La drépanocytose affecte l’hémoglobine, principale protéine des globules rouges.

La drépanocytose affecte l’hémoglobine, principale protéine des globules rouges.

Getty Images/iStockphoto

On la surnomme "la moins rare des maladies rares". La drépanocytose, à laquelle une journée mondiale est dédiée ce lundi 19 juin, est devenue un enjeu croissant de santé publique en France, premier pays touché en Europe. Et pour cause : elle concerne entre 19 800 et 32 400 personnes, selon une étude à partir de données de l’Assurance maladie. Un nombre de malades qui a tendance à augmenter, avec 400 nouveau-nés diagnostiqués chaque année, une progression de plus de moitié entre 2010 et 2020.

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Apparue en Afrique et en Inde, la drépanocytose s’est implantée en Amérique, tout particulièrement aux Antilles et au Brésil, ainsi qu’en Europe de l’Ouest du fait des mouvements de populations. "Les porteurs du gène représentent environ 20 à 25 % de la population sur le continent africain. C’est lié à leur héritage génétique", explique à L’Express le Pr Jean-Benoît Arlet, médecin interniste à l’hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) et spécialiste de cette maladie. Dans l’Hexagone, 55 % des drépanocytaires naissent en Ile-de-France et 15 % dans les DOM-TOM. "Je ne connais pas d’autres maladies aussi concentrées sur un territoire, mais cela est en train d’évoluer", souligne le spécialiste. Dans le monde, c’est l’une des maladies génétiques les plus répandues, avec 300 000 naissances.

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Méconnue du grand public, cette maladie héréditaire se transmet par les deux parents porteurs du gène mais non malades. "Quand deux porteurs sont ensemble, ils vont avoir un risque sur quatre d’avoir un bébé dépranocytaire", commente Jean-Benoît Arlet. La drépanocytose affecte l’hémoglobine, principale protéine des globules rouges et provoque leurs déformations. Par conséquent, ils perdent leur forme arrondie et prennent l’apparence d’une faucille (drepanos = faucille en grec). Les symptômes de la maladie sont variables et dépendent non seulement de l’âge, mais aussi de la sévérité de la maladie. Pêle-mêle : anémie chronique, crises douloureuses aiguës, risque accru d’infections. "Ils ont des douleurs osseuses intenses et quand ça dépasse un seuil intolérable, ils doivent se rendre aux urgences pour être soulagés par de la morphine et souvent être hospitalisés quelques jours", poursuit le professeur.

Une espérance de vie qui avoisine les 55-60 ans

Les diverses complications liées à la maladie sont susceptibles d’atteindre des organes vitaux, comme le rein, le système ostéoarticulaire, le foie ou encore les poumons. "Les petits vaisseaux se bouchent et cela va entraîner des complications d’ordre chronique sur les organes qui vont être responsables de la moitié des décès chez les drépanocytaires", reprend Sylvain Le Jeune, chef de l’unité de médecine interne et vasculaire de l’hôpital Avicenne à Bobigny (AP-HP) et coordinateur d’un centre de référence de la drépanocytose.

Au fil des décennies, les traitements ont permis d’augmenter l’espérance de vie qui avoisine maintenant les 55-60 ans en France. A titre de comparaison, elle était inférieure à 20 ans avant les années 1980. Une évolution qui n’est pas homogène dans le monde. "En Afrique, 50 % des enfants âgés de moins de 8 ans atteints par la maladie en meurent", indique le Pr Jean-Benoît Arlet. Le spécialiste déplore que le continent n’ait pas accès aux médicaments à base d’hydroxyurée, utilisés largement en France à partir des années 2000. Ils permettent de diminuer les conséquences de la drépanocytose et, sur le long terme, de "protéger les organes". Ces médicaments sont utilisés dès le plus jeune âge.

"La thérapie génique est un bel espoir, mais on n’y est pas encore"

Dans les outils actuels, des transfusions sanguines doivent se faire régulièrement, mais peuvent avoir des effets secondaires importants. Pour l’instant, le seul espoir de guérison est la greffe de moelle osseuse, encore trop rare. Une intervention qui nécessite un donneur compatible, souvent un frère ou une sœur. "Seuls 18 à 20 % des drépanocytaires ont cette possibilité", précise Sylvain Le Jeune. Lourde et coûteuse, elle est réservée aux formes les plus sévères de la maladie, notamment chez l’enfant. En France, une vingtaine de patients bénéficient d’une telle greffe chaque année. "Dans mon centre, il y a une greffe tous les deux mois alors qu’on suit 600 malades. Pourtant, les résultats sont satisfaisants puisqu’elle permet la guérison de 85 % des adultes et 98 % chez les enfants", témoigne le Pr Jean-Benoît Arlet.

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Pour ceux qui ne pourraient pas accéder à une greffe, la thérapie génique est au centre de plusieurs essais cliniques ces dernières années en France. En novembre 2022, une équipe de scientifiques de l’Inserm, de l’université Paris-Cité et de l’AP-HP au sein de l’institut Imagine, a montré l’efficacité d’une approche de thérapie génique. L’objectif est d’insérer un gène normal dans les cellules ayant un gène défaillant pour qu’il fasse le travail que le gène muté ne fait pas : fabriquer des globules rouges sains. "La thérapie génique constitue un bel espoir, mais on n’y est pas encore", atteste Sylvain Le Jeune.

Généraliser le dépistage à la naissance

En attendant, le dépistage à la naissance reste un outil crucial pour limiter les complications. Seul point noir : il est encore très inégal. En effet, il ne concerne que les enfants nés dans les départements et régions d’outre-mer. En métropole, il est proposé à ceux ayant des parents originaires de régions du monde plus "à risque" (notamment Afrique, Moyen-Orient, océan Indien et Antilles). D’une région à l’autre, ce dépistage ciblé est hétérogène, "alors qu’aucune région n’est indemne de cas", selon la Haute Autorité de santé (HAS), dans un avis rendu le 15 novembre 2022. Après avoir conclu, lors de sa dernière évaluation en 2014, que ça n’était pas "nécessaire", la HAS recommande de le généraliser à tous les nouveau-nés. "Plus de trois enfants sur quatre en bénéficient en Ile-de-France, contre à peine un sur deux à l’échelle nationale en 2020, alors qu’aucune région en France n’est indemne de cas", pointe le communiqué de la HAS.

Par ailleurs, certains cas passeraient entre les mailles du filet, entraînant une perte de chance élevée pour les patients concernés. "Une étude a montré que si on ne faisait qu’un dépistage ciblé, on manquait 7,5 % des enfants drépanocytaires diagnostiqués par un dépistage systématique. Chaque année, quelques décès surviennent chez des enfants qui n’ont pas été dépistés à temps. La prévention est d’autant plus importante qu’il n’y a pas de symptômes chez les bébés de moins de 18 mois", insiste Sylvain Le Jeune.

Mais, annoncé à partir de janvier 2023, le dépistage élargi ne s’applique pas encore sur le terrain, déplorent certaines associations, en attente d’un texte ministériel. De son côté, le ministre de la Santé et de la Prévention a promis dans un communiqué d’organiser, "dès les prochains mois, les travaux préparatoires à la mise en œuvre concrète de ce dépistage" systématique, "dans les meilleurs délais". Alors que le décret prévoyant le dépistage généralisé dès la naissance se fait attendre, les associations de patients remettront, ce lundi 19 juin, à la ministre déléguée Agnès Firmin Le Bodo, un livre blanc pour lutter contre la drépanocytose.

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