Que vaut un monde sans oiseaux ?

En quarante ans, en Europe, le nombre d'oiseaux a diminué de 800 millions ©AFP - PHILIPPE HUGUEN / AFP
En quarante ans, en Europe, le nombre d'oiseaux a diminué de 800 millions ©AFP - PHILIPPE HUGUEN / AFP
En quarante ans, en Europe, le nombre d'oiseaux a diminué de 800 millions ©AFP - PHILIPPE HUGUEN / AFP
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Ce 26 mai, nous célébrons "la fête de la nature". Mais la biodiversité s'effondre. Les politiques vont-ils enfin la prendre au sérieux ?

C’est la fête de la nature ! Tout à l’heure, Elisabeth Borne sera en Côte d’Or, dans le Parc national des forêts. La Première ministre va célébrer la biodiversité. Et vous, si vous avez le temps, vous irez vous aussi marcher en forêt ou dans les champs, profiter du soleil, respirer l’air frais, et écouter le chant des oiseaux... si c'est encore possible. Ce chant est de plus en plus rare. En Europe, en quarante ans, le nombre d’oiseaux a diminué de 25%. Dans les milieux agricoles, c’est même 57%. Des études l’avaient montré. Une synthèse inédite vient de le confirmer, sous l’égide du CNRS : 37 années d’observation, 28 pays passés au scanner.... Le résultat est accablant. En Europe, il y a 800 millions d’oiseaux de moins que dans les années 1980. Quand vous irez vous promener, tout à l’heure, vous pourrez chercher le gobemouche gris ou le moineau domestique. Vous aurez du mal à le trouver.

La Question du jour
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Les dégâts d'une agriculture intensive

Quelle est la principale raison de cet effondrement ? Le développement de l’agriculture intensive ; l’abondance des pesticides, des engrais. Les oiseaux n’ont plus assez à manger. Ils n’ont pas assez d’insectes à glisser dans leur bec. Et là, nous sommes au cœur du débat politique. Regardez ce qui vient de se passer au Sénat, quelques jours seulement après la publication de cette synthèse... Une proposition de loi a été adoptée, en première lecture. Ce texte donne un nouveau pouvoir au ministre de l'Agriculture, qui pourrait dorénavant bloquer les décisions de l’ANSES sur les pesticides. L'ANSES, rappelons-le, est l'Agence nationale nationale de sécurité sanitaire.

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Pourquoi le ferait-il ? Pour protéger le secteur agricole. Pour ne pas aller plus vite que les autres pays européens et créer une concurrence déloyale. Pour donner du temps aux agriculteurs - le temps de trouver d’autres solutions que ces pesticides. Je vous le dis tout de suite. Ce droit de veto du ministre de l'Agriculture n’existera sans doute jamais. Le gouvernement est contre. La majorité à l’Assemblée aussi, comme la gauche et les écologistes. Mais cette affaire est tellement symbolique... Le ministre de l’Agriculture ne soutient pas la proposition du Sénat, c’est vrai. Mais ça ne l’empêche pas, lui aussi, de critiquer l’ANSES. Cette année, Marc Fesneau a même tenté de s’opposer à une décision de l’agence. Et il l’a fait... devant le congrès de la FNSEA, le syndicat agricole. L’ANSES voulait interdire les principaux usages d’un herbicide très répandu, le S-Metolachlore. Ce produit est très utilisé pour le désherbage du maïs, notamment. Mais en même temps, il dégrade notre environnement. Il pollue l’eau que nous buvons. Finalement, l’ANSES a tenu bon. Elle a fait son travail. Le mois dernier, elle a procédé au retrait.

Les dynamiques du vivant

Nous avons besoin d'une agriculture efficace. Notre souveraineté alimentaire est essentielle. Mais souvent, elle est un alibi, une bonne raison pour ne rien changer, pour attendre, y compris quand d’autres solutions existent. A l’instant, j'évoquais la disparition des oiseaux. Ce n’est pas seulement leur joli chant qui va nous manquer. C’est tout l’écosystème, et donc aussi notre qualité de vie. Où sont nos priorités ? La préservation d’un modèle à bout de souffle, ou la santé de notre monde, notre santé ?

L’écrivain Baptiste Morizot, qui enseigne la philosophie, a beaucoup réfléchi à ces questions. Je vous conseille d'ailleurs son livre Manières d’être vivant (Actes Sud). Pour lui, nous devons retrouver “une confiance dans les dynamiques du vivant”. Que dit-il ? Que la disparition des “oiseaux des champs”, des “insectes européens” devrait nous être “aussi intolérable que la monarchie de droit divin”. Parler des oiseaux, c’est parler de nous. Et c’est politique.

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