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Soudan : comment les Forces de soutien rapide squattent les logements des civils par la terreur

Depuis le début des combats, plusieurs civils ont été expulsés de leurs maisons par des combattants des Forces de Soutien Rapide (FSR), qui les squattent pour se protéger des combats en ville contre les Forces armées soudanaises (SAF). Des images appuient ces accusations et attestent des violences infligées aux civils à leur propre domicile. Notre Observateur a été pris en otage chez lui par un groupe de combattants FSR.

Après avoir évacué de force les habitants, beaucoup de combattants des Forces de Soutien Rapide squattent ouvertement les maisons des civils.
Après avoir évacué de force les habitants, beaucoup de combattants des Forces de Soutien Rapide squattent ouvertement les maisons des civils. © Observateurs
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Armes à la main, des combattants affiliés aux Forces de Soutien Rapide (FSR) posent dans le salon ou la chambre à coucher de civils soudanais dont ils ont confisqué le logement, devenu un refuge entre deux affrontements avec l’armée soudanaise. C’est le genre d’images régulièrement publiées depuis le 15 avril et le début des affrontements, par les combattants sur leurs propres profils en ligne ou reprises sur des comptes Tik Tok, Instagram ou Facebook pro-FSR. Ces violences envers les civils s’ajoutent aux accusations de cambriolages, viols et agressions physiques envers cette milice en guerre contre l’armée soudanaise.

Sur d’autres images, prises cette fois-ci par des civils, on voit des combattants s’introduire chez les habitants ou s'emparer de véhicules en pleine rue. 

Dans cette vidéo publiée le 30 avril sur Facebook, un civil surprend un combattant FSR en train d’escalader le mur de sa maison. Tombant nez-à-nez avec les habitants, le combattant demande : “Pourquoi vous êtes encore ici? Ce n’est pas dangereux [pour vous]?”. Le lieu n’est pas mentionné.

Sur Facebook, le hashtag  #RSF_loots_houses en anglais et #الدعم_السريع_يستبيح_بيوتنا en arabe (“les RSF pillent nos maisons”, en français), lancé début juin, cumule 15 000 publications en anglais et 27 000 publications en arabe. Des Soudanais y dénoncent des faits de pillage, souvent accompagnés de violences physiques et d’humiliation infligées aux propriétaires, ainsi que des évictions forcées de leur foyer, confisqué par les mêmes combattants. 

Cette vidéo a récolté plus de 108 000 vues sur Twitter. Elle est présentée comme montrant un combattant FSR braquer son arme sur une femme en pleurs, qui agite ses bras en désespoir. La légende indique que les combattants ont pris la famille en otage afin de piller leurs voitures.

"Ils m’ont séquestré dans le salon, m’obligeant à répondre aux coups de fil personnels que je recevais de mes parents ou de ma petite sœur"

La rédaction des Observateurs a été contactée le 5 juin par Gamal (pseudonyme), un jeune médecin de 30 ans habitant à Khartoum. Ce jour-là, il a été pris en otage chez lui par des  combattants armés des Forces de soutien rapide pendant quelques heures.

Le 5 juin, vers 11 h du matin, je révisais des cours chez moi, quand on a toqué au portail extérieur. Par prudence, je suis monté vérifier l’identité des visiteurs par la fenêtre de l’étage. Ils étaient neuf à arborer des fusils automatiques, dont trois très jeunes, armés quant à eux de bâtons et d’outils coupants. Je ne voulais pas m’attirer leurs foudres, donc j’ai fini par leur ouvrir la porte de la maison. 

Une fois le portail franchi, ils ont braqué leurs armes sur moi, m’ont fait asseoir et m’ont dit : "On nous a signalé que cette maison appartient à un officier de l’armée." Ils voulaient aussi avoir plus d’informations quant au véhicule garé à l’extérieur. J’ai expliqué qu’il s’agissait de la voiture de mon voisin qui m’a laissé les clés pendant son absence, mais qu’il n’y a pas de militaires dans le quartier. Ils m’ont roué de coups avec la crosse des fusils et m’ont conduit à l’intérieur de la maison.

Cette vidéo filmée par un combattant FSR le montre en train de menacer au couteau et insulter un vieil homme dans sa maison alors qu’il est assis par terre. Le combattant lui jette un projectile à la tête puis le frappe.

Pendant que les plus jeunes dévalisaient les appareils électroniques, les autres combattants ont tiré des coups de feu vers le plafond et m’ont tabassé de nouveau face à mon refus de donner les clés du véhicule. Je leur ai alors donné les clés de la petite voiture familiale à la place, puis ils sont partis. 

