et la succession de plusieurs royaumes.

Dans sa version récente, le royaume est fondé en 1932 par Abdelaziz Ibn Saoud, toujours la même famille. Depuis, les Saoud se transmettent le trône, généralement entre frères, puis de génération en génération selon le principe théorique de la "meilleure compétence". C’est donc une famille qui détient le pouvoir politique. Elle a tous les droits.

Le pouvoir religieux, lui, reste détenu par les descendants d’Abdelwahhab. Et le pays se considère donc là aussi comme le leader incontestable du monde sunnite. Le détenteur des droits là encore.

L’histoire la plus récente, c’est la décision du roi Salman de briser la tradition adelphique, la transmission du pouvoir entre frères, et de faire de son fils Mohammed Ben Salmane, MBS, l’héritier du pouvoir. Cette décision recentre encore le pouvoir dans les mains du lignage dominant de la famille Saoud. Dans la foulée, plusieurs membres de la famille sont arrêtés, autant de concurrents écartés dans la course à la succession. Âgé de 35 ans, MBS, avec l’aide de son père, a fait le "ménage" depuis trois ans, pour concentrer tous les pouvoirs sur sa personne.

Nous sommes donc bien en présence d’un pouvoir monarchique très autoritaire et personnalisé.

59 min

L'économie

Là encore, l’Arabie saoudite possède les attributs de la puissance, ce qui conforte le sentiment de ses dirigeants de ne pas avoir à rendre de compte sur les droits de l’homme.

Depuis la découverte de pétrole en 1938, l’Arabie saoudite est devenue le leader de l’OPEP, premier producteur d’or noir au monde, première économie du monde arabe, 18ème PIB mondial. Cette manne pétrolière a permis au pouvoir d’arroser de subsides la population pour garantir la paix sociale. Et elle est le fondement d’une alliance stratégique avec les États-Unis qui n’a jamais faibli. Là aussi, cela rend le pouvoir saoudien sûr de sa force, peu désireux de rendre des comptes.

Cela dit, l’économie est l’un des rares facteurs qui peut induire une évolution.

La chute des cours du pétrole, combinée à l’épuisement probable à terme de cette ressource fossile, pousse le prince héritier MBS à vouloir diversifier l’économie. C’est le plan baptisé "Vision 2030". La nouvelle économie saoudienne pourrait reposer davantage sur les nouvelles technologies, la culture, la création d’entreprises privées, etc. Et cette évolution peut conduire indirectement à une amélioration des droits des femmes, un meilleur accès au travail, sans compter l’enjeu de leur poids de consommatrices.

Le droit

La conséquence de ce paysage est que le pouvoir saoudien se moque éperdument des droits de l’homme. Ils n’ont pas de place dans le logiciel du régime.

L’Arabie saoudite possède l’un des pires bilans au monde en la matière.

Pas de liberté d’expression ou d’opinion, pas de liberté d’association, pas de parti politique, pas d’élection au niveau national, pas de liberté religieuse.

Toute voix dissidente est assimilée à du terrorisme.

Les opposants sont arrêtés et souvent torturés. Voire assassinés, comme le journaliste saoudien Jamal Khashoggi, découpé en morceaux au consulat saoudien d’Istanbul en 2018.

Revue de presse internationale
6 min

Pas de liberté de la presse : le pays est classé 170e sur 180 dans le classement mondial de Reporters sans Frontières. Au moins 30 journalistes ou blogueurs sont en détention, dont le cas célèbre de Raif Badawi.

Aucun droit pour la communauté LGBT.

Très peu de droits pour les femmes. L’homme est considéré comme supérieur à la femme. C’est une société extrêmement patriarcale.  La femme ne peut rien décider sans l’aval d’un homme, son mari, son père, son frère. Les mariages sont pour la plupart arrangés. Le taux de travail féminin est inférieur à 20%.

La situation s’améliore un tout petit peu, mais à la marge : les femmes ont obtenu le droit de vote en 2011 puis le droit de conduire en 2018. C’était le dernier pays au monde à ne pas accorder le permis de conduire aux femmes. Sauf que, ironie de l’histoire, les militantes qui ont combattu pour ce droit, sont toujours derrière les barreaux !

Journal de 8 h
15 min

En Arabie saoudite, le droit est donc défini par la famille Saoud toute seule. Ou c’est la loi religieuse : le Coran est considéré comme la Constitution du pays. Les apostats sont passibles de la peine de mort.

De nombreux crimes sont d’ailleurs passibles de la peine de mort : l’adultère, la sodomie, le trafic de stupéfiants, le vol à main armée, l’homicide volontaire, la sorcellerie, ou la défiance vis-à-vis de la famille royale. Amnesty International a dénombré 184 exécutions en 2019 : un record. Et l’exécution s’effectue le plus souvent par décapitation au sabre.

Journal de 18h
19 min

Psychologie et sociologie

L’évolution démographique du pays est, avec la transformation économique, l’autre facteur susceptible de faire bouger les lignes sur les droits de l’homme.

Le pays est jeune : les 2/3 de la population ont moins de 30 ans. En grande partie nomade il y a encore soixante ans, la population saoudienne s’est sédentarisée.

La jeunesse est d’abord urbaine, éduquée, en partie occidentalisée, via la culture, le numérique, les jeux vidéo, les réseaux sociaux.

Il y a donc une aspiration à plus de liberté. En particulier chez les femmes, qui sont nombreuses à vouloir travailler. Un exemple : il y a quelques mois, le service des douanes et des passeports a annoncé son intention de recruter 140 femmes dans les aéroports et les postes frontaliers. Il a reçu plus de 100 000 candidatures !

Le prince héritier MBS joue sur cette corde. Il cherche à dégager une image de modernisateur. En répondant à certaines aspirations des femmes. Et en limitant les pouvoirs de la police religieuse.

Mais c’est aussi un calcul.

Tout indique que la psychologie de MBS est surtout celle d’un homme qui veut concentrer tous les pouvoirs et qui ne s’embarrassera de rien pour parvenir à ses fins. Il cultive le nationalisme, élimine tous les opposants.

C’est un changement de génération, pas un changement fondamental de logiciel. Et dans ce logiciel saoudien, on l’a compris, il n’y a donc pas de place pour les droits de l’homme.

Avec la collaboration d'Éric Chaverou et de Chadi Romanos

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