Des migrants tentent de partir vers Lampedusa depuis Sfax, en Tunisie, le 27 avril 2023. Crédit : Reuters
Des migrants tentent de partir vers Lampedusa depuis Sfax, en Tunisie, le 27 avril 2023. Crédit : Reuters

Selon différentes sources en Tunisie, une embarcation de 97 personnes a chaviré jeudi 22 juin au large de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie. D'après une des rares survivantes, les garde-côtes tunisiens ont lancé du "gaz lacrymogène" dans l’embarcation provoquant une panique à bord et le naufrage du canot. Des enfants sont morts noyés. Une vingtaine de personnes auraient été secourues.

Que s’est-il passé le jeudi 22 juin au large des côtes tunisiennes de Sfax ? Selon les autorités locales, trois naufrages ont eu lieu ce jour-là. Un premier bilan a fait état de trois morts, de 12 exilés portés disparus et de 152 personnes secourues.

Selon des témoins contactés par InfoMigrants, un quatrième naufrage a eu lieu ce 22 juin. Un bateau de 97 migrants a sombré après son départ de Sfax, dans le centre-est de la Tunisie. "Ce que l’on sait, c’est que ce naufrage a eu lieu peu après le départ, non loin des côtes", explique Eric Tchata, président de la diaspora camerounaise en Tunisie, joint par InfoMigrants. "Il y avait 97 personnes à bord, d’après les dires d’une des rescapées". Cette survivante, mère de famille, Claire*, a perdu son fils de cinq ans dans l'accident.

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Le corps de son petit garçon a été repêché peu de temps après le drame. Il est actuellement à la morgue de Sfax. Claire a raconté sa version des faits à Éric Tchata à qui elle demande de l'aide pour faire rapatrier le corps de son fils au Cameroun. Elle blâme les garde-côtes tunisiens, responsables du naufrage. "Claire nous a dit que les garde-côtes tournaient autour du bateau pour faire des vagues. Et puis qu’ils avaient lancé à plusieurs reprises du gaz lacrymogène dans l’embarcation. Il y a eu un mouvement de panique et le canot s’est retourné". Selon elle, une vingtaine d'exilés ont été secourus par les forces tunisiennes. Il y aurait donc au moins 70 morts.

Une autre femme était à bord de l'embarcation avec ses jumeaux. L’un des deux est décédé pendant le naufrage, a-t-elle également confié à Éric Tchata.

"On fait de la sensibilisation puis on apprend que les jeunes que nous avons rencontrés sont morts"

De nombreux ressortissants d’Afrique subsaharienne viennent en Tunisie pour tenter d’immigrer clandestinement par la mer vers l’Europe, certaines portions du littoral tunisien se trouvant à moins de 150 km de l’île italienne de Lampedusa.

Souvent, les rescapés des naufrages et les familles des victimes entrent en contact avec Éric Tchata et son "Association camerounaise de la diaspora en Tunisie (Acadit)" via leur page Facebook. "Ce n’est pas la première fois que nous recevons ce genre d'appels. Le 22 mars dernier, nous avons reçu énormément de messages suite à un terrible naufrage", explique encore Éric qui dit communiquer avec l'ambassade du Cameroun en Tunisie, l'Organisation internationale des migrations (OIM), la police scientifique et la morgue de Sfax pour identifier les corps. "Nous avons des messages des Camerounais bien sûr, mais aussi de personnes d’Afrique de l’Ouest, des gens qui cherchent leurs proches".

Ce n'est pas non plus la première fois qu'InfoMigrants entend parler des pratiques violentes des garde-côtes tunisiens. Les migrants en contact avec la rédaction assurent que les autorités volent parfois les moteurs des canots, les laissant dériver en pleine mer. Ils accusent aussi les garde-côtes d'opérer des manœuvres dangereuses près des embarcations. Kalilou, un migrant Ivoirien expliquait en avril dernier à InfoMigrants que les garde-côtes tournaient autour des canots pour faire des vagues. "Quand ils agitent l’eau, les gens paniquent et le bateau se retourne. Ils peuvent porter secours à certaines personnes mais ils ne peuvent pas sortir tout le monde". Le jeune homme assurait avoir "perdu plusieurs amis après ce genre d’actions des garde-côtes".

Éric Tchata entend aussi souvent parler de "naufrages invisibles", ces canots qui coulent en mer sans jamais avoir été répertoriés. "Nous recevons des appels de jeunes en Italie qui nous disent que leurs amis partis tel jour, à telle heure ne sont jamais arrivés, et que plus personne ne répond".

Les familles ont très souvent les mêmes requêtes : retrouver leurs proches et rapatrier leurs corps au pays. "Nous leur demandons de faire des photos des membres de leur famille sur le départ pour qu’on puisse plus facilement identifier les corps qui ne sont pas en état de décomposition", explique Éric Tchata. "Nous leur disons aussi qu’il faut faire des tests ADN pour relier les victimes à leurs familles".

"Les jeunes de Lampedusa disent aux autres de venir"

Face aux nombreux drames qui endeuillent les communautés étrangères de Tunisie, Éric Tchata perd parfois espoir. "Nous n’arrêtons pas de faire passer des messages pour rappeler des dangers des traversées clandestines, mais notre message a du mal à être entendu", se désespère-t-il. " Nous sommes présents dans des groupes Whatsapp. Nous avons des antennes à Sfax, à Tunis, à Zarzis... Partout, nous condamnons ces départs. On fait de la sensibilisation mais ça ne sert à rien. On apprend que certaines des personnes que nous avons rencontrées sont mortes en mer". 

Force est de constater que les naufrages se multiplient depuis le début de l’année. Le 9 juin, les corps de neuf Africains subsahariens ont été récupérés en Méditerranée. Les victimes étaient parties de la ville de Teboulba dans le gouvernorat de Monastir (centre-est de la Tunisie). En mars, 39 corps, dont ceux de quatre enfants, ont été repêchés au large de la Tunisie. Un peu plus tôt, en février, les dépouilles de 12 migrants, dont un bébé, ont été retrouvées à bord d'une embarcation. Un article de Mediapart avait publié aussi la photo du corps d’une enfant retrouvée sur une île de Kerkennah, en décembre dernier, dans la même position que le petit Alan Kurdi en 2015. 

Un des soucis majeurs, selon Éric, reste l’incitation de ceux arrivés en Europe. "Les personnes qui sont à Lampedusa [en Italie] envoient des vidéos à ceux restés au pays et leur disent de venir", regrette-t-il. "Ils les excitent. Il y a des jeunes qui partent sans se rendre compte de ce qu’est une traversée. Ils pensent que ça dure deux heures et que les garde-côtes italiens seront là pour les récupérer".

La Garde nationale tunisienne avait annoncé, au mois d'avril 2023, avoir secouru ou intercepté 14 406 personnes, dont 13 138 originaires d'Afrique subsaharienne, et le reste des Tunisiens, au cours des trois premiers mois de l'année 2023. Cette même année, la quasi-totalité des interceptions et des sauvetages a eu lieu dans les zones de Sfax, la deuxième ville du pays.

*Le prénom a été changé

 

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