Soudan : comment les Forces de soutien rapide squattent les logements des civils par la terreur
Depuis le début des combats, plusieurs civils ont été expulsés de leurs maisons par des combattants des Forces de Soutien Rapide (FSR), qui les squattent pour se protéger des combats en ville contre les Forces armées soudanaises (SAF). Des images appuient ces accusations et attestent des violences infligées aux civils à leur propre domicile. Notre Observateur a été pris en otage chez lui par un groupe de combattants FSR.
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Armes à la main, des combattants affiliés aux Forces de Soutien Rapide (FSR) posent dans le salon ou la chambre à coucher de civils soudanais dont ils ont confisqué le logement, devenu un refuge entre deux affrontements avec l’armée soudanaise. C’est le genre d’images régulièrement publiées depuis le 15 avril et le début des affrontements, par les combattants sur leurs propres profils en ligne ou reprises sur des comptes Tik Tok, Instagram ou Facebook pro-FSR. Ces violences envers les civils s’ajoutent aux accusations de cambriolages, viols et agressions physiques envers cette milice en guerre contre l’armée soudanaise.
Sur d’autres images, prises cette fois-ci par des civils, on voit des combattants s’introduire chez les habitants ou s'emparer de véhicules en pleine rue.
Sur Facebook, le hashtag #RSF_loots_houses en anglais et #الدعم_السريع_يستبيح_بيوتنا en arabe (“les RSF pillent nos maisons”, en français), lancé début juin, cumule 15 000 publications en anglais et 27 000 publications en arabe. Des Soudanais y dénoncent des faits de pillage, souvent accompagnés de violences physiques et d’humiliation infligées aux propriétaires, ainsi que des évictions forcées de leur foyer, confisqué par les mêmes combattants.
قسما بالله اولاد الحرام ديل حيرونا عديل
— 𝕐𝕒𝕤𝕚𝕣 𝕄𝕠𝕤𝕥𝕒𝕗𝕒 (@YASIR_MOS91) June 20, 2023
يقولو شنو زاتو
من انتهاكات الدعم السريع اليوم في حي المسالمة امدرمان بتهديد والدة الابناء بالقتل في حال لم يتم تشغيل العربة لهم …اقسم بالله يا جماعه حاجه توجع القلب ديل ما بشر والله حسبي الله ونعم الوكيل pic.twitter.com/VlN8cf7Ukw
"Ils m’ont séquestré dans le salon, m’obligeant à répondre aux coups de fil personnels que je recevais de mes parents ou de ma petite sœur"
La rédaction des Observateurs a été contactée le 5 juin par Gamal (pseudonyme), un jeune médecin de 30 ans habitant à Khartoum. Ce jour-là, il a été pris en otage chez lui par des combattants armés des Forces de soutien rapide pendant quelques heures.
Le 5 juin, vers 11 h du matin, je révisais des cours chez moi, quand on a toqué au portail extérieur. Par prudence, je suis monté vérifier l’identité des visiteurs par la fenêtre de l’étage. Ils étaient neuf à arborer des fusils automatiques, dont trois très jeunes, armés quant à eux de bâtons et d’outils coupants. Je ne voulais pas m’attirer leurs foudres, donc j’ai fini par leur ouvrir la porte de la maison.
Une fois le portail franchi, ils ont braqué leurs armes sur moi, m’ont fait asseoir et m’ont dit : "On nous a signalé que cette maison appartient à un officier de l’armée." Ils voulaient aussi avoir plus d’informations quant au véhicule garé à l’extérieur. J’ai expliqué qu’il s’agissait de la voiture de mon voisin qui m’a laissé les clés pendant son absence, mais qu’il n’y a pas de militaires dans le quartier. Ils m’ont roué de coups avec la crosse des fusils et m’ont conduit à l’intérieur de la maison.
اللهم نعوذ بك من شر الجنجويد..#الدعم_السريع_يستبيح_بيوتنا ويهين الرجال أصحاب الحق داخل منازلهم!
— Sara Elareifi (@SElareifi) June 16, 2023
ربنا يخسف بيكم الأرض.. الفيديو دا وجعني شدددديد#السودان برئ من شركم pic.twitter.com/peR5cdlHAy
Pendant que les plus jeunes dévalisaient les appareils électroniques, les autres combattants ont tiré des coups de feu vers le plafond et m’ont tabassé de nouveau face à mon refus de donner les clés du véhicule. Je leur ai alors donné les clés de la petite voiture familiale à la place, puis ils sont partis.
