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Dominique Trinquand : "Il n’est pas question d’une adhésion immédiate de l'Ukraine à l’Otan"
Un conseil de défense réuni à l’Élysée a planché, lundi 12 juin, sur l’hypothèse d’une entrée de l’Ukraine dans l’Alliance atlantique (OTAN).
AFP

Dominique Trinquand : "Il n’est pas question d’une adhésion immédiate de l'Ukraine à l’Otan"

Diplomatie française

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Un conseil de défense réuni à l’Élysée a planché, lundi 12 juin, sur l’hypothèse d’une entrée de l’Ukraine dans l’Alliance atlantique (Otan). Un changement de doctrine surprenant pour la France jusqu'alors restée prudente à ce sujet mais qui s'explique sans doute par une volonté de faire « bouger les choses » pour le général Dominique Trinquand dans « Marianne ».

L’Ukraine bientôt dans l’Otan ? C’est une option que semble en tout cas considérer Emmanuel Macron, qui avait pourtant jusqu'alors toujours souhaité rester prudent à ce sujet. Ce lundi 12 juin, un conseil de défense réuni à l’Élysée a en effet travaillé sur l’hypothèse d’une entrée de l’Ukraine dans l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan), selon des informations révélées par Le Monde. Un changement de doctrine surprenant pour la France qui s’est toujours tenue à une ligne de prudence à ce sujet, contrairement aux pays Baltes notamment, en première ligne.

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Depuis le début du conflit, en février 2022, et jusqu’à présent, le président français estimait qu’une adhésion de Kiev à l’Otan ferait planer le risque d’une escalade militaire côté russe : « L’entrée de l’Ukraine dans l’Otan serait perçue par la Russie comme quelque chose de confrontationnel. Ce n’est pas avec cette Russie-là que vous pouvez l’imaginer », avait-il même indiqué le chef de l’État dans les colonnes du Monde en décembre 2022. Mais alors comment justifier ce changement de position et quelles pourraient en être les conséquences ? Le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU, livre son analyse à Marianne.

Marianne : Pourquoi la France se résout à soutenir l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan maintenant ?

Général Dominique Trinquand : Pour deux raisons : d’une part pour ne pas s’opposer aux pays d’Europe de l’Est qui soutiennent cette adhésion et sont en première ligne dans le conflit russo-ukrainien. Se développe, ces derniers temps, une stratégie française pour se rapprocher de ces pays. Tel a été le cas lors du discours du Président Macron à la deuxième réunion de la Communauté politique européenne (CPE) en Moldavie, le 2 juin dernier, mais aussi hier à l’occasion de la clôture de la conférence sur la défense aérienne et antimissile de l’Europe. Et d’autre part, Paris veut certainement faire bouger les choses alors que le conflit dure depuis près d'un an et demi. Il s’agit de faire pression sur Vladimir Poutine pour qu’il se rende compte que s’il continue dans cette direction, il va se heurter directement à l’Otan. Il faut qu'il comprenne qu’il est allé trop loin et que l'heure est aux négociations. Par ailleurs, la doctrine de la France évolue aujourd’hui dans la perspective du sommet de l’Otan à Vilnius qui se tiendra les 11 et 12 juillet prochains. La France doit prendre une position de défense allant dans le sens d’une adhésion de l’Ukraine à l’Otan à terme.

Pourquoi jusqu’à présent la France s’y opposait ?

La position de la France change seulement dans une certaine mesure car l’idée n’est pas que l’Ukraine rejoigne l’Otan maintenant, ce serait contreproductif et très risqué. Si tel était le cas, l’Otan entrerait en guerre contre la Russie par le jeu de l’article 5 du traité fondateur de l’organisation transatlantique qui dispose que la « défense collective implique qu'une attaque contre un membre de l'Alliance est considérée comme une attaque dirigée contre tous les Alliés ».

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C’est à plus long terme que les révélations sur la ligne de la France ont des conséquences en revanche. Autrement dit, Paris exprime sa volonté que l’Ukraine rejoigne l’Otan une fois le conflit terminé. Il faut d’abord que les négociations soient engagées et qu’un accord soit trouvé lequel contiendra une clause d’adhésion de l’Ukraine à l’organisation internationale – si les 31 États membres sont d’accord en vertu de la règle de l'unanimité. Ces affirmations françaises donnent au moins des perspectives de garanties sécuritaires ultérieures à l’Ukraine.

Ce changement de doctrine peut-il avoir des conséquences côté russe et côté ukrainien ?

Dans l’immédiat, à la marge. Côté russe, cela risque de conforter le président Poutine dans ses convictions selon lesquelles l’Otan et les États-Unis se rapprochent encore de la Russie. Dans son langage, il continuera à dire que la Russie a été provoquée ce qui lui permet de légitimer davantage sa propagande de guerre auprès de sa population. Quoi qu’il en soit, ce changement de position française ne fait pas planer de risque supplémentaire sur l’Ukraine. L’armée russe est occupée à maintenir ses positions en Ukraine au vu de ce qu’elle a montré jusqu’à présent. Elle est dans une position strictement défensive.

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Côté ukrainien, en obtenant cette adhésion, les 31 alliés de l’Otan vont néanmoins d’une certaine façon pouvoir demander à Volodymyr Zelensky d’être réaliste sur les objectifs qu’il souhaite atteindre. Mais quels sont-ils ? Il faudra attendre la fin de la contre-attaque pour le savoir.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne