Une camgirl sur son lit

« Camgirl Chronicles », plongée dans l’enfer de l’industrie du cybersexe

© Leonardo Linares

Présentée au Festival d’Avignon Off, Camgirl Chronicles est un objet à part. À la croisée entre le théâtre et le journalisme, la pièce raconte l’infiltration d’un studio de sexe en ligne par un duo d’artistes. Le but ? Dénoncer le sexisme et la violence qui y règnent. 

Bienvenue en Colombie, ses forêts verdoyantes, sa nature luxuriante… et ses camgirls. Le pays d’Amérique du Sud est une plaque tournante du sexe en ligne, le deuxième marché mondial de cette industrie. Pas de prostitution à proprement parler, mais des jeunes femmes qui s’installent devant leurs webcams pour des shows à caractère sexuel. De l’autre côté de l’écran, des hommes, majoritairement européens et nord-américains qui payent à la minute et peuvent demander ce qu’ils veulent aux travailleuses du sexe.

Des témoignages glaçants

Le décor est posé pour une pièce d’un genre particulier. Camgirl Chronicles, présentée au Festival d'Avignon Off, est d’abord l’aventure d’un duo : Maud Madlyn et Andrés Montes Zuluaga. Depuis cinq ans, les deux artistes ont enfilé le costume d’enquêteur. À mi-chemin entre le théâtre et le journalisme, ils ont décidé d’infiltrer ce milieu connu de tous, dont les rouages restent pourtant énigmatiques. En 2019, Maud Madlyn devient camgirl dans un seul but : dénoncer le sexisme rampant qui règne dans cette industrie.

« On voulait voir les violences sexuelles lorsqu’elles ne sont pas qu’une statistique », prévient la comédienne. Pendant toute la première partie de la pièce, l’enquête se déroule sous nos yeux. Sur grand écran défilent les témoignages glanés plusieurs années durant, à la manière d’un documentaire. On découvre le gérant d’une plateforme de camgirls, qui se targue de « bien payer » ses employées. À l’évocation des salaires mensuels, de quelques centaines à plusieurs milliers de dollars, on comprend qu’il dépend beaucoup des performances des camgirls

Viennent ensuite les principales concernées, les camgirls, dont les voix ont été modifiées. Le public écoute l’une d’entre elles raconter les dégradations qu’elle a subies, sa dépression après s’être fait déposséder de son corps. Les pénétrations anales par sex-toys, forcées par les clients, encouragées par la direction. Les jeux de rôle obscènes, qui reprennent les codes de l’inceste. Mais la scène la plus insoutenable est sans doute l’enregistrement de l’un des shows de la comédienne enquêtrice. Devant nous se joue une séance de domination. La voix grasse d’un homme remplit la pièce et décrit, sans filtre, ce qu’il aimerait faire à sa fille de 10 ans. Il faut l’entendre pour le croire. 

Shows d’urine et d’excréments, fantasmes incestueux, domination…

Pour mieux appréhender cette réalité glaçante, le duo de comédiens fait appel au public. L’espace de quelques minutes, il devient membre d’une assemblée générale d’investisseurs pour une plateforme de cybersexe. Si les actes décrits n’étaient pas aussi abjects, on rirait presque, tant le ton des comédiens est léger et naturel. Terrible décalage qui renforce la violence des thèmes abordés. On découvre jusqu’où le sexe en ligne peut aller : shows d’urine et d’excréments, fantasmes incestueux, domination, costumes en tous genres… Dans ce monde impitoyable, la femme n’est qu’un objet au service des désirs les plus improbables des hommes. À mesure que la pièce avance, le labyrinthe de cette industrie semble inextricable. 

« Le sexisme, on ne sait pas toujours comment ça commence, mais on sait comment ça se termine. » Tel est le postulat de la pièce. Entendre la parole des hommes, essayer de comprendre les mécanismes qui poussent à une telle débauche en ligne. On se rend compte qu’il ne faut pas forcément d’acte physique pour caractériser la violence sexuelle : l’emprise psychologique, la domination et la force des mots suffisent. Ces relations virtuelles font d’innombrables victimes : des femmes humiliées, traitées comme des esclaves sexuelles, qui n’osent même pas dire à leurs proches le métier qu’elles exercent. Et constater, amèrement, que le cybersexe n’est que le triste reflet de la réalité des relations entre les femmes et les hommes.

commentaires

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  1. Avatar Philippe dit :

    J'ai vérifié plusieurs fois l'année de la parution de l'article. Je ne me trompe pas : 2023. Je pensais être tombé sur une chronique datée d'il y a 20 ans. Comme si on faisait semblant de découvrir quelque chose. La pornographie représente le tiers des connections mondiales à Internet, un chiffre d'affaire annuel entre 97 et 135 milliards, soit environ 80% du budget annuel de la Belgique, 30% du budget du Canada et parce que deux comédiens montent une pièce (j'espère pour elle, pas racoleuse) sur le sujet, dans un coin perdu, on s'écrie comme Tartuffe: "Oh, mon Dieu, quelle horreur, cachez ce sein que je ne saurais voir". La pornographie est devenue depuis bien longtemps, et avec le concours d'Internet, un fléau civilisationnel qui fait son lit dans le système capitaliste, au même titre que les pesticides, les gaz à effet de serre, la nourriture industrielle hypercalorique, etc...ça n'étonnera personne si, dans ce contexte, la Californie, terre à la pointe de toutes les évolutions (dérives?) post-industrielles, représente à elle seule entre 20 et 60% de ce chiffre d'affaire. Vous noterez au passage l'imprécision des chiffres, car bien que légale, à la différence de la drogue, cette industrie fait tout pour rester opaque. Au demeurant cette opacité arrange bien les états car comme pour l'alcool et le tabac, leurs gouvernements prélèvent leur dîme au passage. Allez! cessons de faire les hypocrites et admettons, médias ou pas, que tant que le modèle capitaliste et le marché resteront l'alpha et l'oméga, la pornographie, qui a encore des quantités de marchés à conquérir, continuera de se bien porter et de se développer sous tout un tas de formes, et que les jeunes femmes et les jeunes hommes qui s'y aventurent à leurs risques et périls et à ceux des esprits faibles et des enfants seront de plus en plus nombreux. Malheureusement pour eux et pour notre pauvre société occidentale...

  2. Avatar Milady Demars dit :

    Je suis une Camgirl . Cet article est une honte . Les camgirls sont indépendantes,personne ne les force à faire quoi que ce soit. Une fille qui fait un rôle play inceste c'est parce qu'elle le veut. Alors que c'est interdit sur toute les plateformes de cam. Comme les trucs scatos et cie. Faut arrêter de raconter de la merde. Les camgirls font ce qu'elles ont envie.
    Et je fais ça depuis presque 10 ans ! MiladyDemars

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