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50 ans de la mort de Picasso : "Il a détruit la carrière de plusieurs femmes artistes"

© Amande Art

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Le 8 avril 1973, Pablo Picasso décédait à l’âge de 91 ans. À l’occasion des 50 ans de son décès, les hommages pleuvent et pas moins de 42 expositions se sont ouvertes ou vont s’ouvrir pour honorer la mémoire de l’artiste, dont, en Belgique, l’exposition du Musée royal des Beaux-Arts de Bruxelles qui s’est terminée en février.

Pourtant, la personnalité du peintre est de plus en plus questionnée dans le monde culturel. En 2021, Julie Beauzac, spécialiste en histoire de l’art, sortait un épisode de son podcast "Vénus s’épilait-elle la chatte ?" consacré à la misogynie de Picasso, dans lequel elle montre comment sa carrière s’est aussi bâtie sur ses comportements destructeurs. A propos de la séparation entre l’œuvre de l’artiste et sa vie personnelle, lui-même ne la pratiquait pas : nombre de ses compagnes sont représentées dans ses toiles.

Plusieurs livres sont également sortis à ce sujet, dont Picasso, le Minotaure de Sophie Chauveau en 2020 et Monsters, a Fan’s Dilemma de Claire Dederer, à paraitre le 25 avril 2023. Dans ce livre, l’autrice pose la question du lien entre génie et monstruosité. "Le génie mérite-t-il une dérogation particulière ? La monstruosité masculine est-elle la même que la monstruosité féminine ?", s’interroge-t-elle.

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"Il faut contextualiser"

"Moi, je suis assez claire : je sais que je n’irai voir aucune des expositions qui lui sont consacrées s’il n’y a pas de précision sur les aspects plus sombres de sa vie, réagit l’artiste belge Cécile Barraud de Lagerie, illustratrice, coloriste et professeure. "Il ne s’agit pas de censure, ni de militantisme, il faut juste établir des faits et contextualiser. Si une personne a fait des choses positives à côté de sa carrière artistique, cela m’intéresse tout autant. Picasso est vraiment un cas d’école, car il y a cet aspect ‘monstrueux’, mais il n’était pas le seul. Je pense par exemple au sculpteur Carl Andre, qui aurait défenestré sa femme, l’artiste Ana Mendieta, en 1985", précise-t-elle.

Si peu d’expositions organisées pour les 50 ans du décès du peintre ajoutent cette contextualisation, quelques événements repérés par la RTBF se proposent d’aborder les aspects violents de la vie de Picasso : un cycle de conférences à Paris s’est penché sur le sujet, et le Brooklyn Museum de New York mettra sur pied, en juin, une exposition sur Picasso et le féminisme.

Le parcours des femmes artistes

On commence d’ailleurs à s’intéresser aussi aux parcours des compagnes du peintre, la plupart également artistes, qui presque toutes ont fini en dépression ou se suicideront après avoir croisé sa route. "Souvent décrit comme un génie de la peinture, Picasso était aussi un destructeur de femmes", souligne d’ailleurs Arte. Il a d’ailleurs eu cette phrase : "Chaque fois que je change de femme, je devrais brûler la précédente. Comme cela, j’en serais débarrassé."

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En Belgique, la peintresse Amande Art a décidé de tirer le portrait et de raconter la vie de six d’entre elles, sous la forme de femmages : Eva Gouel, Dora Maar, Marie-Thérèse Walter, Olga Khokhlova, Fernande Oliver et Françoise Gilot. "J’ai souhaité les mettre en avant, le contraire de ce que Picasso a fait avec elle, puisque leur carrière a été écourtée après leur rencontre. Il a détruit leur réputation. Il les a écrasées et même démembrées dans ses peintures. Cela n’a pas été facile car il existe peu d’information sur ces femmes, j’ai dû creuser ! On doit apprendre ces histoires par nous-mêmes. Pour la Journée du matrimoine à Paris, j’ai voulu créer des portraits des Salonnières et j’ai dû aller chercher des sources partout, je connaissais peu de choses sur elles, alors qu’elles qu’ont participé à l’effervescence artistique et littéraire pendant trois siècles !", explique l’artiste.

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Cécile Barraud de Lagerie confirme : "J’ai étudié de 2002 à 2009, il y avait vraiment peu de femmes artistes enseignées dans les cours d’histoire de l’art, au sens large : dans la photographie, dans l’architecture, dans le textile, etc. on m’a beaucoup parlé de Picasso comme d’un génie, comme le tournant du siècle, on m’a raconté qu’il a influencé quantité d’autres œuvres. C’était raconté comme un bloc monolithe, sans nuances. Cela questionne si on relie ça aux perspectives féministes, décoloniales et LGBTQIA +. Aujourd’hui, j’ai l’impression que cela s’ouvre un peu plus mais il reste des choses à améliorer. Les femmes sont majoritaires dans les écoles dart et puis elles disparaissent."

Étant elle-même professeure en textile, elle explique y faire particulièrement attention. " Si je lis qu’un homme a découvert quelque chose, je gratte. Et souvent, il n’était pas tout seul… j’essaie de faire bouger les choses, là où j’ai des marges de manœuvre", observe-t-elle.

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Amande Art poursuit : "Pour moi, il était important de créer cette série de portraits de femmes autour de Picasso, de les mettre en lumière, en tant que peintresse aujourd’hui. Parce que je pense que ce qu’il s’est passé dans le monde de l’art continue de s’y passer aujourd’hui. Je suis une femme artiste, mais aussi une maman solo. C’est un statut difficile. Quand son père est parti, j’ai dû m’occuper seule de mon fils et continuer à créer. Souvent, je peignais la nuit, qui était le seul moment disponible. J’en ai gardé, encore maintenant, des insomnies. De nombreuses femmes artistes prennent un mi-temps pour s’assurer des revenus stables. On relègue toujours les femmes à la sphère domestique. Picasso a fait des choses sympas, oui, mais plein de femmes aussi ! Elles ont créé des œuvres géniales !"

Cette série de portraits féminins créés à l’occasion des 50 ans de la mort de Picasso est destinée à être utilisée par des colleuses féministes, notamment en France, qui afficheront dans la rue le visage et une courte biographie inspirante pour chacune de ces six femmes artistes. "Cela fait partie d’un projet plus large que j’ai commencé lors du déconfinement car la situation est restée compliquée un certain temps, en tant qu’artiste, à cette période. J’ai donc créé des portraits de 150 femmes connues ou méconnues qui ont été collées dans l’espace public par des colleuses belges et françaises."

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Pour Cécile Barraud de Lagerie, "Quand on fait quelque chose en tant que femme, cela aura moins de valeur partout, aussi dans le monde de l’art. Les femmes artistes qui prennent un pseudo masculin ont plus de chance de réussir. Pourquoi est-ce qu’avoir un utérus semble plus pénalisant pour une carrière qu’avoir violenté quelqu’un ?" Comme un lien qui se tisse entre la période de Picasso et notre présent.

Picasso et les femmes, l’ombre au tableau – JT 8 avril 2023

Picasso et les femmes : l ombre au tableau

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