Accéder au contenu principal
Reportage

Héberger un réfugié chez soi: une façon de favoriser le partage culturel et de tisser des liens

Depuis quelques années, face à la saturation des demandes de logements pour les réfugiés en France, certaines associations ont opté pour une autre alternative : la cohabitation solidaire. Un concept simple : accueillir chez soi une personne réfugiée pour un temps limité, et favoriser son inclusion sociale. À l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, reportage chez Vinciane et Benjamin, qui hébergent depuis un an Faisal, réfugié afghan de 26 ans.

Faisal, à gauche, et Vinciane, à droite, dans le jardin de la maison, à Asnières-sur-Seine, le 13 juin 2023.
Faisal, à gauche, et Vinciane, à droite, dans le jardin de la maison, à Asnières-sur-Seine, le 13 juin 2023. © Vinciane
Publicité

Quand nous franchissons le pas de la porte en cette soirée de juin, Vinciane s’active pour préparer le dîner. Dans l’air règne une douce odeur de légumes grillés. « Faisal, toi, tu t’occupes des oignons », lance Vinciane. L’intéressé obtempère, un grand sourire aux lèvres. La cuisine, ça le connaît. En 2016, il travaillait dans un restaurant en Turquie, avant son arrivée en France.

Pendant que chacun s’affaire aux fourneaux, cette mère de 42 ans lui demande comment s’est déroulé sa journée, lui pose des questions sur ses cours, à l’université. « Faisal, viens on va jouer avec les coussins ! », interrompt quelques minutes plus tard, Marceau, 10 ans, plein d’énergie. « Pas tout de suite », lui répond Faisal, en lui ébouriffant les cheveux avec affection. 

C’est chez cette famille basée à Asnières-sur-Seine (92), que Faisal, réfugié afghan de 26 ans, a posé temporairement ses bagages et trouvé refuge en mai 2022. Depuis plus d’un an, Vinciane et Benjamin, 44 ans, avec leurs deux fils Marceau et Léon, 8 ans, ont décidé d’accueillir dans leur maison pavillonnaire ce jeune homme au sourire facile et sincère, malgré un passé douloureux qu’il a parfois du mal à évoquer. Au départ, chacun était loin d’imaginer la force des liens qu’ils tisseraient ensemble.

Offrir des conditions d’accueil digne

Vinciane et Benjamin ne sont pas les seuls à avoir sauté le pas de cet engagement associatif, appelé « hébergement solidaire ». Le but : miser sur la mobilisation citoyenne pour offrir des conditions d’accueil digne aux personnes exilées, mais aussi « casser l’isolement et permettre à ces individus de retrouver un peu de stabilité », nous indique l’association Réfugiés Bienvenue, qui met en relation des foyers français volontaires avec des demandeurs d’asile et des réfugiés, pour l’instant en Ile-de-France.

Selon la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL), en 2021, 322 cohabitations solidaires étaient en cours, grâce à une dizaine d’associations habilitées par l’État, sur plus de 54 000 personnes ayant reçu un statut de protection (réfugié ou protection subsidiaire) cette année-là. Depuis sa création en 2015, Réfugiés Bienvenue apporte un précieux cadre à la vingtaine de ses cohabitations solidaires, assure chaque mois leur suivi et leur réussite, vérifie les conditions dans lesquelles vivra la personne réfugiée, et fait signer une charte de vivre-ensemble.