Quelques minutes plus tard, un second groupe de FSR s’est présenté à ma porte. Lorsque j’ai tenté de la refermer, l’un d’eux m’a poussé dans la poitrine et le cou avec la crosse de son fusil.
Ils m’ont séquestré dans le salon, m’obligeant à répondre aux coups de fil personnels que je recevais de mes parents ou ma petite sœur. Ils m’écoutaient faussement rassurer ma famille sur ma sécurité alors que j’étais pris en otage.
#الدعم_السريع_يستبيح_بيوتنا #جرائم_الدعم_السري
— Amoona_Al🍋 (@Amnasalah7) June 1, 2023
الله ينتقم منكم دنيا و اخرة.
دي جزء من صور بيتنا pic.twitter.com/AoIgT5H36S
Lorsqu’un ami m’a appelé, ils ont menacé de me liquider s’il ne ramenait pas une certaine somme d’argent immédiatement, prétextant qu’ils avaient trouvé des armes sur moi. J’ai effectivement un pistolet pour ma protection, que je garde à contre-coeur dans une sacoche. À l'issue de cet échange, j’ai de nouveau reçu des coups et menaces, et ils m’ont à nouveau accusé de collaborer avec l’armée.
Cette vidéo a été filmée par un combattant des FSR sur son compte Tik Tok, supprimée depuis mais repostée sur Facebook. Il se balade dans une maison qu’il squatte, indiquant avec son pistolet des portraits de ses habitants en uniforme de l’armée soudanaise.
"À ce moment-là, j’avais perdu tout espoir de survie face à cette violence extrême"
Sous les coups et les menaces, j’ai fini par leur donner le pistolet, mais je ne me rappelais pas de l’endroit où j’avais caché les munitions, ce qu’ils n’ont pas cru. Ils ont alors mis à sac la maison de fond en comble et ont tout jeté à terre. A l’étage, un jeune combattant a voulu confisquer mon ordinateur portable. J’ai tenté de l’en dissuader, expliquant que l'ordinateur ne sert qu’à stocker mes recherches et mes cours. Ça l’a rendu fou de rage, il m’a crié : "Tu me crois incapable de lire et d’utiliser un ordinateur?!", m’assénant de nouveau des coups à la tête et aux épaules. Je me suis recroquevillé et j’ai fermé les yeux, alors que les coups se poursuivaient, espérant ne pas m’évanouir de douleur.
The last thing she posted on her IG Account of RSF militia trying to break into her house #الدعم_السريع_يستبيح_بيوتنا https://t.co/lCO7myy0di pic.twitter.com/2ApPsKmrAD
— Mobarak (@barakaadil) June 16, 2023
Ils savaient très bien que j’étais un civil, et je voyais que cela les amusait de me frapper et m’humilier. Un autre combattant m’a questionné sur mes origines tout en braquant son arme sur moi. Je répondais vaguement à ses questions. À ce moment-là, j’avais perdu tout espoir de survie face à cette violence extrême.
Ils ont fini par me laisser tranquille et se sont installés sur la véranda.
This is a picture of an 18 year old man shot dead by RSF soldiers inside his home.
— Hala Y Alkarib (@Halayalkarib) June 21, 2023
There are a large number of Sudanese who were killed in their homes by the RSF. This brutality will only make future conflict resolution much harder.#KeepEyesOnSudan#الجنجويد_مليشيات_ارهابيه https://t.co/frb2msBCyd
Ils ont finalement quitté la maison quatre ou cinq heures plus tard, en ayant volé deux voitures, mon ordinateur portable et quatre téléphones. Je leur ai même offert du soda et de l’eau avant leur départ.
Dix jours après l’incident, j’ai encore un sentiment amer d’étrangeté, de dissociation. Je pense, avec du recul, que j’ai agi avec beaucoup de sang froid et de logique à un moment de vie ou de mort, et j’ai survécu.
rumor has it that the RSF are blackmailing civilians out of their homes and using them as human shields. Please don’t open the door to anyone. Stay safe.
by u/PICKLENUTJUICE in Sudan
Sur Twitter, des Soudanais indiquent parfois sympathiser avec des factions FSR pour s'épargner les pillages et les agressions.
Aujourd’hui, Gamal explique sa décision de ne pas quitter Khartoum par le calme relatif revenu à la capitale depuis le 18 juin, après l’annonce d’un cessez-le-feu de 72 heures, enfreint cependant dès le second jour par des combats au Darfour, à l’ouest du pays.