Liban : une mobilisation citoyenne parvient à bloquer des projets de privatisation du littoral
Le 6 juin dernier, une habitation privée empiétant sur la plage publique d’Abou Ali, située à 50 kilomètres au nord de Beyrouth, a été détruite à la suite de la mobilisation d’une coalition d’ONG et de citoyens. Baptisé La plage pour tous, ce mouvement lutte pour l’arrêt des projets de construction illégaux qui gangrènent la côte libanaise, détruisent le littoral et empêchent l’accès à la mer.
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Une petite maison, construite à même le sable avant la guerre civile libanaise (1975-1990), occupait illégalement et depuis des années la plage d’Abou Ali, l’une des dernières accessibles au public sur le littoral libanais.
Quand ses propriétaires ont tenté de bloquer l’accès à la mer par la construction d’un mur en 2018, les membres de la coalition Coast for All (“La plage pour tous”, en français) se sont mobilisés, jusqu’à obtenir la démolition du bâtiment. Notre Observatrice Clara El Khoury, bénévole membre de l’association Save Kfaraabida, a pris part aux actions de terrain et aux manifestations :
Les propriétaires ont d’abord fermé l’accès à la plage depuis la route. Puis, ils ont construit un mur pour empêcher les gens d'y accéder. Nous, on a cassé le mur et on a rouvert l’accès.
On ne savait pas s’il y avait des investisseurs. Mais l’été dernier, ils ont commencé à faire de petites installations pour transformer le chalet, ils ont ramené un grand réservoir d’eau, démarré des travaux… Ces indices nous ont fait comprendre qu’un projet de privatisation de la plage était en cours. Alors, on a porté plainte auprès de la municipalité avec d’autres associations, et ça a fonctionné. Le ministère des Travaux Publics a décidé [le 4 mai 2023, NDLR] que le bâtiment devait être démoli.
“Nous sommes situés en bord de mer, mais nous ne pouvons pas voir la côte”
Cette décision marque une avancée juridique pour la coalition qui lutte activement contre les projets de construction illégaux sur le littoral.
Les premières infractions de ce type datent de la guerre civile libanaise mais elles se perpétuent, encore aujourd’hui, au mépris du droit libanais. Mohammad Ayoub, directeur de l’association de protection de l’espace public Nahnoo (“nous”, en français), a participé à la cartographie de ces violations :
Le Liban est bordé par 220 kilomètres de côtes : 80 % de ce territoire est impacté par des infractions, alors que seulement 20 % est réellement accessible au public. Nous sommes situés en bord de mer, mais nous ne pouvons ni voir la côte, ni marcher sur la côte. Le droit libanais dit pourtant, selon une loi datant de 1925, que les plages de sable et de rochers sont dans le domaine public et qu’il est illégal de construire quoi que ce soit dessus.
L’un des projets les plus dangereux que nous ayons identifiés est mené par l’entreprise Azur Bleu. Son propriétaire a demandé une permission au gouvernement pour faire des travaux de maintenance sur son terrain, situé près de la mer. Et il a finalement lancé un projet de station balnéaire. Il a démoli le littoral, il a construit un nouveau terre-plein sur la mer, il a fait bâtir une piscine et de nombreux bâtiments. C’est plus qu’une infraction : c’est une folie. C’est pourquoi nous avons manifesté pour protester. Nous avons obtenu l’arrêt des travaux mais nous ne savons pas ce que va devenir cet espace.
“Ils détruisent la biodiversité marine”
Tantôt portés par des investisseurs, tantôt par des propriétaires privés, ces projets de construction mettent en péril les écosystèmes marins. Jina Talj, directrice de l’ONG Diaries of the Ocean et biologiste marine, dénonce leur impact destructeur sur la biodiversité :
Quand ils construisent ce genre de stations balnéaires, ils déversent tous les déchets dans la mer, sans les traiter. Ils tuent la vie marine, ils l’obligent à se déplacer, parce qu’ils détruisent son habitat.
Dans certains cas, ils construisent des projets dans des espaces qui abritent des habitats uniques et des espèces marines rares. Dans le nord de Byblos par exemple, un bâtiment est censé être construit au-dessus d’une grotte marine où se trouvent de nombreux phoques. Des espèces très rares vivent à cet endroit et elles doivent être protégées.
Ils cherchent souvent à construire sur les trottoirs à vermets qui sont des écosystèmes tout à fait uniques : nous les appelons des 'viviers de biodiversité'. De nombreuses espèces marines y vivent. Ce ne sont pas de simples rochers : ils protègent la côte des événements extrêmes comme les orages, qui arrivent de plus en plus fréquemment avec le changement climatique. De nombreux poissons, que l'on consomme au Liban, y pondent leurs œufs. Ces projets détruisent ces espèces.
Depuis 2017, une loi impose aux propriétaires de bâtiments érigés sur le littoral avant 1994 de payer une taxe, sans obligation de démolir les constructions. “C’est un moyen pour le gouvernement de collecter de l’argent depuis que la crise économique s’est intensifiée”, pointe Mohammad Ayoub, “mais ça ne règle pas le problème de privatisation et de destruction de la côte”.