Brûlure des feuilles, dessèchement des fruits : les fortes chaleurs menacent l’agriculture européenne

Les données satellites européennes font état, dès la mi-juin, d'un "stress sévère de la végétation" dans de nombreux pays méditerranéens, mais aussi dans le nord de l'Autriche, la Biélorussie, l'Ukraine et la Roumanie. [J.J. Gouin / Shutterstock]

Un rapport de la Commission européenne annonce des températures anormalement élevées durant l’été, ce qui pourrait endommager les cultures européennes. L’exécutif appelle à une « planification sur mesure ».

Depuis plusieurs jours, le sud de l’Europe fait face à une vague de chaleur intense qui ravive les souvenirs de l’été 2022, dévastateur pour les cultures européennes. Si les températures et la situation hydrique n’atteignent pas encore les niveaux d’alors, les régions méditerranéennes devraient dépasser les 45 degrés cette semaine, en particulier en Italie.

« Les cultures sont déjà confrontées à deux stress, un stress hydrique du fait de la sécheresse et un stress thermique du fait des températures très élevées, surtout dans le sud de l’Europe », précise à EURACTIV Serge Zaka, spécialiste en météorologie agricole.

Dans un rapport publié récemment, le Centre Commun de recherche de la Commission européenne (JRC) fait état de conditions de sécheresse « difficiles » dans une large partie du continent, « qui continuent d’affecter l’agriculture, l’énergie et les ressources en eau ».

Selon les observatoires européen et mondial de la sécheresse (EDO et GDO), se basant sur les données du satellite Copernicus, 42,4 % du territoire de l’UE est en situation « d’avertissement », et 4,3 % en état d’alerte.

Et pas seulement dans le sud de l’Europe : de juin à août 2023, les scientifiques prévoient des « conditions plus sèches que la moyenne » – par rapport à la référence 1981-2016 – pour le sud de la Scandinavie, le sud du Royaume-Uni, le Danemark, l’Allemagne et les régions de la mer Baltique.

Le rapport insiste toutefois sur les disparités géographiques. Concernant les réserves d’eau par exemple, elles sont à 90 % de leur capacité dans le Nord et seulement à 24 % dans le Sud.

Stress hydrique et stress thermique

« Cela suscite des inquiétudes quant à la croissance des cultures », annonce le JRC. Et ce dans toute l’Europe. Si le Sud devrait, selon les prévisions, accueillir davantage de précipitations, il s’agît souvent selon Serge Saka « de pluie de courte durée, orageuses qui ne s’infiltre pas toujours dans les sols ».

« Dans la péninsule ibérique, les précipitations récentes n’ont pas été suffisantes pour contrebalancer le manque de pluie de longue date et les effets des canicules prolongées », ajoute le rapport.

En remontant, en Europe centrale et septentrionale, les précipitations s’annoncent « nettement inférieures à la normale », entraînant « une nouvelle sécheresse » autour de la mer Baltique, de la Scandinavie, du Royaume-Uni, de l’Irlande et de l’Allemagne.

Mais le manque d’eau n’est pas le seul phénomène à craindre. Pour la Commission, « ces conditions critiques et généralisées sont dues aux effets combinés d’un manque important de précipitations et de températures supérieures à la normale ».

Les données satellites européennes font en effet état, dès la mi-juin, d’un « stress sévère de la végétation » dans de nombreux pays méditerranéens, mais aussi dans le nord de l’Autriche, la Biélorussie, l’Ukraine et la Roumanie.

Pour Serge Zaka, ce stress thermique pourrait entraîner l’arrêt pur et simple de la croissance des végétaux, jusqu’à leur dépérissement.

« Entre 40 et 43 degrés, selon le seuil de tolérance de la plante, celle-ci se met en protection, arrête sa croissance – il n’y a pas de dégât sauf si cela dure dans le temps. Mais au-delà de 43 degrés, la plante subit une insolation, les feuilles brûlent, les fruits se dessèchent », explique le spécialiste.

Ce dépassement du seuil physiologique des plantes pourraient se produire dans les prochains jours, selon M. Zarka, en Italie ou en Espagne où sont attendus des températures oscillant entre 40 et 45 degrés.

Planification sur mesure

Les conséquences de ce double stress s’annoncent peu réjouissantes, en particulier pour les cultures d’été, semées au printemps – betterave, pommes de terre, maïs, etc. En 2022, la sécheresse exceptionnelle avait fait chuter la production de maïs à un niveau jamais atteint depuis 1990.

Seules les cultures d’hiver, comme le blé ou l’orge, s’en sortent mieux. Semées en hiver, les racines sont alors suffisamment développées au printemps pour puiser l’eau du sol en profondeur.

« Nous nous attendons maintenant à une réduction importante de la production, en particulier pour les céréales, non seulement en Espagne, au Portugal ou en Italie (jusqu’à -60 % par rapport à 2022), mais dans toute l’UE (par exemple, Roumanie -20%, Finlande -30%, Pologne – 14%, Lituanie -35% par rapport aux prévisions de mai) », annonce le COPA-COGECA, syndicat européen des agriculteurs dans un récent communiqué.

Le syndicat demande à la Commission de faire preuve de « flexibilité » dans la mise en œuvre de la PAC cette année afin de ne pas « mettre en péril l’accès des agriculteurs au soutien de base ». Concrètement, des dérogations sont attendues, notamment pour faciliter l’accès aux engrais minéraux.

« Nous sommes habitués au stress hydrique, nous avons un historique, même s’il est plus accentué aujourd’hui. En revanche nous avons très peu de recul sur le stress thermique », note Serge Zarka.

L’irrigation ? « On peut irriguer en pleine journée pour baisser les températures, mais cela ne suffira pas. Même s’il y a de l’eau dans le sol, les plantes sont atteintes par la température de l’air », ajoute-t-il.

En conclusion de son rapport, la Commission européenne appelle à une « planification minutieuse et des approches proactives ». Et de préciser : « Il est important de noter que différentes régions connaissent des conditions de sécheresse variables et, à ce titre, nécessitent des solutions sur mesure ».

« Nous avons besoin d’une planification qui prenne en compte le climat à l’horizon 2040-2050″, abonde Serge Zaka. Il préconise la création de nouvelles filières de cultures plus résistantes comme le tournesol, le sorgho, le mile, le millet, la pistache, l’olive ou la vigne.

« Il faut anticiper l’arrivée de ces nouvelles filières. La préparation génétique des variétés, la conservation, le stockage, le transport, la consommation et tout le tissu économique : cela met entre 15 et 30 ans en moyenne ».

Selon le spécialiste, le maïs pourrait ne plus être rentable dans le sud de la France, en Espagne et en Italie en 2040.

Dans son rapport, la Commission prévoit également une aide pour les agriculteurs touchés par la sécheresse de 330 millions d’euros supplémentaires.

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