Maires amers : près de 1 300 démissions depuis le début du mandat en 2020

Depuis le début du mandat à l'été 2020, près de 1 300 maires ont rendu leur écharpe ©Maxppp - Franck Boileau
Depuis le début du mandat à l'été 2020, près de 1 300 maires ont rendu leur écharpe ©Maxppp - Franck Boileau
Depuis le début du mandat à l'été 2020, près de 1 300 maires ont rendu leur écharpe ©Maxppp - Franck Boileau
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Les maires auraient-ils le blues ? Ils sont près de 1 300 à avoir démissionné depuis le début de leur mandat à l'été 2020. Beaucoup de conseillers municipaux font de même. Ces démissions d'élus locaux atteignent un niveau "jamais vu", s'alarme l'Association des maires de France.

Depuis les dernières élections municipales en 2020, 1 293 maires ont démissionné selon le ministre de la Cohésion des territoires Christophe Béchu, soit une moyenne de 40 par mois. De nombreux conseillers municipaux en font autant, sans que leur nombre ne soit pour l'instant connu. Un malaise aux raisons multiples.

Quand une équipe municipale vole en éclats

Sur le buffet du salon de Jérôme Ricardou, on trouve le courrier de la préfecture, reçu la semaine dernière. Sa démission est acceptée. Après huit ans de service, il n'est officiellement plus maire des quelque 350 habitants de Conflans-sur-Loing dans le Loiret. Sans regret, confie-t-il. "Il n'y avait plus du tout de plaisir, car il n'y avait plus de partage", résume le désormais ancien élu.

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Début avril, Jérôme Ricardou a démissionné de sa fonction de maire de Conflans-sur-Loing dans le Loiret
Début avril, Jérôme Ricardou a démissionné de sa fonction de maire de Conflans-sur-Loing dans le Loiret
© Radio France - Rosalie Lafarge

Son équipe s'est en partie retournée contre lui. Les petites embrouilles se sont accumulées. Les erreurs aussi, sans doute, admet-il sans problème. "Forcément, j'ai fait des erreurs, en même temps j'avais pour habitude de dire en riant que j'ai cherché un CAP de maire, mais cela n'existe pas", sourit Jérôme Ricardou. Et puis un projet, le rachat de l'auberge du village, a fini par tout faire exploser. Certains adjoints l'ont accusé de "mettre la commune en péril", de "vouloir couler tout le monde". Alors à 75 ans, Jérôme Ricardou a dit stop.

"Quand on est maire, si on n'est pas appuyé par son entourage, ça ne marche pas", explique-t-il. "J'allais lutter contre quoi ? Contre les membres d'une équipe municipale ? Je n'allais plus lutter pour faire avancer la commune. A quoi bon ? J'ai encore une bonne santé, je ne vais pas la tuer tout de suite", souffle Jérôme Ricardou. Les citoyens parfois très exigeants, il pouvait gérer. Les coups de téléphone sept jours sur sept, 24 heures sur 24, également. La lourdeur démocratique, passe encore. Mais cette guerre au sein du conseil municipal lui a donc fait rendre son écharpe. Comme un peu plus de 1 290 maires avant lui ces trois dernières années.

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Une fonction "plus complexe" et "moins intéressante"

"Moi aussi, j'en ai ras-le-bol parfois", soupire Michel Fournier. Le président de l'Association des maires ruraux de France la garde tout de même avec bonheur, son écharpe, mais il admet que la fonction a bien changé. "C'est devenu beaucoup plus compliqué, parce qu'on a multiplié les structures dans lesquelles ont est obligé d'être au niveau local. J'ai un agenda qui vaut celui d'un Premier ministre à l'heure actuelle, alors que je suis maire des Voivres, village de 300 habitants, ce n'est pas possible !" détaille Michel Fournier.

Michel Fournier, maire des Voivres dans les Vosges et président de l'association des maires ruraux de France
Michel Fournier, maire des Voivres dans les Vosges et président de l'association des maires ruraux de France
© Radio France - Rosalie Lafarge

Une mission prenante donc, et dans le même temps de moins en moins intéressante souligne encore l'élu. "On a dépouillé les maires, notamment des communes rurales, de leurs compétences, poursuit Michel Fournier. Le maire se demande ce qu'il lui reste comme pouvoir de décision : les disputes de voisinage, une vache qui est sortie... là c'est le maire qui doit y aller. Donc souvent, le maire ne sert plus que de dernier recours pour ce qu'on pourrait comparer à la chronique des chiens écrasés".

Le Billet politique
3 min

Le nécessaire accompagnement des élus locaux

La question des compétences, des moyens financiers qui ne suivent pas, de la considération qui manque, des difficultés à jongler entre vie professionnelle, vie personnelle et fonction de maire, les violences aussi... Le malaise puise dans des origines multiples. Et pour la sénatrice Union centriste, Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, il faut penser à mieux accompagner et former les élus locaux.

Françoise Gatel, sénatrice Union centriste, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation
Françoise Gatel, sénatrice Union centriste, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation
© Radio France - Rosalie Lafarge

"Il faut armer le maire pour qu'il ne se retrouve pas dans une solitude et une pression qui est énorme. Quand vous êtes maire, vous êtes maire tout le temps. Quand vous vous promenez, vous vous promenez comme un maire, vous repérez quelque chose qui ne va pas, un éclairage public qui ne fonctionne pas, quand vous êtes ailleurs vous repérez les bonnes idées en vous disant qu'il faudrait la reproduire... La fonction de maire vous envahit totalement et tout le temps, parce que vous portez une responsabilité assez unique. Je ne pense pas qu'il y ait un autre mandat aussi engageant et dévorant que celui de maire", souligne l'ancienne maire de Châteaugiron en Bretagne.

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Préserver le maire pour préserver le pays

Ce malaise, ce blues, ce désenchantement des élus locaux, on aurait tort de le minimiser insiste le directeur du Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po, Martial Foucault, auteur en 2020 de Maires au bord de la crise de nerfs aux éditions de l'Aube.

"Je crois qu'il est important de prendre conscience, même si, dans l'absolu, il y a peu de cas, que le phénomène des démissions touche à une question de notre démocratie municipale. Et elle est précieuse. Dans un pays qui est centralisateur, ce qui se passe au plan local est la respiration démocratique de notre pays. On peut y faire retomber le soufflé des tensions nationales et ainsi éviter que l'ensemble des citoyens ne se mettent en dehors du jeu démocratique. Or, cet espace de vie démocratique ne tient qu'à l'effort, l'investissement et l'engagement des maires et de leurs équipes municipales", explique ce spécialiste de la question.

Le directeur du Cevipof, auteur de Maires au bord de la crise de nerfs, Martial Foucault
Le directeur du Cevipof, auteur de Maires au bord de la crise de nerfs, Martial Foucault
© Radio France - Rosalie Lafarge

Un engagement qu'on pourrait à l'avenir voir décliner. Selon un sondage Ifop, plus de la moitié des maires ne souhaitent pas se représenter en 2026 aux prochaines élections municipales. C'est le taux le plus élevé mesuré par l'institut ces 20 dernières années.

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