Les Français sont-ils trop payés ? 4 idées reçues remises en question

Inefficace à créer de l’emploi et de la compétitivité, le modèle de rémunération français est à bout de souffle. Il revient au gouvernement, aux entreprises et aux partenaires sociaux de changer la donne.

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Les Français sont-ils trop payés ? 4 idées reçues remises en question

Les Français sont-ils trop payés ? Difficile à croire quand le pouvoir d’achat par ménage a baissé de 1,9 % en 2012 et remonté de 0,3 % en 2013. La fiscalité et le chômage en hausse ont contribué à cette dégradation. Mais les salaires bruts par tête du secteur marchand en euros constants sont, eux, restés stables en 2012 et ont augmenté de 1,3 % en 2013. Une générosité que l’Association nationale des DRH (ANDRH) explique par une erreur d’appréciation de l’inflation : le ministère de l’Économie et des Finances avait prévu une inflation de 1,75 % pour 2013, alors qu’elle a atteint 0,6 %.

La situation française présente plusieurs spécificités. La compétitivité des entreprises est ainsi entamée par des revalorisations qui favorisent les "insiders" de l’emploi sans réduire un chômage de masse. Et les cotisations sociales alourdissent les coûts horaires des entreprises tout en minorant le net des salariés. En haut de la pyramide, les émoluments de quelques grands patrons accroissent le sentiment d’injustice. Mais la donne pourrait bien changer. Quelques totems et tabous sont en train de tomber.

1. On ne touche pas au smic

Pas touche à mon salaire minimum ! Pierre Gattaz en a fait les frais. En formulant l’éventualité d’une rémunération transitoire inférieure au smic et réservée à certains publics, il a réussi à dresser contre lui le nouveau ministre du Travail François Rebsamen, l’ex-patronne du Medef Laurence Parisot et les syndicats. C’est une "provocation", a lancé le premier, tandis que la seconde allait jusqu’à dénoncer "une logique esclavagiste" ! Le smic reste perçu comme l’ultime digue contre la pauvreté. Mais ce n’est pas forcément le meilleur ami de l’emploi, soulignent Pascal Lamy, l’ancien patron de l’OMC, ainsi que plusieurs économistes. Chez les dirigeants, si le smic fait encore de nombreux adeptes, certains s’interrogent. "Il n’est pas raisonnable d’avoir un smic déflaté qui augmente plus vite que les gains de productivité", estime François Lemasson, le président de l’UIMM d’Auvergne et dirigeant du groupe Acilam. Certains chefs d’entreprise réfléchissent à deux fois avant d’embaucher des jeunes. "Si le surcoût est raisonnable, mieux vaut recruter une personne expérimentée", estime Pierre-Yves Lévy, le PDG d’Outilacier, à Vaulx-en-Velin (Rhône), grand défenseur du made in France. L’expérience garantit un chiffre d’affaires par employé supérieur.

Poser la question de la modulation du smic, c’est s’interroger sur qui doit payer le différentiel de productivité. La collectivité ou l’entreprise qui embauche, quitte à ce qu’elle rogne ses marges ? "D’ores et déjà, avec les aides et les allégements, il y a un financement public partiel du smic", relativise le président de l’ANDRH, Jean-Christophe Sciberras. Ne faudrait-il pas mieux alors moduler le smic, quitte à revoir le système d’aides aux plus pauvres, comme le suggère Gilbert Cette, l’un des auteurs de "Changer de modèle" (éditions Odile Jacob) ? L’augmentation du smic, décidée par le gouvernement, donne le la aux augmentations de salaires. Un salarié embauché au smic + 20 % tient à conserver cette avance. "Il est difficile de payer beaucoup plus que le smic des salariés qui ont pourtant de l’expérience et du savoir-faire", assure François Lemasson.

