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Face aux émeutes en France, la presse européenne fait une comparaison «guère rassurante» avec 2005

Dans les pays voisins, les journaux voient dans les violences qui secouent la France depuis plusieurs jours l’éruption d’une colère qui couvait depuis longtemps

Paris, le 1er juillet 2023. — © NACHO DOCE/REUTERS
Paris, le 1er juillet 2023. — © NACHO DOCE/REUTERS

«Pour beaucoup de Français, un profond sentiment de déjà-vu prévaut.» A l’image du Financial Times, les journaux des pays européens évoquent tous les émeutes de 2005, après six jours et autant de nuits de heurts faisant suite à la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier à Nanterre.

Même si la nuit de dimanche à lundi a été relativement calme, les affrontements impressionnants des derniers jours «soulignent les profondes divisions de la société, les tensions entre les jeunes et la police, et l’incapacité des gouvernements successifs à améliorer les conditions de vie dans les banlieues, malgré quarante ans de plans en ce sens», poursuit le journal économique britannique.

Le constat est le même pour le Sunday Times qui décrit une «nation fracturée», où «les relations interraciales sont devenues plus tendues au cours des deux dernières décennies avec l’augmentation de la population immigrée». Rappelant les trois semaines d’émeutes qui avaient suivi la mort de Zyed et Bouna il y a 18 ans à Clichy-sous-Bois, le journal dit craindre «cette fois que la situation ne devienne incontrôlable plus rapidement qu’en 2005». Les «précédentes révoltes populaires contre Macron» font que «l’humeur du pays est aujourd’hui plus colérique et la société plus divisée», ajoute le Sunday Times.

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«La crise du modèle français»

Le correspondant à Paris du journal italien La Stampa fait lui une comparaison directe entre les deux époques, s’étant replongé dans son bloc-notes de 2005. «Je le superpose, ce vieux cahier, aux chroniques de ces jours et il me semble que, d’un simple geste, j’ai annulé le temps», raconte-t-il, pessimiste. Il dénonce, comme il y a près de 20 ans, «l’aveuglement et l’hypocrisie d’une classe politique en faillite». Le journaliste italien voit à nouveau une «intifada de jeunes cagoulés, nihilistes et stériles». Ces jeunes révoltés, petits enfants d’immigrés, qui «rêvaient d’obtenir un passeport français», ont été à l’école en France, «à qui on a appris la Marseillaise et les délices de la fraternité». Ils ont «déjà ce passeport en poche; l’ennui, c’est qu’ils n’en veulent plus». Et de conclure: «c’est la crise du modèle français qui promet toujours et ne tient jamais».

En Espagne, El País estime, pour sa part, que «l’année de la grande révolte des banlieues est dans tous les esprits, du pouvoir de l’Elysée aux habitants des banlieues». Et cette troisième vague «de mécontentement social à laquelle Macron doit faire face, après les Gilets jaunes et la réforme des retraites» peut «à tout moment redevenir incontrôlable ou dégénérer»: «c’est la France de 2023, un pays qui vit une anomalie.»

De son côté, la Frankfurter Allgemeine Zeitung juge la comparaison avec l’automne 2005 «guère rassurante». Car depuis, les smartphones et les réseaux sociaux ont fait leur apparition. Et «internet attise le feu plus rapidement que ne le pouvaient les images télévisées».

«Quand on brûle 100 voitures en France, on en brûle une à Bruxelles»

En Suisse, on s’interroge sur la possibilité d’un élargissement du mouvement de contestation. La Neue Zürcher Zeitung indique ainsi que «les événements en France ont motivé une centaine de jeunes à se déchaîner dans le centre-ville de Lausanne dans la nuit de samedi à dimanche», à la suite d'«un appel sur les réseaux sociaux». «C’était un peu le chaos» témoigne dans 24 heures la gérante d’un magasin dont la vitrine a été fracturée, s’étonnant de l’âge des participants qui étaient «très jeunes, autour de 13-15 ans». L'événement lausannois reste toutefois isolé et d’une ampleur bien moins importante qu’en France.

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La Belgique – où Le Soir rapporte que «deux voitures ont été incendiées» à Bruxelles et «plus d’une centaine de personnes» ont été arrêtées «au cours du week-end, dont une majorité de mineurs» – partage le questionnement helvétique. Mais interrogé par le quotidien francophone, Xavier Rousseaux, professeur à l’Université catholique de Louvain relativise: «Quand on brûle 100 voitures en France, on en brûle une à Bruxelles ou à Liège. Mais ça s’arrête là.» Il note que la même réaction avait déjà eu lieu en Belgique en 2005 «où l’on est venu filmer une voiture qui avait brûlé sur un terrain vague de Louvain-la-Neuve pour montrer qu’en Belgique aussi les cités brûlaient […] Il faut dédramatiser.»

La Frankfurter Allgemeine Zeitung relève toutefois que la situation en France est grave. Et le président français se retrouve dans une situation difficile: «plus les troubles se prolongent, plus la confiance des citoyens dans le leadership de Macron diminue». Et la Süddeutsche Zeitungde souligner que la situation a conduit à l’annulation d’un voyage d’Emmanuel Macron en Allemagne, prévu cette semaine, qui «aurait été la première visite d’Etat d’un président français depuis vingt-trois ans».

En Suisse alémanique, le Tages Anzeiger estime que même si le président français, «qui connaît le pouvoir des symboles, a eu du mal à accepter cette annulation, […] il ne pouvait pas en être autrement». Maintenir une telle visite alors «que sa propre maison brûle aurait été difficile à faire accepter à une opinion publique française échauffée». Le pays a «besoin d’un capitaine sur le pont», ajoute le quotidien zurichois, qui appelle le président français à s’attaquer de front à deux problèmes. La violence policière d’une part: le slogan «la police tue» doit «rester polémique, il ne doit pas décrire la réalité», selon le Tages-Anzeiger. D’autre part, sur la situation des banlieues, il estime que «beaucoup de choses ont été tentées, mais personne ne s’est encore attelé à cette tâche avec le plus grand sérieux».

Soudain, pourtant, «tout le monde s’y met, les politiques, les journalistes, ils veulent prendre le pouls là où l’on n’aime pas trop regarder», écrit la Süddeutsche Zeitung. Alors que la question n’est pas nouvelle: «La France et ses banlieues. Depuis des décennies, cette relation est problématique.» Or «la colère fermente souvent dans l’ombre», ajoute le journal allemand.

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Une violence qui «n’augure rien de bon»

Remontant dix ans avant les émeutes de 2005, la Frankfurter Allgemeine Zeitung, comme d’autres journaux, évoque un mal-être de banlieue, notamment face à la police, déjà décrit dans La Haine, le film de Mathieu Kassovitz sorti en 1995. Une haine qui «se nourrit avant tout d’espoirs déçus».

Dans un commentaire distinct, la Süddeutsche Zeitung souligne qu'«il existe en France de nombreux acteurs engagés dans la société civile et même en politique, qui s’efforcent de mener des réformes». Tout en regrettant: «On ne les entend pas et on ne les voit pas». Au lieu de cela, le journal bavarois observe que «depuis des années maintenant, les haut-parleurs de la haine et du racisme» monopolisent «le discours national».

«Cette éruption de violence n’augure rien de bon pour le pays», renchérit la FAZ, car elle «devrait donner un coup de pouce supplémentaire aux partis d’extrême droite. Marine Le Pen n’a même pas besoin de commenter les événements.»

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