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Série

Droits à l'IVG: ​​​​​​​aux Pays-Bas, un raidissement conservateur et chrétien

A priori, l’IVG aux Pays-Bas ne pose aucun problème particulier. Mais depuis le début des années 2000, une frange minoritaire de l’opinion multiplie les manifestations « pro-vie » aux portes des cliniques qui le pratiquent.

Manifestation sur la place du Dam à Amsterdam le 7 mai 2022, en amont de la décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer l’arrêt de Roe v. Wade datant de 1973 sur l'avortement.
Manifestation sur la place du Dam à Amsterdam le 7 mai 2022, en amont de la décision de la Cour suprême des États-Unis de révoquer l’arrêt de Roe v. Wade datant de 1973 sur l'avortement. AFP - KOEN VAN WEEL
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Légalisé en 1984 et remboursé comme un acte médical, l’avortement est autorisé jusqu’à la 24e semaine de grossesse aux Pays-Bas, comme en Grande-Bretagne. C’est le délai le plus long d’Europe, un facteur attractif pour nombre de femmes des pays voisins, chez lesquels il ne dépasse pas 14 semaines (France) ou 12 semaines (Belgique, Allemagne). Résultat : sur les 31 000 IVG enregistrées en 2021, 10% ont été faites par des citoyennes non résidentes aux Pays-Bas.

La période de réflexion obligatoire de cinq jours, fixée par la loi après une première consultation avec un médecin, a été levée par le Parlement le 10 février 2022 pour donner aux femmes une « plus grande liberté de choix ». Le pays affiche avec le Danemark l’un des taux d’IVG les plus faibles et les plus stables d’Europe, avec une moyenne de 8,8 pour 1 000 femmes de 15 à 44 ans. La raison ? Une éducation sexuelle franche et décomplexée, pratiquée dès l’école primaire, et un large recours aux méthodes de contraception. L’avortement, approuvé par seulement 60% des Néerlandais en 1992, l’était par 72% d’entre eux en 2017, selon le Bureau de planification sociale et culturelle (SCP). L’IVG est perçue comme non souhaitable et un ultime recours aux Pays-Bas où le rapport à la santé est culturellement marqué par le protestantisme, avec une certaine retenue face aux actes médicaux et aux médicaments.  

Des manifestations « pro-vie » aux portes des cliniques

À en juger par les chiffres, tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que derrière l’image d’Épinal d’un pays à la tolérance légendaire, un raidissement conservateur et chrétien se joue depuis le début des années 2000. Les manifestations se multiplient en effet, organisées par les groupes Schreew om Leven (« Pleurer pour la vie ») et Rechtwithout Distinction (« Droit sans distinction »), ou encore les chrétiennes fondamentalistes de l’église Rhemakerk. Ces petits groupes, qui n’hésitent pas à se rendre plusieurs fois par semaine aux portes des 19 cliniques pratiquant l’IVG dans les villes, ne se contentent pas de taguer les murs avec des slogans tels que « l’avortement est un assassinat ».

Les protestataires stigmatisent aussi les patientes qui se rendent dans ces établissements en les traitant de « meurtrières », et harcèlent le personnel en lui demandant : « Combien vous en avez tué aujourd’hui ? » À Zwolle, au nord-est de la capitale, des poignées d’hommes à la retraite sont actifs une fois par mois, indique la mairie, tandis qu’à Eindhoven, au sud du pays, des manifestations se tiennent devant la clinique Mildred chaque dernier mardi du mois.

À tel point que des organisations de la société civile comme De Fabel van de Illegal (« La fable de l’illégal ») organisent des contre-manifestations et plaident pour la création de « zones tampons » afin d’empêcher les manifestants chrétiens de vilipender directement les femmes, qui arrivent parfois en larmes. Des structures comme Humanistische Verbond (« Association humaniste ») organisent par ailleurs des escortes permettant aux femmes souhaitant pratiquer une IVG d’être accompagnées et protégées par des volontaires lors de leur entrée à la clinique.

Vers une dépénalisation totale

Des débats ont suivi au Parlement où les partis de centre droit chrétiens comme la CDA ont défendu le droit des manifestants à s’exprimer, d’autres formations de gauche dénonçant un empiètement sur la liberté individuelle des femmes. Depuis 2017, les manifestants ne peuvent pas excéder huit personnes sans demander une autorisation préalable, et sont contraints de se tenir de l’autre côté de la rue, et non aux portes des cliniques.

Alarmés par la tournure qu’a pris la situation aux États-Unis où le droit à l’avortement a été remis en question, les défenseurs des droits des femmes restent vigilants aux Pays-Bas. S’ils se félicitent de la possibilité prochaine, pour de simples généralistes, de prescrire une pilule abortive, leur contre-offensive passe aussi par un plaidoyer dans les médias. Des tribunes, publiées notamment dans le quotidien chrétien Trouw par l’Association humaniste, affirment que « l’avortement n’est pas un délit ».

Car l’essentiel du débat, aujourd’hui, porte sur la dépénalisation totale de l’IVG – qui n’est pas un droit formel en soi, mais une pratique seulement tolérée à certaines conditions. « L’avortement aux Pays-Bas est toujours inclus dans le Code pénal, rappelle Alina Chakh, de l’organisation AVA, qui milite pour la liberté de choix. Vous ne pouvez vous faire avorter ici que dans une clinique spécialisée ou les hôpitaux désignés, sinon, c’est puni par la loi. De ce fait, l’avortement a un caractère criminel et reste tabou. » Le raidissement est palpable : certaines polices d’assurance chrétiennes, qui s’assument comme étant « pro-vie », ne remboursent pas les IVG, ni les euthanasies.

 

 

► Droits à l'IVG : 

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