Quelques minutes plus tard, un second groupe de FSR s’est présenté à ma porte. Lorsque j’ai tenté de la refermer, l’un d’eux m’a poussé dans la poitrine et le cou avec la crosse de son fusil.

Ils m’ont séquestré dans le salon, m’obligeant à répondre aux coups de fil personnels que je recevais de mes parents ou ma petite sœur. Ils m’écoutaient faussement rassurer ma famille sur ma sécurité alors que j’étais pris en otage.

“Des images de ce qui reste de notre maison”, écrit cette internaute dans un tweet du 1er juin.Il affirme qu’elle a été pillée par les FSR, avec le hashtag “les FSR pillent nos maisons” en arabe.

Lorsqu’un ami m’a appelé, ils ont menacé de me liquider s’il ne ramenait pas une certaine somme d’argent immédiatement, prétextant qu’ils avaient trouvé des armes sur moi. J’ai effectivement un pistolet pour ma protection, que je garde à contre-coeur dans une sacoche. À l'issue de cet échange, j’ai de nouveau reçu des coups et menaces, et ils m’ont à nouveau accusé de collaborer avec  l’armée. 

Cette vidéo a été filmée par un combattant des FSR sur son compte Tik Tok, supprimée depuis mais repostée sur Facebook. Il se balade dans une maison qu’il squatte, indiquant avec son pistolet des portraits de ses habitants en uniforme de l’armée soudanaise.

 

"À ce moment-là, j’avais perdu tout espoir de survie face à cette violence extrême"

Sous les coups et les menaces, j’ai fini par leur donner le pistolet, mais je ne me rappelais pas de l’endroit où j’avais caché les munitions, ce qu’ils n’ont pas cru. Ils ont alors mis à sac la maison de fond en comble et ont tout jeté à terre. A l’étage, un jeune combattant a voulu confisquer mon ordinateur portable. J’ai tenté de l’en dissuader, expliquant que l'ordinateur ne sert qu’à stocker mes recherches et mes cours. Ça l’a rendu fou de rage, il m’a crié : "Tu me crois incapable de lire et d’utiliser un ordinateur?!", m’assénant de nouveau des coups à la tête et aux épaules. Je me suis recroquevillé et j’ai fermé les yeux, alors que les coups se poursuivaient, espérant ne pas m’évanouir de douleur. 

Cette vidéo a été filmée par une étudiante depuis sa maison à Khartoum et publiée sur son compte Instagram le 14 juin, selon cet internaute qui dit avoir été en contact avec elle. On y entend des coups assénés au portail, hors champ. La jeune femme écrit : “Des FSR tentent de s’introduire dans notre maison.”

Ils savaient très bien que j’étais un civil, et je voyais que cela les amusait de me frapper et m’humilier. Un autre combattant m’a questionné sur mes origines tout en braquant son arme sur moi. Je répondais vaguement à ses questions. À ce moment-là, j’avais perdu tout espoir de survie face à cette violence extrême. 

Ils ont fini par me laisser tranquille et se sont installés sur la véranda.

Ce jeune homme de 18 ans a été tué par balle par des combattants FSR qui se sont introduit chez lui, à Omdurman.

Ils ont finalement quitté la maison quatre ou cinq heures plus tard, en ayant volé deux voitures, mon ordinateur portable et quatre téléphones. Je leur ai même offert du soda et de l’eau avant leur départ.

Dix jours après l’incident, j’ai encore un sentiment amer d’étrangeté, de dissociation. Je pense, avec du recul, que j’ai agi avec beaucoup de sang froid et de logique à un moment de vie ou de mort, et j’ai survécu.

rumor has it that the RSF are blackmailing civilians out of their homes and using them as human shields. Please don’t open the door to anyone. Stay safe.
by u/PICKLENUTJUICE in Sudan
Cette publication sur Reddit alerte les internautes soudanais aux combattants RSF qui frappent à leur porte : “N’ouvrez à aucun inconnu, ne quittez pas vos maisons.”

Sur Twitter, des Soudanais indiquent parfois sympathiser avec des factions FSR pour s'épargner les pillages et les agressions. 

Aujourd’hui, Gamal explique sa décision de ne pas quitter Khartoum par le calme relatif revenu à la capitale depuis le 18 juin, après l’annonce d’un cessez-le-feu de 72 heures, enfreint cependant dès le second jour par des combats au Darfour, à l’ouest du pays.

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