Accéder au contenu principal
Le grand invité Afrique

Déplacés en RDC: «En termes de violences et d'insuffisances humanitaires, c'est du jamais-vu en 25 ans»

Publié le :

Médecins sans frontières a récemment lancé un cri d'alarme pour l'Est de la République démocratique du Congo. L'ONG demande une augmentation rapide de l'aide humanitaire pour répondre aux besoins des déplacés de cette zone de la RDC, où différents groupes armés sont présents depuis près de trente ans. Une crise humanitaire encore aggravée depuis la résurgence du M23 fin 2021. Selon MSF, près de 600 000 personnes, dont de nombreuses femmes et enfants, vivent depuis des mois dans des conditions d'extrême précarité dans les camps aux abords de Goma. Michaël Neuman, directeur d’études au centre de réflexion de Médecins sans frontières (MSF-Crash), fait le point pour RFI.

Vue aérienne d'un camp de déplacés non loin de Goma, en RDC, le 13 janvier 2023.
Vue aérienne d'un camp de déplacés non loin de Goma, en RDC, le 13 janvier 2023. © AFP / Guerchom Ndebo
Publicité

RFI : Vous vous êtes rendu récemment à Goma, dans le Nord-Kivu, avec les équipes de MSF, et vous qui travaillez dans l’humanitaire depuis longtemps, vous dites que c’est du jamais-vu. Pourquoi ?

Michaël Neuman : En termes de déplacements de population, d’intensité des violences rencontrées par ces personnes, et d’insuffisance de la réponse humanitaire apportée pour leur porter secours, c’est effectivement quelque chose que moi, à titre personnel, je n’avais pas vu en quasiment 25 ans de carrière dans l’humanitaire.

Il y a plusieurs camps de déplacés, évidemment à Goma, et aux alentours, à quoi ressemblent ces camps ? Quand vous dites : « conditions de vie précaire », ça veut dire quoi ?

Dans l’ensemble, on a affaire à des gens qui vivent extrêmement mal, dans des petites huttes en paille parfois recouvertes de bâches pastiques, de familles entières qui vivent dans 2m2, des abris qui font deux mètres sur un mètre dans lesquels les gens s’entassent à 4, 5, 6, voire un peu plus, à même la lave, étant peu protégés des intempéries, et qui ont, par ailleurs, un accès à l’alimentation et aux services extrêmement réduit.

Alors s’ils ont un accès à l’alimentation et aux services extrêmement réduit, on imagine qu’ils doivent aussi prendre les devants eux-mêmes. Quand on est déplacé à Goma, comment peut-on vivre financièrement ? Quelles sont les sources de revenus qui peuvent exister pour eux ?

On vit mal, effectivement. Il faut réaliser que pour une partie importante de ces gens, le déplacement, malheureusement, fait partie de la vie. Une partie de ces déplacés n’en sont pas à leur premier déplacement, et ont développé des stratégies de survie. Reste que compte tenu de l’insuffisance de l’aide apportée de l’extérieur, il faut effectivement développer des mécanismes autonomes. Pour une partie d’entre eux, les gens dépendent de la solidarité villageoise. Et puis, aussi, de la solidarité à l’intérieur même des camps de déplacés. Et quand cette solidarité est insuffisante, il faut aller chercher de la nourriture et de l'argent soi-même, et adopter des mécanismes qui exposent à des dangers, comme par exemple, aller chercher du bois dans les forêts, ce qui expose les femmes au viol. Et donc, dans l’ensemble, on a affaire à des gens qui sont très peu protégés et dont l’insécurité à laquelle ils font face s’accroît du fait même de l’insuffisance des secours qui sont fournis.

À quoi est due cette insuffisance des secours, à la fois de l’aide internationale et du gouvernement congolais ? Est-ce qu’il n’y a plus assez de fonds qui sont versés pour l’Est de la RDC ?

Les raisons sont multiples. Je dirais qu’il y a des compétitions sur la collecte de financements : on le voit aujourd’hui entre l’Ukraine, le Soudan et d’autres crises qui nécessitent aussi une réponse importante. Il y a un autre phénomène, à mon avis, important à souligner, qui est malheureusement, et probablement, ce que j’ai appelé un peu la normalisation de la catastrophe. Malheureusement pour les Congolais, et pour les habitants du Nord-Kivu et du Sud-Kivu en particulier, ça fait trente ans que ces gens traversent des crises, ça fait trente ans que le système humanitaire répond aux crises, et on peut - non pas concevoir - mais entrapercevoir comme une habitude prise. On s’habitue à ces situations terrifiantes, sans voir la nécessité impérieuse qu’il y a toujours de fournir de l’aide à ces personnes qui n’en sont pas moins, malgré la normalisation et l’habitudes de déplacement, des gens extrêmement vulnérables, qui ont vécu des trajectoires de violence absolument insensées, et qui vivent dans des situations, pour certains, absolument abjectes.

Qu’en est-il de la réponse nationale ? Que fait l’État congolais pour ces déplacés du Nord-Kivu ?

L’État est malheureusement assez peu présent, je dirais. Il est en tout cas largement, même insuffisamment, suppléé par des efforts qu’on va appeler citoyens au sens large.

Est-ce que vos constats dans le Nord-Kivu disent quelque chose aussi plus globalement du système d’aide internationale en cas de crise ? Est-ce que les constats que vous faites là peuvent être reportés dans d’autres régions géographiques ?

Vous avez aujourd’hui une époque où les fronts de conflit se sont multipliés, au Sahel, au Soudan, pour ne parler que de l’Afrique contemporaine. Il y a des discussions à avoir sur un déséquilibre des secours entre ce qu’on a pu observer de la solidarité internationale pour venir en aide à l’Ukraine depuis l’année dernière, et ce qu’on observe au Congo aujourd’hui. Ce qui est quand même frappant, c’est à quel point, ce qu’on peut observer à Goma indique que ce fameux système de l’aide internationale n’a pas pu améliorer la qualité de ce qu’il fournit aux personnes dans le besoin depuis trente ans. Ces personnes déplacées, on leur fournit au mieux les mêmes bâches plastiques, la même nourriture, et qu’on se contente d’extrêmement peu. C’est ça qui est très frappant, c’est la facilité à laquelle on s’habitue à ce que ces gens ne vivent avec rien.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.