Le résistant Missak Manouchian, célèbre figure de « l’Affiche rouge », va entrer au Panthéon

La panthéonisation, le 21 février prochain, du résistant arménien a été officialisée ce dimanche matin. À l’occasion de la commémoration de l’appel du 18 juin au Mont Valérien, Emmanuel Macron se rendra dans la clairière des fusillés, là où Manouchian et ses camarades avaient été exécutés.

Missak Manouchian (à gauche), accompagné ici par Wolf Wasjbrot et Joseph Boczov, ont tous les trois été fusillés le 21 février 1944 au Mont Valérien. Cette photographie a été prise peu avant leur exécution. Collection Roger-Viollet
Missak Manouchian (à gauche), accompagné ici par Wolf Wasjbrot et Joseph Boczov, ont tous les trois été fusillés le 21 février 1944 au Mont Valérien. Cette photographie a été prise peu avant leur exécution. Collection Roger-Viollet

    Le projet était dans les tuyaux depuis des mois. Il est maintenant officialisé. Avant la traditionnelle cérémonie du 18 juin au Mont-Valérien (Hauts-de-Seine) en présence d’Emmanuel Macron, consacrée cette année à « l’unité des mémoires de la Résistance », l’Élysée a annoncé sobrement dimanche matin, par la voie d’un communiqué, l’entrée au Panthéon du résistant Missak Manouchian.

    Né en 1906, ce poète arménien a été fusillé au Mont-Valérien, le 21 février 1944. Et c’est justement le 21 février 2024, 80 ans plus tard, qu’il recevra l’hommage suprême de la nation. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Missak Manouchian fut présenté sur la célèbre « affiche rouge » de la propagande, placardée massivement par les Allemands, comme le chef de l’« armée du crime ».

    « Avec lui entre la mémoire de la résistance communiste »

    « Manouchian, c’est un étranger qui a fait le choix du cœur pour la France », salue un des promoteurs du projet. Une thématique chère au chef de l’État : en 2021, il avait panthéonisé Joséphine Baker, artiste et résistante d’origine américaine. La figure de Manouchian est célébrée sur tout l’échiquier politique.

    La gauche salue l’ancien résistant communiste, membre des FTP-MOI (Franc tireurs et partisans - main-d’œuvre immigrée). « Avec lui entre la mémoire de la résistance communiste, qui jusqu’à présent n’était pas mise à l’honneur en soi au Panthéon », explique un conseiller. À droite, on salue également la destinée du poète : « Missak Manouchian, c’est un Arménien qui a trouvé en France un foyer. Il exprime de façon admirable cette trajectoire de l’assimilation, souligne le patron des sénateurs Républicains Bruno Retailleau. Il s’est toujours senti arménien et français. Cette entrée a un sens au moment où l’Arménie n’a jamais été autant menacée. »



    Autant dire que sa panthéonisation en février ne fera lever aucun sourcil quand il rejoindra Victor Hugo, Jean Jaurès ou Jean Moulin. « S’il y a bien quelqu’un qui mérite d’y entrer, c’est lui », explique Jean-Pierre Sakoun, à l’origine du dossier de candidature.

    « Tout le monde pensait que François Hollande l’annoncerait en 2014, mais il s’en était tenu à quatre résistants. Pour beaucoup, l’absence de Manouchian avait été une énorme surprise et plus encore, une occasion ratée », regrette le président d’Unité laïque, une association de promotion et de défense des principes républicains.

    En 2021, Sakoun créé un comité de parrainage au spectre large, puisqu’il intègre la petite-nièce de Manouchian, Katia Guiragossian, l’historien Denis Peschanski, spécialiste de la Résistance, le sénateur (PCF) Pierre Ozoulias ou le maire (LR) de Valence Nicolas Daragon. D’autres figures s’y agrègent comme le cinéaste Robert Guédiguian, l’essayiste Alain Minc ou plus récemment, le chanteur Patrick Bruel, familier de « la place des Grands hommes ».

    L'Affiche rouge fut placardée dans les principales villes de France sous l'Occupation par les services de la propagande allemande.
    L'Affiche rouge fut placardée dans les principales villes de France sous l'Occupation par les services de la propagande allemande. AFP

    Vendredi après-midi, quatre d’entre eux ont été reçus plus d’une heure par Emmanuel Macron à l’Élysée. Tous en sont ressortis « extrêmement optimistes », après des mois d’attente fébrile. « Il a été très à l’écoute, et connaissait le dossier sur le bout des doigts », confie l’un des participants. Denis Peschanski, qui était également à l’Élysée, insiste sur la « parfaite harmonie de vue » avec le chef de l’État.

    « Manouchian incarne à ses yeux et aux nôtres une convergence mémorielle. Il est survivant du génocide arménien, communiste, résistant, et étranger amoureux de la France et des valeurs universalistes qu’elle porte depuis la Révolution comme patrie des Droits de l’Homme », souligne l’historien.

    Un autre participant abonde : « Le fait que Manouchian ne soit pas français n’est absolument pas un obstacle. C’est visiblement déterminant à ses yeux qu’un étranger, qui a versé son sang pour défendre la France et ses idéaux, y entre. » Ce qui n’était pas arrivé depuis plus de deux siècles puisque Joséphine Baker avait aussi la nationalité française.

    Sa femme Mélinée l’accompagnera

    Missak Manouchian ne sera pas seul à entrer dans le saint des saints républicains. Mélinée, sa femme, enterrée comme lui au cimetière d’Ivry, accompagnera le grand résistant le 21 février. Elle aussi rescapée du génocide arménien, avait rencontré Missak au Liban où ils étaient tous les deux réfugiés. Et c’est ensemble qu’ils prendront la route de la France en 1925, ensemble qu’ils rejoindront le parti communiste en 1934 avant de se marier deux ans plus tard.

    C’est aussi à elle qu’il écrira sa dernière lettre, bouleversante, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre le peloton d’exécution. « Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais… »

    Manouchian était membre des FTP-MOI (Franc tireurs et partisans - main d’œuvre immigrée).
    Manouchian était membre des FTP-MOI (Franc tireurs et partisans - main d’œuvre immigrée). DR

    Avec lui entreront aussi — symboliquement cette fois — ses 22 camarades du groupe de FTP-MOI qu’il dirigeait lorsqu’ils ont été filés puis arrêtés par la police française, avant d’être livrés à leurs bourreaux nazis. Avec leur arrestation en novembre 1943, tombe le dernier grand groupe de la lutte armée à Paris.

    Parmi ces 23, les Allemands choisiront dix visages pour figurer sur l’Affiche rouge, destinée à les faire haïr de la population française. La propagande échoue mais la légende est en marche : en 1959, Léo Ferré chantera l’Affiche sur un poème de Louis Aragon, contribuant un peu plus à faire entrer le groupe Manouchian dans un autre Panthéon : celui de la culture populaire.

    Dimanche matin à 10h30, Emmanuel Macron se rendra — une première pour lui — dans la clairière des fusillés, où Missak et ses lieutenants, tous étrangers, la plupart Juifs, ont été mis en joue par les nazis. « Manouchian, c’est le symbole des symboles, note Peschanski. À travers lui, la nation reconnaîtra l’action héroïque des étrangers, qui étaient surreprésentés dans la résistance ». En écho à sa panthéonisation résonnera cette phrase, que Manouchian l’apatride avait jetée à la face de ses geôliers français, lors de son procès : « Vous avez hérité de la nationalité française, nous l’avons méritée. »