Néanmoins, comme le souligne Anjali, responsable de l’hébergement citoyen chez Réfugiés Bienvenue, « c’est une solution très positive à l’intégration des demandeurs d’asile, mais ce n’est pas la solution idéale. Il faut bien rappeler que ces personnes devraient avoir le droit à un logement pour elles-mêmes. » L’association veille aussi à entretenir une relation d’horizontalité entre hébergé et hébergeur, et à ce qu’il n’y ait aucune contrepartie financière ou de services demandée. Au cœur du projet de cette petite ONG : accompagner les réfugiés vers l’autonomie. « Au final, le but est qu’ils puissent vivre en totale indépendance, en construisant leur projet de vie en France. »

« On se parle d’égal à égal »

Et ça, Vinciane et Benjamin l’ont bien compris. Passé la barre de la quarantaine, pour le couple, c’est le déclic. « On était en quête de sens. On est conscient de nos privilèges, donc on voulait aussi montrer à nos fils qu’il existe d’autres réalités bien plus difficiles, et que ce n’est pas parce que qu’on est différent qu’il faut avoir peur », retrace Vinciane, attablée dans leur jardin. Avec une chambre vacante à l’étage, l’idée mûrit doucement. Puis la guerre en Ukraine éclate en février 2022. C’est décidé, la famille compte agir.

Le couple contacte alors l’association Réfugiés Bienvenue, et quelques semaines plus tard, rencontre pour la première fois Faisal dans un parc. De son côté, l’Afghan cherchait, grâce à l’aide de son assistant social, une famille avec des enfants, « pour apprendre le français, la culture française, et le quotidien des gens ici ». Arrivé en France en 2018, il détient le statut de réfugié depuis mars 2021.

Au départ, des deux côtés, tous appréhendaient. « On ne sait jamais sur qui on va tomber ! », abonde Vinciane. Léon, le fils cadet, est d’abord « méfiant, pas très sûr de l’idée ». Faisal aussi s’inquiète qu’on ne le comprenne pas. « Je pensais qu’on me parlerait mal, qu’on m’interdirait des choses… Mais dès la deuxième journée, j’ai tout de suite été à l’aise. Ils sont très gentils, on se parle d’égal à égal », décrit le jeune homme, dans un français presque fluide.

Faisal et la famille de Vinciane essaient de passer deux à trois soirs ensemble chaque semaine. L'occasion de discuter de leurs différences culturelles et de poser des questions sur l'autre.
Faisal et la famille de Vinciane essaient de passer deux à trois soirs ensemble chaque semaine. L'occasion de discuter de leurs différences culturelles et de poser des questions sur l'autre. © Louise Huet / RFI

Rapidement, Faisal s’intègre dans leur quotidien, libre de vivre sa vie à son rythme, tout en partageant deux ou trois dîners par semaine. En un an, il part en vacances avec eux, passe Noël avec la famille élargie, leur élabore un repas afghan avec les tenues typiques. Surtout, le réfugié se sent moins seul. Il étend progressivement un réseau, travaille comme réceptionniste de nuit dans un hôtel en parallèle de ses cours de français à la fac, et se prépare pour s’insérer plus facilement dans la société. Avec un rêve : diriger, un jour, son propre hôtel et accueillir, à son tour, des étrangers du monde entier. 

Raconter son parcours de migration

Autour d’un thé au safran et à la cardamone qui lui « rappelle un peu la maison », Faisal partage sans difficulté son périple périlleux pour arriver jusqu’ici. Habitant dans un quartier dominé par les talibans, Faisal était chauffeur de marchandise. Le jeune homme, alors âgé de 17 ans, est contraint de quitter l’Afghanistan en 2015 quand les talibans lui imposent de travailler pour eux.

S’ensuit alors un parcours migratoire semé d’embûches, comme tant d’autres avant et après lui. Le jeune homme rejoint la Turquie via l’Iran, évite de justesse les coups de feu des gardes-frontières. Plus tard, il atteint la Grèce caché dans une bétonneuse, puis l’Italie dissimulé sous des palettes de Nutella. À son arrivée en France, il dort quelques temps sous une tente, porte de la Chapelle. À chaque étape de son voyage, il craint pour sa vie. « Si je devais refaire ce trajet en sachant aujourd’hui ce qu’il faut traverser, je ne sais pas si je le referais », avoue-t-il avec un triste sourire, les cheveux coupés courts sur le crâne.

