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En Allemagne, le nouveau maire d’Ostelsheim est un réfugié syrien de 2015

Migrants, réfugiés... face à l'exodedossier
Huit ans après son arrivée dans le pays, Ryyan Alshebl a été élu à la tête d’une commune du Bade-Wurtemberg. Symbole de l’intégration de millions de réfugiés, il prend ses fonctions ce 19 juin.
par Christophe Bourdoiseau, correspondant à Berlin
publié le 18 juin 2023 à 10h00

Il est presque minuit lorsque son bateau pneumatique prend la mer en direction de l’île grecque de Lesbos. Ryyan Alshebl est à bord de cette embarcation de fortune avec 49 autres migrants. «C’était en novembre 2015, je ne souviens plus du jour», raconte le Syrien, dont tous les journaux parlent depuis son élection en tant que maire d’une commune du Bade-Wurtemberg.

«Je me souviens d’une chose : le voyage était sombre et humide», poursuit-il. A l’époque, Ryyan Alshebl n’est qu’un migrant parmi d’autres jeunes de la «route des Balkans» qui fuient l’enrôlement en Syrie. La traversée de l’Europe va durer douze jours. Il passe par la Macédoine, la Serbie, la Croatie puis l’Autriche avant de rejoindre l’Allemagne. «J’ai beaucoup marché, surtout dans les zones frontalières.» Avec lui, ce sont près de 900 000 Syriens qui sont accueillis les bras ouverts par une grande majorité des Allemands et par la chancelière Angela Merkel qui refuse de fermer les frontières pour éviter une catastrophe humanitaire. «D’autres n’ont pas eu la même chance que moi. Ils sont toujours bloqués dans des centres d’accueil en Turquie», déplore-t-il lors d’une rencontre avec l’association de la presse étrangère à Berlin.

Campagne de porte-à-porte

Ryyan Alshebl a 21 ans quand il arrive en Allemagne. Il vit d’abord dans un centre d’hébergement collectif puis dans un appartement où il partage une chambre avec six personnes pendant plusieurs mois. Avec un simple bac syrien en poche, non reconnu par l’administration, il repart pratiquement de zéro en profitant des formations offertes par l’Etat. Il suit des cours d’allemand, une langue qu’il maîtrise aujourd’hui parfaitement. «Ma motivation a sans doute joué un rôle et quelques dons linguistiques. C’est une belle langue, juge-t-il. En même temps, dans la campagne du Bade-Wurtemberg, je n’avais pas le choix. On n’y parle que l’allemand ou bien le dialecte souabe.»

Il suit une formation d’employé administratif qui lui permet de prendre des responsabilités dans une commune de la région : numériser les services et gérer les crèches. «C’est mon chef qui m’a poussé à candidater à la mairie d’Ostelsheim, une commune de 2 500 habitants.» Ryyan Alshebl n’hésite pas. Né d’une mère institutrice et d’un père ingénieur agricole, il a grandi dans une famille très politisée. C’est un poste pour lui. «Les maires ne sont pas des techniciens mais des médiateurs entre les citoyens et la politique.»

Naturalisé allemand en janvier 2022, il se lance dans une campagne de porte-à-porte pour «écouter les préoccupations des gens». Il leur promet de numériser l’administration, de débureaucratiser, d’augmenter des offres de crèche et de réimplanter le supermarché disparu avec la crise sanitaire. «A aucun moment, mon passé de réfugié n’a joué un rôle, assure-t-il. Il n’y a eu aucun incident avec l’extrême droite.» Certains ont été tentés de le discréditer en prétendant qu’il était un extrémiste islamiste alors que Ryyan Alshebl ne se considère même pas comme musulman. «La religion ne joue aucun rôle pour moi.» Il n’est pas non plus militant du Parti des travailleurs du Kurdistan, comme l’ont affirmé certains. «La première fois que j’ai rencontré un Kurde, c’était en Allemagne.» En Syrie, ils vivent d’ailleurs à plus de 1 000 kilomètres de Soueïda, sa ville natale et la «capitale» des Druzes de Syrie (3 à 4 % de la population), dont il fait partie.

«Message de tolérance et d’ouverture»

Sans étiquette politique (mais membre du parti écologiste), il est élu triomphalement le 2 avril au premier tour avec 55 % des voix contre deux autres candidats «du cru», Marco Strauss et Mathias Fey. «Ce n’est pas évident [de gagner] dans une région rurale marquée par le conservatisme.» La nouvelle se répand dans le monde entier. «Je pensais que j’allais pouvoir me reposer après la campagne. C’est le contraire qui s’est produit : le soir même, nous avions soixante demandes d’interviews de la presse internationale.»

Il n’a jamais revu le «pays de son enfance». Il y pense souvent mais sa vie se construit maintenant en Allemagne. Il n’a pu revoir qu’une seule fois ses parents et un frère restés en Syrie. Ils se sont retrouvés au Liban, le seul pays qui leur accorde à tous un visa. «C’était le point d’orgue de mon année 2022», dit-il.

Depuis, Ryyan Alshebl est devenu le symbole de l’intégration réussie de millions de migrants arrivés en Allemagne depuis 2015. «Le vote d’Ostelsheim doit être interprété comme un message de tolérance et d’ouverture», estime-t-il. Et encourager d’autres personnes issues de l’immigration à briguer des postes à responsabilités politiques. A partir de lundi, il devra s’occuper notamment des réfugiés arrivés après lui, dont beaucoup d’Ukrainiens. «Le problème, ce n’est pas de savoir s’il faut les aider, c’est d’avoir les moyens de le faire», dit-il pragmatiquement. Depuis son arrivée en Allemagne, plus de 2,6 millions de réfugiés ont déposé une demande d’asile dans le pays. Comme il l’avait fait lui-même en 2015.

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