Les partisans du smic estiment qu’il aide à contenir la montée de la pauvreté. Entre 2005 et 2013, le taux des personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France est passé de 13 à 14,1 %, alors qu’il a grimpé de 12,2 % à 16,1 % en Allemagne, où il n’y a pas de salaire minimum et où les emplois à temps partiel se sont multipliés ces dernières années. Mais il reste difficile de savoir s’il s’agit là davantage d’un effet du salaire minimum que du niveau des prestations sociales.

2. Les allégements de charges ne portent que sur les bas salaires

Pacte de compétitivité, pacte de responsabilité, pacte de solidarité… Depuis deux ans et jusqu’aux dernières annonces de Manuel Valls, la priorité du gouvernement porte sur la réduction des cotisations sociales. Si une partie de la majorité parlementaire a un peu protesté à l’idée de devoir geler des prestations sociales pour financer les exonérations, l’exécutif assume son choix. "Alléger les cotisations sociales, ce n’est pas faire un cadeau aux patrons, c’est un soutien à l’emploi des moins qualifiés", a jugé François Rebsamen, le 22 avril. Les syndicats réformistes y voient le moyen de regagner des marges de manœuvre. "Il faut d’abord investir dans l’outil de production. Puis envisager une juste répartition de la valeur ajoutée pour les salariés", plaide Carole Couvert, la présidente de la CFE-CGC. Les partenaires sociaux ont aussi mis fin aux hausses de cotisations, comme en témoigne la dernière négociation sur l’assurance-chômage qui n’a pas alourdi la fiche de paie. L’horizon s’éclaircit… sur le papier du moins. Car sur le terrain, l’avalanche des annonces et les modalités choisies laissent perplexes les patrons. "Le gouvernement met en place des dispositifs avec beaucoup de contraintes. C’est très complexe, le Cice, comme le CIR", estime Pierre-Yves Lévy, le PDG d’Outilacier.

Le chiffrage réalisé par le cabinet Lowendalmasaï montre que le futur smic ne sera pas totalement "à zéro charge" comme annoncé par Manuel Valls. Il ne coûtera plus à l’employeur que 1 597 euros tout compris. "Il reste encore les cotisations chômage et retraites gérées paritairement et des taxes type apprentissage, formation, construction", détaille Julien Plessis, chez Lowendalmasaï. La nouveauté, c’est que les allégements vont enfin porter largement au-delà des bas salaires. "La baisse des cotisations familiales n’ira pas au-delà de 3,5 smic", regrette Pierre Gattaz, qui demandait une mesure étendue pour toucher les plus qualifiés. Mais 3,5 smic, c’est déjà une révolution copernicienne pour un gouvernement obsédé par la création d’emplois, qui sait que les moins coûteux sont les plus rapides à engranger.

3. Les augmentations sont systématiques

"Notre souhait est d’avoir sur la durée une évolution de la masse salariale consacrée aux augmentations générales proche de l’inflation", explique Yves Mutschler, le directeur rémunération de Total. Raté ! Les négociations de 2013 prévoient une hausse tout compris de 3,5 % pour les salaires les plus faibles, bien au-delà de l’inflation, mais cohérente avec les résultats de Total, selon les salariés. Si les largesses de l’entreprise pétrolière sont exceptionnelles, la méthode illustre comment les négociations annuelles assurent une croissance régulière de la masse salariale. Même si, au sein des entreprises, certains restent plusieurs années sans hausse, la part d’augmentations individuelles prenant toujours plus d’importance.

Pour le président de l’ANDRH, Jean-Christophe Sciberras, il faut reconsidérer la nécessité de ce rendez-vous rituel. "Aux États-Unis ou, plus près de nous, en Allemagne, il n’y a pas d’obligations à négocier sur les salaires tous les ans dans les entreprises", note-t-il. En attendant la fin des NAO, les pratiques changent et certains n’hésitent plus à revenir sur les avantages acquis. La direction du chantier naval STX France avait demandé une baisse de 5 % du coût du travail pour décrocher un contrat. Après négociations avec les partenaires, "nous avons obtenu une baisse pérenne de 2 % des coûts sociaux et de 3 % pour six ans", résume Christophe Mabit, le DRH de STX. Certaines primes ont été réduites, voire supprimées, tandis que sept jours de RTT ont été gelés.