Tout ça, il le raconte aussi aux camarades de classe de CE2 de Léon, en février 2023, lors d’une intervention d’une heure trente. Accompagné d’une carte retraçant son trajet, il répond aux questions des enfants curieux, avides d’anecdotes. Léon, 8 ans, résume ce qu’il a ressenti de ce récit :

Chez lui, en Afghanistan, les femmes ont beaucoup moins de droits que les hommes. On peut se faire tuer si on se révolte, ou aller en prison. En France, on a le droit à beaucoup plus de choses, on est plus libre. C’est un peu bizarre… On n’a pas trop envie d’aller en Afghanistan.

Quand Faisal envoie une vidéo de sa prestation à sa famille restée en Afghanistan, avec qui il garde un contact régulier, tous, et surtout son père, professeur retraité, « sont super fiers ».

« Pallier les défaillances de l’État »

La cohabitation solidaire, basée sur le volontariat et sans rétribution, nécessite un fort engagement personnel. « C’est sûr qu’il faut être prêt et avoir les moyens de le faire. On me dit souvent : "Quel courage ! Moi je ne pourrais pas." En réalité, ça ne me demande aucun effort. Il faut aussi se confronter au poids des clichés, des préjugés », poursuit Vinciane, salariée dans une société de parfum.

Faisal, dans sa chambre, montre son cours de français à l'université. Le lendemain, il aura une présentation orale à faire sur le Stade de France et son histoire.
Faisal, dans sa chambre, montre son cours de français à l'université. Le lendemain, il aura une présentation orale à faire sur le Stade de France et son histoire. © Louise Huet / RFI

En effet, cette forme d’accueil peine encore à faire consensus. Depuis quelques semaines, le nombre de foyer hébergeur est en baisse chez Réfugiés Bienvenue. En cause, selon Anjali : l’inflation et le contexte économique qui plombent les ménages, le discours médiatique peu attrayant autour des personnes exilées, le manque de confiance envers les étrangers, et un épuisement suite aux vagues d’engagement après la guerre en Ukraine.

Aussi, si ce dispositif existe, c’est avant tout pour « pour pallier les défaillances de l’État », rappelle Réfugiés Bienvenue, face au niveau de saturation des demandes de logements des réfugiés en France. En effet, d’après l’organisme, « plus de 2 personnes en demande d’asile sur 5 n’ont pas de place dans un centre. »

D’après Sami Cheikh Moussa, directeur de Réfugiés Bienvenue, l’hébergement solidaire, encensé par l’État en 2017, ne doit pas servir d’échappatoire au gouvernement pour se détourner de ses devoirs.

Le fait de parler de façon parfois trop positive de cette action engendre une déresponsabilisation de l’État. Tout n’est pas qu’une question d’engagement individuel. L’hébergement citoyen ne doit pas être la seule réponse aux manques de logements sociaux et de place dans les centres d’accueil, ou à la mission de l’État de loger les demandeurs d’asile…

Aujourd’hui, Faisal attend ses résultats d’examen de français. S’il les réussit, il pourra poursuivre ses études dans le marketing. D’ici la fin du mois, sa demande de logement social devrait également aboutir et lui permettre d’obtenir son appartement, à lui. « Je vais être très triste de partir d’ici, mais je serai content d’avoir mon propre logement. Je vais les inviter très souvent ! », certifie-t-il. Vinciane et Benjamin prévoient déjà de l’aider à déménager.

De leur côté, le couple envisage d’accueillir à nouveau une autre personne. Mais pas tout de suite. Après le départ de Faisal, il leur faudra du temps, pour « faire le deuil » de celui qui est devenu un membre à part entière de leur famille.

À lire aussi : France: une nouvelle résidence sociale pour remplacer l'emblématique foyer Bara à Montreuil

À écouter aussi : Les récits de l’immigration, entre histoires individuelles et paroles politiques

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.