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Nature

Europe : droite et extrême droite sabordent une loi pour la biodiversité

20 millions d'oiseaux disparaissant en Europe d’une année sur l’autre, depuis près de 40 ans. Ici, un bruant proyer, espèce sensible à l’intensification de l’agriculture.

D’ici au 12 juillet, les eurodéputés doivent adopter ou rejeter le règlement sur la restauration de la nature. Un « vote crucial » pour le vivant, sabordé depuis des mois par la droite, l’extrême droite et certains députés macronistes.

Cette semaine, notre hymne européen, l’Ode à la joie, pourrait prendre des airs de requiem pour le vivant. À partir de ce lundi 10 juillet, les eurodéputés vont décider du sort du futur règlement sur la restauration de la nature. Présenté comme « historique », ce texte vise à stopper l’effondrement de la biodiversité, en fixant des objectifs de préservation et de réparation des écosystèmes. Las, la droite et l’extrême droite n’ont eu de cesse, depuis quelques mois, de le saborder. Les trois prochains jours seront donc décisifs pour sauver ce projet de règlement et sa portée écologique.

Rembobinons. Il y a un an, la Commission européenne présentait « le texte le plus ambitieux pour la biodiversité depuis trente ans » selon Chloé Godefroy, qui suit le dossier à France Nature Environnement. Car la nature européenne va mal : déclin des oiseaux, des insectes et des poissons, espaces naturels bétonnés, forêts et champs en monoculture… 80 % des écosystèmes du vieux continent sont considérés en mauvais état de conservation. Pour y remédier, Bruxelles avait — une fois n’est pas coutume — sorti les gros moyens.

Lire aussi : Réparer la nature, l’autre urgence écologique : l’enquête de Reporterre

« Pour la première fois, le texte de la Commission fixait des objectifs juridiquement contraignants, avec une cible globale — restaurer 20 % des écosystèmes dégradés d’ici à 2030 et 100 % en 2050, dit Chloé Godefroy. Il donnait aussi des déclinaisons précises par milieu. » Augmenter des espaces verts en ville, replanter des haies, remettre en eau des tourbières, supprimer certains barrages sur les rivières, créer des aires marines protégées. « On est au bord du gouffre, rétablir le vivant est une priorité absolue, et cette loi européenne est une occasion unique », insiste Swann Bommier, de l’ONG Bloom.

Mais certains à Bruxelles n’ont pas voulu saisir cette « opportunité ». Depuis plus de six mois, les élus du Parti populaire européen (PPE) — conservateur — et ceux du groupe d’extrême droite Identité et démocratie ont mené des attaques tous azimuts afin de liquider le texte de la Commission. Motif ? Celui-ci mettrait en danger l’agriculture européenne. Un argument largement démenti, en particulier par plus de 6 000 scientifiques dans une lettre ouverte publiée en mai dernier [1]. Outre un discours souvent mensonger, les leaders réactionnaires ont usé de « méthodes autoritaires et antidémocratiques » pour imposer leur point de vue, a documenté l’ONG Bloom.

Les lobbies de l’agro-industrie à la manœuvre

« À un an des élections européennes, la droite et l’extrême droite ont cherché à faire de cette législation un exemple pour dire “l’environnement, ça suffit” », estime Swann Bommier. L’eurodéputée écolo Marie Toussaint voit aussi dans cette offensive la patte « des lobbies de l’agro-industrie, des forestiers ou de la pêche industriels », nous écrit-elle par courriel.

Avec la bénédiction de la Copa-Cogeca — syndicat de l’agriculture intensive, dont est membre la FNSEA française — le PPE a ainsi systématiquement poussé pour torpiller le texte au sein des différentes instances où ce dernier a été examiné. Avec succès. Il a été rejeté par les commissions Pêche et Agriculture, tandis que la commission Environnement a été incapable de trouver un accord pour amender le texte.

« Ça risque de se jouer à quelques voix près »

Le débat et le vote en plénière sont donc la dernière chance pour sauver le règlement et rehausser son ambition. « Ça va être serré, ça risque de se jouer à quelques voix près », prédit Chloé Godefroy. Sans être majoritaire, le PPE est en effet le plus important groupe politique du Parlement. La position du groupe Renew — auquel appartiennent les élus macronistes — sera particulièrement scrutée. Car ses députés se sont jusqu’à présent montrés ambigus. « Certains se sont battus pour le texte, comme Pascal Canfin, mais d’autres ont rejoint la ligne des conservateurs », déplore Mme Godefroy. « Renew a poussé pour affaiblir le projet de règlement », observe également Swann Bommier.

La possibilité d’un rejet du texte par une majorité de parlementaires n’est ainsi pas écartée. « Ce serait une catastrophe », poursuit l’expert de Bloom : « Dans un an, se tiennent les élections européennes, la campagne électorale va commencer, ce qui va figer tout processus législatif important. Un vote de rejet, et cela reporterait toute nouvelle mouture du texte dans deux voire trois ans. Ce sera trop tard, c’est maintenant qu’il faut agir. »

Autre possibilité, fort probable, l’adoption d’une loi affaiblie. Le 20 juin dernier, le Conseil de l’Union européenne, qui réunissait les ministres de l’Environnement des 27, s’est prononcé en faveur d’un texte à l’ambition réduite. « Leur proposition entérine un certain nombre de reculs, en accordant des dérogations à l’obligation de restauration et en réduisant les cibles », explique Chloé Godefroy. Les parlementaires pourraient ainsi emboîter le pas au Conseil [2]. « Alors que nous faisons face à des phénomènes climatiques extrêmes, ce serait de la folie », dit M. Bommier.

En France, l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, une des plus volontaristes en la matière, a réhabilité 110 kilomètres de cours d’eau depuis 2019. © David Richard/Reporterre

Dernière voie, celle d’un vote courageux. Certains députés ont pu, au dernier moment, déposer des amendements pour rehausser l’ambition écologique — par exemple, afin d’interdire la pêche industrielle dans les aires marines protégées. Marie Toussaint ne désespère pas qu’ils soient adoptés en plénière. « Nous pouvons l’emporter », insiste-t-elle, soulignant l’immense soutien dont joui le texte : celui de près d’un million de citoyens, mais également celui de multinationales comme Coca-Cola, Ikea ou Nestlé, et même… de la fédération européenne des chasseurs.

« Nous avons désormais affaire à une rude bataille engagée entre ceux qui défendent un modèle destructeur du vivant et créateur d’injustice et celles et ceux qui prônent un monde d’harmonie avec le vivant, et entre les êtres humains, résume l’élue. L’écologie ou la barbarie. »

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