"Mieux vaut mettre de côté certaines choses plutôt que de tout perdre", estime le délégué CFDT Christophe Morel. "La première vertu de l’accord est d’assurer l’avenir des emplois", se félicite le DRH. Les accords de compétitivité ont accéléré les arbitrages entre salaires et emploi. Renault annonce ainsi avoir baissé de 4 % le coût horaire du travail. Chez PSA, le "nouveau contrat social" a pour objectif de ramener les coûts salariaux de 15,1 % du chiffre d’affaires en 2013 à 12,5 % en 2016. Pour y arriver, les méthodes des deux constructeurs sont proches : départs des seniors, réduction des jours de RTT et même hausse du temps de travail sur certains sites de Renault, sous certaines conditions chez PSA. "Nous allons demander que l’encadrement et les techniciens soient rémunérés à leur juste valeur", prévient Carole Couvert de la CFE-CGC.

Ici et là, des syndicats réclament pour les salariés leur part du gâteau du Cice et du pacte de responsabilité. Le risque est d’autant plus grand qu’"il y a un hiatus entre le pouvoir d’achat distribué par l’entreprise et celui qui entre finalement dans la poche du salarié", résume François Lemasson. Jusqu’ici, "les salariés ont été plutôt fatalistes", explique une DRH de PME, qui avoue qu’elle s’attendait à davantage de protestations. Le resteront-ils ?

4. Les salaires des grands patrons sont intouchables

La question de la rémunération n’est pas réservée aux salariés. Elle gagne aussi les grands patrons et de nouveaux dispositifs pourraient modifier leur trajectoire. Depuis juin 2013, le code Afep-Medef a inclus dans ses recommandations la pratique du "say on pay", le vote consultatif des actionnaires sur la rémunération des dirigeants, alors que seules les attributions de stock-options ou d’actions gratuites étaient soumises à un accord. La pratique n’est pas toujours une garantie de modération : Jean-Paul Agon, le PDG du groupe L’Oréal, a vu, cette année, son package de 8,3 millions d’euros (actions de performance comprises) approuvé par un vote sans appel de 94,22 %. Mais le sujet est désormais posé. Certains ont senti le vent du boulet. Le patron de Zodiac a recueilli 27 % d’avis négatifs. Celui de Sodexo a recueilli 81,3 % d’avis positifs sur sa rémunération de 4 millions d’euros, mais comme la famille Bellon détient 50,9 % des droits de vote, c’est plutôt une claque.

"La rémunération des grands patrons est le symptôme d’un grave déséquilibre, estime Pierre-Henri Leroy, le PDG de Proxinvest, un cabinet de conseil aux actionnaires. Longtemps, on nous a expliqué que la rémunération d’un dirigeant, c’était très spécial, mais en réalité certains niveaux sont absurdes." Quelques grands gestionnaires de fonds ont posé des limites. Le Fonds de retraite des fonctionnaires fixe la sienne à 100 smic, la Macif à 240 smic. Et il n’y a pas que les actionnaires à entrer dans la danse. La loi de sécurisation sur l’emploi, qui impose la présence de salariés aux conseils d’administration des grands groupes, pourrait mettre fin à l’entre-soi douillet des comités de rémunération. Autre signal, le décret de juillet 2012 plafonnant à 450 000 euros la rémunération des dirigeants des entreprises publiques. Sans pour l’instant faire tache d’huile dans le privé, elle a déjà donné un sérieux coup de frein aux émoluments de patrons, comme Henri Proglio, à la tête d’EDF, qui prouve qu’il reste attractif de diriger un groupe de 75 milliards d’euros avec cette rétribution.

Par Anne-Sophie Bellaiche et Christophe Bys

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